Chapitre 4.2 : Poursuivis

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— Tu crois que si on ne bouge pas, ils vont passer sans nous voir ? murmure Lana.

À peine les mots ont-ils franchi ses lèvres que trois hommes armés émergent de l'habitacle. Et inutile de préciser qu'ils ne sont pas là pour nous vendre des roses...

— Apparemment non, dis-je en repartant sur les chapeaux de roue, la rousse sur mes talons.

Mon cœur ne s'affole pas et bat à une allure étonnamment normale pour ce qui est en train de nous arriver. J'ignore ce qui est le plus grave : se faire poursuivre par des gens qui veulent vous tuer ? Ou ne plus paniquer tellement vous êtes habitué à être poursuivi par des gens qui veulent vous tuer ?

Des cris dans notre dos m'indiquent que nous avons été repérés. J'attrape au passage les poubelles qui trainent et les renverse pour interdire l'étroite ruelle à leur véhicule. Dans un instinct de protection, je puise dans mon pouvoir pour activer mon dôme autour de nous. Au même moment, des détonations résonnent derrière nous et le sifflement des balles déviées par mon bouclier ponctue nos pas. Malheureusement, cette couverture demande énormément d'énergie, surtout si je l'applique à deux personnes. Autrement dit, je ne pourrai pas la maintenir ad vitam aeternam.

Seulement, les emmerdes ne sont pas connues pour se déplacer en solitaire... Lorsque nous atteignons le bout de la ruelle, un véhicule freine dans un crissement aigu de pneus, manquant de nous renverser. Les fenêtres s'entrouvrent pour laisser apparaître une main tenant un objet sombre. Je me jette sur Lana et nous roulons tous les deux au sol dans un cri de douleur. Au même moment, les déflagrations passent au-dessus de nos têtes.

Du coin de l'œil, je distingue des membres du FSG sauter de leur voiture et nous mettre de nouveau en joue. Aussitôt, j'utilise mon Alementa et nous téléporte deux mètres en arrière, devant une porte. Quelques secondes suffisent à nous y emmener. Vite... Beaucoup trop vite... Je m'écroule sur Lana tandis qu'un mal de tête infernal me fait tourner de l'œil. J'entends des cris, des bruits de pas, des détonations. Ma vision se trouble et se colore de rouge à cause des larmes de sang qui jaillissent de mes yeux. Je sens Lana me trainer avec elle tout en poussant notre issue de secours pour entrer dans le bâtiment. Nous débouchons dans un couloir sombre, certainement l'entrée d'une habitation.

À travers le rideau carmin qui teinte mon monde, j'avise la lourde armoire en chêne de l'entrée. Il faut ralentir le FSG, il faut gagner du temps... D'un mouvement rapide, j'envoie le meuble se poser contre la porte d'entrée. Du moins, j'essaie d'envoyer le meuble contre la porte d'entrée. En une seconde, une douleur effroyable me saisit le ventre, m'obligeant à me plier en deux, l'armoire alors se brise net et son contenu se déverse au sol. Ma bouche s'entrouvre pour suivre le haut-le-cœur et une filet carmin visqueux pend entre mes lèvres sèches. Dans un effort inhumain, je parviens tout de même à faire échouer la carcasse en bois de manière à bloquer l'entrée.

Je m'effondre alors sur le parquet en retenant un hurlement. Ma tête me lance aussi sûrement que si quelqu'un s'amusait à y planter des aiguilles. Mon corps tremblant, trempé est secoué d'une quinte de toux à m'en arracher la gorge. Le gout métallique s'accentue dans ma bouche et je crache du sang de nouveau.

— Dante ! crie Lana, en se penchant à mon niveau.

— Ça... Ça va... 

J'ai toutes les peines du monde à articuler ces trois pauvres mots si ridicules. Je me force à respirer pour dominer la douleur et essuie mes lèvres. 

— Non, non, ça ne va pas du tout ! s'exclame-t-elle, la panique faisant monter sa voix dans les aigus. Tu ne dois plus utiliser ton Alementa !

Je l'ignore. Les hommes du FSG s'acharnent contre la porte et les murs autour de nous tremblent. Il nous faut une solution de repli. Et vite. Je tente de me redresser mais je ne fais pas un pas avant de m'effondrer de nouveau sur Lanaya. Mon bras passe alors par-dessus son épaule et elle commence à m'entrainer dans les étages. Chaque pas réveille en moi une telle douleur que je n'ai qu'une envie : fermer les yeux. Mes paupières se font de plus en plus lourdes, assommées par la souffrance que mon corps porte. J'ai l'impression d'être vide de toute énergie...

— Dante, reste avec moi ! siffle Lanaya en me soutenant du mieux qu'elle peut. Tu as promis de ne plus me lâcher, il y a même pas dix minutes, alors c'est pas le moment de faillir.

Je l'entends mais ses mots ne font plus sens dans mon esprit. Je veux dormir... Juste dormir. Je m'assène une violente claque mentale. Non. Je ne peux pas dormir, je ne dois pas dormir ! Lana a raison. J'ai promis de veiller sur elle. Je me concentre alors de nouveau et me ressaisis. Il faut que je retrouve de l'énergie.

Je me fais violence et allège mon poids des épaules de la rouquine pour l'aider à monter les marches. Inspire, expire. Inspire, expire. Une marche, deux marches, trois marches... Arrivés à la cinquante-neuvième, nous débouchons enfin sur le toit aménagé. Presque chaque bâtiment en possède un dans cette ville. Je m'écroule alors près du bord, à bout de souffle, le corps épuisé. Le vide m'apparait soudain de bien trop proche. Pourquoi sommes-nous montés ici ? Nous sommes piégés...

— C'est pas le moment de faire un baptême de l'air ! s'écrie Lanaya en me tirant en arrière.

En me retournant, je constate qu'elle a fait tomber des briques du mur à moitié démoli devant la porte de manière à la bloquer. Mais le grand boum qui retentit derrière me certifie que ça ne tiendra pas longtemps... Il faut que je fasse quelque chose... Il faut que je la sorte de là.

J'espérais vraiment pouvoir gagner assez de temps pour donner à Cameron la possibilité de nous rejoindre. Mais il faut croire que j'avais tort. J'avise alors le muret à côté de l'entrée. Si je pouvais... le décaler un tout petit peu... Juste histoire de bloquer un tantinet la porte.

Mais à peine commencé-je à invoquer mon Alementa qu'une déchirure épouvantable me traverse de toutes parts. Foudroyé par un éclair de souffrance comme il n'en a jamais connu.

J'entends Lana crier et les membres du FSG s'énerver sur la porte qui ne tardera pas à lâcher. Je veux la voir une dernière fois... Dans un ultime moment de lucidité, j'entrouvre les paupières. Le visage tiraillé d'inquiétude de Lana m'apparait en gros plan, mais ce n'est finalement pas elle que je vois. Au bord du toit, derrière la belle rousse, se dresse une silhouette nonchalante appuyée contre la rambarde, ses cheveux blond platine volant au vent. C'est là que je comprends... Tout le scénario de la journée devient claire.

Je n'ai tout simplement pas voulu regarder la vérité en face. Je n'ai pas voulu croire à ce qui m'a pourtant sauté aux yeux. J'ai ignoré les preuves, je lui ai laissé le bénéfice du doute. C'est peut-être ainsi que tout doit se terminer. Seuls les plus forts survivent. Je croyais en faire partie, pouvoir m'adapter, résister, mais aujourd'hui, je suis tombé sur plus fort, plus vicieux surtout. 

Je sens que je vais partir ce que je refuse. Je ne peux pas me laisser aller si je sais que Lana est en danger. Sans même la regarder, je me concentre sur son corps, ses formes. Je visualise parfaitement son image et me concentre le plus possible. Ayant déjà beaucoup donné, cet énième effort me provoque un mal de crâne foudroyant. Mais je poursuis. J'expédie les dernières gouttes de mon énergie vers elle, pour la transporter ailleurs, où elle sera en sécurité un petit moment. Au moment où j'enclenche la téléportation, un flot de sang jaillit de mon nez, ma bouche, mes yeux. Douleur. Souffrance. Je tombe dans un abysse à l'obscurité infinie.

Alementa I - Braise [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant