Alementa I - Braise [TERMINÉE]

Chapitre 29 : Maudits

Lanaya

— Concentre-toi ! me tance Cameron. 

Je me mords la lèvre pour retenir une réplique cinglante. Il croit que je fais quoi ? Du tricot, peut-être ? S'il cessait de m'interrompre toutes les deux secondes, je l'aurais déjà invoqué de ce deuxième don de malheur ! Après un petit déjeuner dans le silence, Cameron m'a proposé de tester ma malédiction, ce que j'ai accepté bon gré, mal gré. Je sais qu'il est important de la connaître pour l'anticiper, mais qui aurait envie d'aller souffrir volontairement ? 

Cette malédiction est le lot de tous les Doubles. Notre organisme n'est pas fait pour accueillir deux dons si bien que lorsque nous les utilisons en même temps, il lui faut un temps de récupération plus ou moins long. Il se présente sous diverses formes ; perte de connaissance, de l'usage d'un membre, d'un sens voire même par des visions selon certains. Si je ne suis on ne peut en plus en désaccord avec le Conseil sur le traitement des Doubles, je ne lui donne pour autant pas tort sur un point : nous sommes beaucoup plus instables. Nos dons sont toujours à la frontière de l'explosion ou de l'implosion. Même si je ne le ressens pas encore, je sais que cela sera plus difficile avec le temps, quand ils prendront en confiance.

J'inspire profondément et me concentre pour occulter Cameron, assis face à moi. Je sais déjà que mon don ne fera pas exploser la terre, mais cela ne me dispense pas de méfiance. Tant que je n'en connais pas les paramètres exactes, il est considéré comme potentiellement dangereux. Je musèle mes lionnes qui grognent et appelle à voix basse le loup. Au pas de sa tanière, je sens son énergie froide. Deux yeux bleu glacé s'ouvrent alors et sa force se repand en moi. Je frissonne. 

Il sort à pas mesuré puis relève la truffe à la recherche de quelque chose. Je me crispe à mesure que la sensation s'étend à mes muscles. Il se lèche soudain les babines et pousse un jappement de joie. Non, pas de joie. D'excitation. Je me lève. 

Mes pieds me portent d'eux-mêmes. Mes sens, ma volonté, tout a fusionné avec ceux de mon don. Je traverse les couloirs. Je pose une main sur une poignée et la tourne sans hésitation. La porte s'ouvre. Je descends les escaliers dans l'obscurité. Je marche pendant quelques secondes. Le loup hurle soudain en moi. Je sursaute. L'horreur me glace littéralement. L'odeur de mort m'agresse les narines. Je suffoque. Les griffes du loup s'enfoncent dans mon être, furieux d'être pris au piège par mon corps. Le noir... 

Plus d'expiration, plus d'inspiration. 

Je tourne la tête à la recherche d'une source de lumière. La panique enserre mon cœur. Je ne peux pas... Le noir... Des bruits de pas, des respirations, des ricanements... Je ne sais plus où je suis, je trébuche. L'obscurité m'étouffe de part et d'autre. 

Je lâche mes lionnes. Ma peau devient incandescente, créant une faible lueur. Je fais un tour sur moi-même, les bras tendus devant moi.

Trois inspiration, deux expirations. 

Je hurle. Mon loup vient se jeter sur mes lionnes. Cela rugit, griffe, mord. Panique, douleur, souffrance.  Je crie toute mon âme. Le combat en moi se poursuit. Mon feu se débat, se défend, mais ne fait pas le poids face à ce don en folie meurtrière. 

Ma vision se brouille. Des explosions. Une maison qui part en fumée. 

— Eva ! hurle une voix. 

Chagrin. Culpabilité. Vengeance.

 Je tousse, étouffée par de la poussière. Qu'est-ce... qu'est-ce qui vient de se passer ? Mon corps tremble. Mes paupières s'ouvrent et je plisse les yeux à cause de la lumière. Cameron se tient devant moi. Ses mains sur mes bras. Un gout fruité est étalé sur ma langue. De l'azalée. 

Son effet ne durera pas, mais ça a été suffisant pour interrompre le chaos dans mon corps. Je fronce les narines. L'odeur de la mort est toujours aussi présente. Je tourne la tête et... bondit en arrière. Un cadavre. En voie de décomposition avancée. 

— Je te déconseille de descendre à la cave, déclare Cameron en me désignant une porte sur le chemin de son bureau.

— Pourquoi, c'est hanté par un méchant fantôme ? ironisé-je.

— Peut-être celui de l'ancien propriétaire. Après tout, ça serait logique puisque son cadavre y est également.

Putain, il ne bluffait pas... Les ténèbres disparues, je remarque enfin les cartons empilés, les blocs de pierres jonchant le sol et les toiles d'araignées pendant du plafond. Nous sommes donc dans la cave. Mon sang se glace. Comment ai-je atterri ici ? Cameron doit remarquer mon incompréhension totale car il m'aide à me redresser d'une poigne ferme.

— Ca t'ennuie si on discute de ça dans un endroit un peu plus chaleureux ? Et loin des oreilles indiscrètes. 

Une migraine s'emparant de mon crâne, je ne discute pas et le suis jusqu'aux escaliers qui nous conduise vers une lumière rassurante. Ma respiration s'allège. Il me conduit dans la cuisine et me tend une tasse de thé tiède. Je bois plusieurs gorgées de la boisson trop infusée. Le berger allemand me lance un regard méfiant avant de se coucher au pied de son maître. 

— Donc tu as peur du noir ? 

Je roule les yeux. C'est tout ce qu'il a retenu de ce qui vient de se passer ? 

— Tous les entraînements du monde ne suffisent à endiguer tous traumatismes que provoquent une tentative d'assassinat, soufflé-je. 

— Tes yeux sont devenus bleus. 

Je hoche la tête, peu surprise. Ma gorge se noue. Bleu comme les yeux de mon père... Bleu Klein comme il se complaisait à les nommer... 

— Je plaisantais au début, mais je vais vraiment finir par croire que ton don consiste à trouver les cadavres... Mais bon, alors cette malédiction ? 

Je lève le regard vers lui, encore perdue. 

— Je ne sais pas... Je ne sais plus... Je me souviens m'être levée, dirigée quelque part... Puis c'est le trou noir... Je me rappelle juste de la douleur. C'était super bizarre... Comme si mon deuxième don attaquait mon premier... 

Je laisse échapper un rire nerveux. Ca me paraît tellement fou. 

— Je t'ai trouvé en train d'hurler. Un peu comme lorsque Lyanna a voulu trouver son don. 

Je passe une main dans mes cheveux trempés de sueur, en secouant la tête. Je ne sais pas... Je ne sais plus... Je pensais connaitre ce monde. Ma mère m'a préparé pour que je puisse vivre en paix. Mais elle m'a préparé dans le contexte où je ne plongerais pas, tête baissée, dans les combats. Je ne connais que la théorie... Et je me rends seulement compte à quel point la pratique est une autre réalité. Tant de paramètres nous échappent... 

— Au moins, on sait que tu ne dois pas utiliser tes dons ensemble... La mission est remplie dans le fond. 

Je souffle. J'imagine que c'est une manière de voir les choses. Je finis ma tasse de thé en tentant d'apaiser les dernières tremblements de mon corps. Cette douleur que j'ai ressentie... Comme si je m'auto-détruisais de l'intérieur. La sueur froide dégouline encore le long de mon dos. Tu m'étonnes que je n'utiliserais plus jamais mes dons ensemble... 

— Heureusement, j'ai une idée pour te remonter le moral ! s'enjaille Cameron. Que dirais-tu d'une petite glace ?