Amy Patterson est une jeune française au passé mystérieux, vivant en Angleterre depuis quelques années. Lorsqu'elle déménage à Londres l'année de ses vingt-cinq ans, son ambition est très claire : Amy veut faire de la scène. Elle trouve un emploi da...
Cela fait désormais une bonne semaine que les répétitions de la pièce ont commencé. Je suis folle de joie, et aussi extrêmement concentrée depuis. Toute ma vie tourne autour de cette pièce, et de la grande première qui approche. Mais aujourd'hui, il y a autre chose qui me préoccupe : je dois donner ma première interview. Si je suis à l'aise avec la scène, avec le chant et la danse, je ne sais pas du tout ce que je vaux pour ce genre d'entretien. Et j'ai toujours peur... que mon visage devienne public, de ce que ça pourrait entraîner. Notamment par rapport à mon père, ce sujet sensible duquel je n'arrive pas à parler. Cependant, sans avoir conscience de l'angoisse sous-jacente liée à cette situation, Tom m'a bien entraînée pour l'interview et c'est donc avec un peu moins d'anxiété que je rejoins le Winter Garden ce jour-là.
Quand je fais mon entrée, je suis tout de suite réquisitionnée par l'une de nos maquilleuses, qui se dépêche de peaufiner les détails de mon maquillage et de ma coiffure. Pendant que je me prépare, Linda passe me rendre visite en coulisses, un grand sourire aux lèvres.
- Ça y est ma chérie, le moment de ta présentation a sonné. Wow, tu es magnifique. Cette robe est parfaite pour toi. Bon, surtout rappelle-toi : tu gardes le sourire, tu te montres optimiste et sûre de toi. D'accord ?
Quand je suis appelée sur les sièges du théâtre pour rejoindre la journaliste, j'ai l'impression d'avoir des jambes en coton. Cette fois-ci je ne peux plus revenir en arrière. Les gens... vont voir mon visage. Tous. Et ceux dont j'essaie de me cacher depuis des années, compris.
La journaliste me regarde arriver avec un immense sourire sur le visage, avant de me serrer vivement la main lorsque je m'assieds à côté d'elle.
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- Amy Patterson, dit-elle rapidement, enchantée ! Je m'appelle Emily, je vais vous interviewer pour le journal de Broadway. Vous êtes prête ? Ne vous en faites pas, tout ira bien.
Emily parle tellement vite et son accent est tellement prononcé que j'ai l'impression de manquer la moitié de ses mots. Cependant, je me contente de sourire grandement moi aussi et de hocher la tête. Bien, allons-y.
La journaliste est très gentille, très expressive et c'est tout à son honneur. Cependant, je peux sentir à quel point elle a été préparée pour ce genre de situations. Elle sait quelles questions poser, et surtout, elle sait comment les poser.
- Dites-moi Amy, me demande-t-elle, qu'est-ce que ça fait de vous retrouver là ? Je veux dire, quand même : le rôle principal d'une comédie sur Broadway, alors que vous avez à peine vingt-cinq ans ! Vous devez être très anxieuse.
- En fait, réponds-je en souriant de toutes mes dents, pas du tout. Mes camarades et moi travaillons très dur, pour faire de ce spectacle ce que les gens peuvent en attendre. Je ne suis pas anxieuse, j'ai plutôt hâte de pouvoir partager notre vision de cette histoire avec un public.
- C'est magnifique, vous avez totalement raison. C'est parfait ! Bon, maintenant j'aimerais parler des sujets qui fâchent. D'après ce que nous avons pu trouver sur vous - et il n'y avait pas grand-chose, pour notre plus grand malheur ! - vous avez été étudiante à la célèbre école de musique et d'arts dramatiques de Paris.
- En effet.
Je sens déjà la question venir, à des kilomètres. Mais je me doutais bien qu'on la poserait et pour ça aussi, Tom m'a aidée à me préparer, bien que ne sachant pas lui-même à quel point il me fallait éviter de dire des choses compromettantes au sujet de la vie à Paris. Alors quand vient le moment, je sais exactement quoi dire à cette journaliste aux faux airs doux et gentils.
- J'ai beaucoup appris durant mes études à Paris, mais ma situation m'a fait dériver vers d'autres chemins et je ne le regrette pas. J'ai eu l'opportunité de monter sur scène malgré tout, et mon parcours correspond totalement à la personne que je suis. Même si je n'ai pas été diplômée, j'ai confiance en mon avenir dans cette pièce, sur cette scène.
Emily me sourit de toutes ses dents, et je sens qu'elle est frustrée par ma réponse. Elle aurait aimé que je me ramasse, mais ce n'est pas le cas. Je sais ce que j'ai à faire. J'ai appris à arrondir les angles et à ne donner que la meilleure des versions, avec le temps.
- Bien, Amy, reprend-elle finalement, une dernière question. Dites-moi, y aura-t-il des sièges réservés pour des proches lors de la grande première ? Un petit ami, un mari peut-être ? Ou une femme ?
Après un sourire que j'espère convaincant, je secoue doucement la tête avant de répondre à sa question.
- Il y aura quelques sièges pour mes proches, oui. Ma mère, mon frère, et sans doute quelques amis.
- C'est génial, vraiment génial. Pas de petit ami alors ?
Je suis un peu bloquée. J'aimerais dire oui, le crier sur les toits même, mais je ne veux pas que cette Emily tente une intrusion dans ma vie intime et là, c'est de ça qu'il s'agit. Et puis Tom comprendra, je le sais. Alors, je secoue doucement la tête de gauche à droite.
- Non Emily, pas de petit ami. Mais qui sait, peut-être que la pièce m'aidera de ce côté-là. Ali s'en sort plutôt bien, elle...
Après un rire sonnant très faux, la journaliste remballe son calepin et son dictaphone et me serre la main d'un air solennel.
- Très bien Amy, c'était super. Merci pour votre temps !
- Je vous en prie.
Ce n'était pas si terrible. Pas ressemblant à ce que j'imaginais, mais... pas si terrible. Je dois encore faire quelques photos pour le journal et ensuite, je serai libre. Tout ça sera dernière moi, espérons pour longtemps. J'aime la scène, mais les projecteurs... pas tellement. Et même si je n'en parle pas, jamais, depuis quelques temps un visage est omniprésent dans mon esprit dès que je pense à ma photo imprimée sur un journal. Le visage de mon père.