Le chant des Tourtereaux

Chapitre 1

"Les acteurs dans leur capacité, les artistes quels qu'ils soient, sont inspirés par leur curiosité, par leur désir d'explorer toutes les parties de la vie, dans la lumière comme dans l'obscurité, et ils reflètent ce qu'ils en voient dans leur travail. Les artistes veulent instinctivement refléter l'humanité, la leur et celle des autres, dans toute sa vertue et sa vitalité intermittentes, dans sa fragilité et sa faillibilité."

Déambulant à travers la foule agglutinée dans les rues du quartier de West End, quartier londonien réputé pour ses magnifiques salles de théâtre, je tente tant bien que mal de me frayer un chemin jusqu'à l'un des plus petits bars de tout Westminster. Ma première opportunité à Londres n'est pas ce qu'on peut qualifier d'exceptionnelle je le sais, mais j'ai aussi conscience du fait que j'ai beaucoup de chance de pouvoir y postuler.

Lorsque j'ai commencé mon cursus à l'école de musique et d'arts du spectacle de Paris il y a quelques années, j'étais persuadée que je deviendrais facilement chanteuse ou comédienne et qu'un superbe avenir m'attendait. Mais les choses... ne se sont pas déroulées comme prévu. Il y a eu tout un tas d'évènements qui m'ont empêchée de réaliser mon rêve, des évènements qui me font froid dans le dos quand j'y repense. Il y a eu, entre autres, la maladie de mon petit frère. Alors, j'ai arrêté mes étudies. En réalité, je n'aurais pas pu me regarder dans une glace si j'avais laissé ma mère seule avec mon frère, quand il a fallu prendre soin de lui. Mais du coup, j'ai dû mettre mes rêves de côté. Tant pis pour les grandes salles de spectacle et les belles tenues de gala, j'ai laissé tomber mes études et j'ai pris un job de serveuse pour aider ma mère à payer le traitement de Danny, mon petit frère.

Seulement, Danny est guéri désormais, et ma famille a pu reprendre sa vie en main. Mon frère et notre mère s'en sortent bien tous les deux. Et mon père... Peu importe, ne parlons pas des sujets qui fâchent. Alors même si je les aime et que je serai toujours là pour ma mère et pour Danny, la vérité c'est que j'aurais vécue une vie pleine de regrets si j'avais totalement abandonné la musique. Et ce n'est pas ce que je veux.

Alors me voilà. Après la guérison de mon frère, j'ai quitté ma famille au nord de l'Angleterre avec en tête une idée bien précise : vivre à Londres. Et après plusieurs semaines d'échecs cuisants, j'ai finalement réussi à trouver ce que je voulais. Un petit bar spectacle du quartier de West End a accepté ma candidature et ce soir, je vais devoir montrer de quoi je suis capable. Honnêtement, je suis prête : j'ai attendu ce moment toute ma vie.

En poussant les portes du Merry Bar, je sais que de nombreuses autres chanteuses auraient affiché une mine consternée. Cet endroit n'est pas le plus beau, ni le plus rempli, mais j'y perçois personnellement quelque chose de... magique. Dans le fond de la salle après les tables rondes et le grand bar en bois, est installée une scène faiblement éclairée et sur laquelle ne figure rien d'autre qu'un piano. J'esquisse un sourire : parfait. J'adore le piano.

Je m'approche du bar tout en regardant partout autour de moi, jusqu'à croiser le regard d'une femme derrière le comptoir. Celle-ci baisse la tête vers moi avant d'acquiescer.
- Tu es Amy, n'est ce pas ? Amy Patterson ?
- Oui, réponds-je en hochant la tête.

En effet, Amy Patterson est bien mon nom maintenant. Alors je tends la main vers la femme derrière le bar, laquelle l'accepte et la secoue vivement avant de me pointer la scène du doigt.

- Michelle, enchantée. Bien, il est l'heure de me montrer ce que tu vaux. Accord piano, ça ira ? J'ai besoin de prévenir le pianiste ? Marco est dans les coulisses, alors n'hésite pas.
- Ça ira, merci.

Je suis déjà arrivée à hauteur de la scène, que je regarde avec admiration avant d'oser y monter. Finalement je m'installe derrière le piano, prends une grande inspiration en fermant les yeux avant de me tourner vers Michelle. Après un hochement de tête de la part de celle-ci, je me lance.

Commençant à jouer les accords acoustiques de « Elastic Heart », le fameux hit de Sia, je me concentre autant que possible au début mais plus le temps passe, et moins j'en ai besoin. Je n'ai pas chanté sur une scène depuis l'école mais apparemment, il y a des choses qui ne s'oublient pas. Je me laisse emporter par la musique et mes doigts glissent contre le clavier du piano sans que j'aie besoin de les regarder. J'ai bien fait de prendre mon courage à deux mains et de venir jusqu'à Londres pour réaliser mon rêve.

Quand la chanson est terminée, je lâche une grosse expiration comme si j'avais arrêté de respirer pendant les trois dernières minutes. Je relève ensuite la tête vers Michelle, laquelle est en train de sourire.

- Très bien Amy, me dit-elle alors, tu es engagée.

Je ne savais pas, en entrant dans ce bar ce soir, que ma vie entière allait être bouleversée à tout jamais.