Épilogue

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Trigger warning ! Violence et descriptions sanglantes

Jonathan

L'eau est belle. Jolie demoiselle drapée d'une majestueuse robe grise, elle est magnifique. Gracile et gracieuse, de mouvements langoureux, elle danse près des bateaux. Terrible séductrice, sa finesse et sa beauté sont les atouts dont elle use pour attirer les hommes au près d'elle.

L'eau est cruelle. Emprisonnant en son sein, les corps de pauvres matelots d'eau douce, elle les chérit, les adore. Elle prend soin de ses invités mortels dans son palais où tout est éternel.

L'eau est traitresse. Intouchable, elle palpe le corps de ses amants. Insaisissable, elle s'immisce partout et glisse sur leur peau. Brûlante de tendresse, elle les refroidit, les engourdit dans son étreinte corrosive. Elle devient alors maîtresse de leur destin, reine de leur vie.

Jonathan est allongé dans ce lit si doux, enveloppé par cette compagne si belle. Le froid l'oppresse mais il ne s'en soucie guère. Il est si bien... Disparu le fracas des vagues sur le bateau, disparu le bombardement incessant autour de lui, disparus la peur ambiante et les cris. Tout n'est plus que calme et silence. Il y a bien longtemps qu'il n'a pas été si bien.Mais il sait que cette paix n'est qu'éphémère. Il doit remonter. Il n'a pas fait tout ce chemin pour mourir, tué par les eaux du pays qu'il est venu libérer. Il a promis à son petit frère qu'il rentrerait. Il a promis à son Texas qu'il reviendrait. Il s'est promis qu'il survivrait.

Si Jonathan n'était pas dans l'eau, il soupirait. Tant de promesses qu'il n'est même pas sûr de pouvoir tenir... Toujours est-il qu'il doit se relever. Avant que l'eau n'alourdisse trop son matériel et ne le rende inutilisable. Avant que ses poumons ne l'obligent à ouvrir la bouche. Avant qu'il n'en ait plus l'envie.

Jonathan ouvre les yeux. Tout de suite, le sel lui brûle la rétine mais il n'en a que faire. Il voit rouge. Au sens premier du terme... L'eau qui l'entoure est tâchée de gouttes carmines. Le massacre. Cette opération est un massacre. Toutes ses vies ôtées, tous ses corps mutilés, tout ce désespoir et cette cruauté... Il pousse d'un coup vif sur ses bras et donne toute son énergie pour remonter vers la surface. Vers son destin. Vers la mort.

Aussitôt que sa tête émerge à l'air libre, le choc des combats le percute. Il entend la souffrance de ses compatriotes tombant sous les balles allemandes. Il entend la mer se nourrissant inlassablement du sang versé en son sein. Il entend les tirs incessants de l'ennemi qui les surplombent en tout point.

Son regard émeraude se pose sur ses camarades tombés. Les tâches de sang entourent leur corps, cortège funeste. Il ne sait pas qui est simplement blessé, qui souffre le martyre, qui s'est déjà envolé vers son monde meilleur. Il perd la notion de ce qui est bien et mal, de son objectif finalement.

Jonathan inspire profondément et se laisse tomber dans l'eau pour avancer à l'abri des regards allemands. Il a l'impression d'être en plein milieu d'une partie de chasse. Les loups observent leur proie se disperser, savourant leur panique. Puis ils les prennent en chasse. Mais jamais, il n'aurait pensé être du mauvais côté de la barrière. Aujourd'hui, il est la proie égarée, la biche affolée. Mais il ne compte pas tourner le dos aux loups pour fuir. Il préfère regarder la mort, droit dans les yeux quand elle viendra l'accueillir.

En attendant, il doit avancer, sortir de cette eau se délectant de leurs blessures, puis de cette plage où s'entassent des cadavres déjà trop nombreux. Il doit tenir ses promesses et pour ça, il n'a qu'une solution. Ne surtout pas mourir. Alors qu'il sort la tête, une question s'impose dans son esprit le plongeant dans un doute plus que douloureux. Peut-on réellement sortir indemne de cette maudite plage ?

Jonathan avance. Il coure. Il doit se mettre à l'abri derrière ces espèces de barricade de fer qu'il voit devant. Ses pieds s'enfoncent dans le sable rouge. Il enjambe des cadavres. Il évite des membres arrachés à leurs propriétaires échoués à droite, à gauche. Il prie pour ne pas être touché par une balle allemande. Autour de lui, des cris, des hurlements, la peur, le sang.

Arrivé à destination, son estomac se serre et il pousse le corps encore chaud d'un homme pour s'abriter le mieux possible. Le prochain objectif est la dune qui lui permettra d'être définitivement à l'abri des mitrailleuses qui les canardent sans procès. Une protection minime par rapport à Calais ? Le mur de l'Atlantique inachevé ? Jonathan a envie de rire. Cette opération est un carnage, un massacre. C'est une boucherie rien de plus. Une balle ricoche près de lui et il se baisse.

Il lui reste une petite dizaine de mètres à parcourir. Autrement dit une éternité. Soudain un bruit de moteur bien plus bas que les autres lui fait lever la tête. Un avion passe au-dessus de lui. Il ne le reconnait pas. Il n'est pas américain, mais ne semble pas non plus ressembler à ceux de Luftwaffe. Son cœur loupe un battement quand il voit quelque chose tomber de la soute. Le mot bombe s'impose à son esprit. En même temps que l'explosion retentit. 

Alementa I - Braise [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant