Aimazilia
Emportée par le souffle puissant de la téléportation, je me laisse dériver. Les couleurs commencent leur danse endiablée devant mes yeux aveuglés. Mon corps se comprime et s'étire à intervalles réguliers sous un étau puissant dans ce qui me semble être en même temps quelques secondes et une éternité.
Un flash blanc.
Mon dos percute violemment une surface dure. Un cri de douleur franchit mes lèvres sèches. La cuisante vibration se répercute dans ma colonne vertébrale qui proteste vivement. Mais je n'ai pas le temps de pleurer l'ajout d'un énième bleu à ma collection. Je tente de me redresser. Mon bras se dérobe sous mon poids.
Mon épaule me lance. Le sang, anormalement chaud, imbibe ma cape. Je lâche la dague qui atterrit sur le parquet dans un bruit sourd. Otant mon vêtement à la va vite, je déchire la manche de mon tee-shirt. La douleur me brouille une nouvelle fois la vue. Mon biceps est éraflé sur tout le côté d'une balafre longue bien que peu profonde. Je retiens mon souffle qui se saccade. La sueur glacée me coule dans le dos. Je ne devrais pas avoir si mal... La plaie saigne et par réflexe, je plaque ma main contre pour endiguer l'hémorragie. Mauvaise idée... Très mauvaise idée... À peine le liquide carmin entre-t-il en contact avec ma peau qu'un violent élancement m'oblige à la retirer dans un gémissement étouffé. Je me crispe de tout mon être pour ne pas hurler lorsque des cloques apparaissent dans ma paume meurtrie. Putain, c'est pas vrai...
— Putain de bordel de merde... juré-je entre les dents, autant d'horreur que de souffrance.
Je me relève en titubant et m'appuie contre le bureau de mon bras indemne. De l'azalée... Je pensais que Lana m'avait renvoyé le carreau que je lui avais planté dans l'épaule pour se venger. Mais non... Elle a fait la seule chose à laquelle je ne m'attendais pas de sa part. Elle m'a retourné celui qui avait tué Enzo, celui qui était empoisonné. La scène se rejoue devant mes yeux alors que mes genoux se dérobent et frappent le parquet en bois. Tout me parait si évident à présent. Comment ai-je pu passer à côté de ça ? Comment ai-je pu me faire avoir de la sorte ? Quoi qu'il en soit, si je ne fais rien, il me reste moins de cinq minutes à vivre.
Serrant les dents, je me dévisse le cou pour jeter un nouveau coup d'œil. La blessure n'est ni grande ni profonde. L'arme n'a heureusement fait que griffer mon épaule sans s'y planter. De plus, il ne devait pas rester beaucoup de poison sur la pointe. Mais vu la réaction de mon organisme, c'est suffisant pour mettre ma vie en danger.
Mon bras est secoué de spasmes douloureux. L'azalée progresse. Plus lentement que d'ordinaire certes mais elle progresse tout de même, petite tortue faisant la course avec le lapin. Je suis le lapin et je ne dois surtout pas faire la même erreur. Car on sait tous qui a gagné la course. Sauf que là, le prix de la victoire est ma vie.
Je pose les mains sur le parquet gris de ma chambre. Je dois mobiliser mon énergie. Je dois... Je dois réussir à atteindre le sang qui me sauvera... Allez Aimazilia, concentre-toi ! Je rassemble mes ultimes forces et appelle mon Alementa. Je l'invoque de toutes mes forces, le front ruisselant de sueur froide. L'effort me fait trembler mais je finis par sentir le flux de pouvoirs traverser mes veines. Je me focalise sur le pouvoir d'Alex, le seul capable de guérir. Je le laisse venir à moi, se diffuser comme une douche froide sur mon corps que la mort commence déjà à engourdir. Le soulagement m'envahit tandis que la douleur s'apaise.
Je baisse la tête et mon regard tombe sur ma dague échouée à quelques centimètres de moi. Le sang de Lana tache encore la lame, créant des petites fleurs carmines lorsque les gouttes tombent sur le parquet. Inspirant profondément, j'invoque son pouvoir. Il est mon ultime de chance. Alors que ses dons passent à leur tour dans mes veines, je me concentre uniquement sur celui du feu, ignorant le second. Pitié, faites que ça marche...
Je tends la main devant moi et une petite flamme apparait sans tarder au centre de ma paume. Mon sang me brûle, se révoltant contre l'utilisation d'un deuxième pouvoir. Je n'ai pas beaucoup de temps...
Avant d'hésiter, je prends une grande goulée d'air et plaque ma main contre la plaie. La douleur est telle qu'un hurlement animal me déchire les cordes vocales. Mon cri d'agonie se répercute dans le silence de la maison vide, seul témoin de ma souffrance. Les flammes lèchent ma peau, véritables monstres dépourvus de pitié et assoiffés de sang. Le calvaire est si grand que je dois lutter pour ne pas ôter ma main et tout arrêter. L'inhumaine brûlure s'insinue dans ma peau, détruisant tout sur son passage aussi rapidement qu'un cheval ayant pris le mors aux dents.
Je reste ainsi plusieurs secondes. De très longues secondes, hurlant à m'en user la voix. Puis enfin, je retire ma main. Je rappelle aussitôt le pouvoir d'Alex qui prend la place de celui de Lana. Les tissus de ma peau se referment progressivement alors que la brûlure s'estompe et que la douleur s'apaise. Au final, il ne reste de cet affrontement qu'une fine couche de peau brûlée indolore. Mon corps trempé de sueur se détend alors imperceptiblement. Le pire parait avoir été évité. De justesse mais évité. J'essuie les larmes qui coulaient sans retenue sur mes joues et tente de reprendre mon souffle.
Je savais que Lana pourrait s'avérer dangereusement. Bien plus que sa mère avant elle. Il n'y a qu'à croiser son regard plein de haine pour le savoir. Cette fille en veut au monde entier mais elle parvient à cacher cette souffrance silencieuse derrière un sourire. Le jour où elle n'y parviendra plus... Je m'arrangerai ou pour qu'elle explose du bon côté ou au moins pour ne pas être présente. Mais pour autant, jamais je ne l'aurais pensée capable d'une telle cruauté sans hésitation. Lana est dans les émotions, elle peut être dure dans les mots mais pour moi, ce n'était pas une tueuse. Il faut croire que je ne la connaissais pas si bien que ça. Et cette erreur de jugement aurait pu me coûter bien plus cher qu'une simple éraflure.
Toujours est-il que tout cela n'a pas été vain, mon plan a fonctionné. Lana est exactement là où elle doit. J'avoue ne pas avoir prévu l'intervention de Cameron mais c'est finalement un mal pour un bien. J'ai pu me mesurer à lui pour la première fois et je sais à présent que je ne peux pas gagner contre lui. Pas en combat à la loyal en tout cas. Si je veux avoir une chance, il me faudra utiliser mes dons ce que je ne peux me résoudre sous le masque de la Aidia. D'ailleurs, je suis presque convaincu que l'Alementa de l'Ombre n'a pas utilisé l'ensemble de ses capacités. La preuve, à aucun moment il n'a utilisé ses pouvoirs pour prendre l'avantage, alors que la nuit tombante le lui permettait aisément. Non, c'est comme s'il cherchait juste à me faire fuir...
Je regarde le masque de théâtre de cuivre qui est tombé lors de l'atterrissage. Je le ramasse et caresse doucement les contours de l'œil. Je me suis créé cette légende, il y a quelques années maintenant. Je ne lui avais initialement pas donné de nom mais le terme « Aidia » a fini par circuler chez les Alementa. Signifiant, entre autres, « dégout » en grec, le nom a fini par perdre son premier i pour finalement devenir Adia. Personne pas même mon paternel ne sait que je suis derrière ce masque. Pourtant, ses talents indéniables pour le combat et l'évasion poussent mon père à souvent la solliciter pour ses missions les plus délicates. S'il ne voit en Aimazilia qu'une simple humaine de son sang, plutôt douée pour jouer la comédie et prête à tout pour entrer dans ses bonnes grâces, il distingue en la Aidia un potentiel second.
J'aurais pu sans mal associer mes dons à la légende. Mais je suis partie du principe que découvrir l'identité de la Adia serait bien plus facile que de percer à jour mon Alementa. Je ne voulais pas que l'un tombe avec l'autre en cas de pépin. Toujours avoir un coup d'avance, telle est ma devise.
Mon corps ayant doucement récupéré, je laisse à contre-cœur les deux pouvoirs retourner aux sangs de leur propriétaires. Je n'ignore pas ce qui va suivre mais je tente de me convaincre que plus tôt commencé, plus tôt terminé. Cependant en être persuadée ne m'empêche pas de lutter de toutes mes forces contre ce qui va suivre. Je repousse ce moment le plus possible. Autant essayer de ralentir le naufrage d'un navire en vidant l'eau à la main. Si tu ne colmates pas la fuite, ça ne sert à rien. Et dans mon cas, l'endroit où l'eau s'infiltre est loin, très loin dans les méandres de mon cerveau auxquels je n'ai tristement pas accès. La malédiction me rattrape alors, lionne affamée se jetant sur sa proie affaiblie. Je me laisse alors attirer vers ces bas-fonds comme attrapée par un requin m'entraînant vers les profondeurs.
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Alementa I - Braise [TERMINÉE]
ParanormalLa fuite. Du haut de ses dix-neuf ans, Lanaya n'a jamais rien connu d'autre. Fuir le Conseil des Anciens, fuir les Alementas mercenaires, fuir cette magie qui, tel un incendie, ne laisse que des cendres sur son passage. Elle sait qu'un jour, elle hé...