Chapitre 51

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Les choses ne s'arrangent pas. Enfin, pas selon mon opinion.

Ma jambe est guérie, je peux de nouveau marcher et me déplacer toute seule. Super. Oh, et j'ai retrouvé l'ampleur de ma voix, à peu près : assez pour pouvoir crier autant que je veux.

Crier, c'est quasiment la seule chose que je fais encore.

- Tu comprends vraiment rien, c'est DINGUE !

- Peut-être que si tu m'expliquais je pourrais comprendre, Amy !!

- J'essaie, mais tu n'écoutes pas !!

Ça dure comme ça depuis des jours. En fait, depuis que je suis sortie de l'atonie dans laquelle je m'étais placée toute seule après "l'accident". Après plus de trois semaines de tristesse, mon sentiment a changé. Je suis en colère maintenant, et j'en veux à la terre entière. Même à Tom.

Lui et moi, ça ne va pas très bien. En fait... ça ne va pas du tout. Depuis que je me suis réveillée à l'hôpital ce jour-là tout a changé. Au début, on faisait tous les deux des efforts. J'essayais vraiment d'être gentille, d'être réceptive à son aide, mais ça n'a pas duré. Au bout d'un moment, je n'ai plus réussi à le supporter. Je ne supportais plus le fait de le voir tout le temps près de moi, tous les jours, de le voir supporter mes caprices sans broncher, de tout me pardonner. Alors les choses ont empiré.

La rééducation, c'est ce qui nous a achevés. J'étais tellement en colère d'avoir à faire ça, c'était tellement douloureux que j'ai passé tout mon temps à me plaindre, à pleurer et à maudire la terre entière. Au début il me laissait m'énerver et tentait de me calmer, mais il a fini par abandonner. Et je ne lui en veux même pas. Alors maintenant, on crie. Et on crie pour absolument aucune raison valable. Ça nous défoule, c'est tout.

C'est comme si nous étions prisonniers, enfermés l'un avec l'autre sans possibilité de sortir du cercle. Je lui en veux d'être là, IL m'en veut d'être là, mais il continue de rester chaque jour que Dieu fait, même quand je crie tellement que j'en ai du mal à respirer. Et toujours, la conversation bascule sur le même sujet, encore et encore. Il dit qu'il s'en veut de m'avoir laissée faire ça, je dis que je m'en veux de l'avoir fait. Il dit que ça n'aurait jamais dû déraper, et je réponds que m'en vouloir ne sert absolument à rien. Je suis malheureuse, et je sais que c'est exactement pareil pour lui même s'il ne l'avouera jamais. On ne peut plus échapper au cercle vicieux dans lequel on a été projetés.

- Amy, nom de Dieu, on ne peut pas continuer comme ça.

Ça y est, il a arrêté de crier. Tom s'assied sur la chaise de la salle à manger la plus proche, un air exténué sur le visage. Je sais. Moi aussi, je suis fatiguée.

- Je n'ai plus la force de me disputer avec toi, reprend-il. J'ai essayé d'être patient, je te jure, mais...

- Et moi ? Je n'ai pas essayé, tu crois ? Tom, tu n'es pas le seul à être fatigué.

Je m'assieds sur la chaise face à la sienne, mais ne le regarde pas pour autant. Ça me fait trop de mal. Je l'aime, je l'aime plus que tout mais... Je n'arrive plus à le regarder.

- Dis-moi ce que tu ressens, dit-il.

- Tu sais très bien ce que je ressens, grommelle-je.

- Justement, non. Et tant que je ne comprends pas, je ne peux rien faire. Et je n'en peux vraiment plus de tout ça. Alors vas-y, dis-moi ce que tu penses. Je t'en supplie, parle.

Cette fois, je le regarde. Dans les yeux. C'est la première fois depuis longtemps que je le fais et qu'il n'y a pas de haine dans son regard. Seulement... une immense lassitude.

- Tom, je...

- Allez, m'encourage-t-il. C'est bon, dis-le.

Je reste encore silencieuse quelques instants, réfléchissant à ce que je ressens pour tenter de tout mettre au clair. Finalement, je comprends que les mots sortiront mieux s'ils sortent tous seuls et j'arrête de réfléchir.

- J'ai l'impression... j'ai l'impression...

Je soupire. Allez Amy.

- Mon père m'a pris tout ce que j'avais. J'ai l'impression d'avoir perdu tout ce qui comptait dans ma vie.

- Mais... commence Tom en se rapprochant. Ce n'est pas vrai.

Il pose sa main sur la mienne et je frissonne : c'est le premier contact que nous avons depuis des semaines.

- Tu n'as pas tout perdu, reprend-il, moi je suis là. Je suis là, Amy. Juste devant toi. Malgré tout ce qui se passe, je...

Je secoue la tête, absolument consciente du fait que ce que je m'apprête à dire va définitivement nous achever. Mais il veut la vérité, et je ne peux plus le garder enfermé. Plus maintenant, pas alors que je suis dans cet état.

- J'aimerais que ça suffise, Tom. Que tu me suffises. Mais ce n'est pas le cas.

Le mal est fait. Tom lâche ma main et recule les siennes lentement, la mine décomposée. Il penche la tête sur le côté pour ne pas avoir à affronter mon regard mais je peux quand même lire la peine dans ses yeux.

- Tout ça n'a pas de sens, Tom. Je suis en train de plonger, et je t'emmène avec moi. Ça ne peut plus durer. Tu le sais autant que moi. Depuis le début, je savais que ce genre de choses pouvait arriver et je n'ai rien dit. Tu t'es engagé dans quelque chose qui te dépassait et tu ne le savais même pas. Et voilà où on en est !

- Amy, on peut trouver une solution. On peut...

- Tom.

Cette fois, c'est moi qui attrape ses mains et le regarde, souriant à contrecoeur.

- Tu connais très bien la solution.

Tom et moi, nous restons assis l'un en face de l'autre, réduits au silence par la difficulté de la situation. Il n'y a pas d'autre moyen de mettre fin à ce cauchemar. Je ne peux plus vivre comme ça, et encore moins en ayant le poids de sa tristesse à lui sur la conscience. J'en suis incapable.

Alors finalement, après ce moment de silence, Tom se lève de sa chaise et vient me prendre dans ses bras. J'accepte son étreinte avec force, respirant une dernière fois son odeur et profitant de ce moment pour en imprimer mentalement les détails.

- Je t'aime, Amy...

- Je t'aime aussi.

Et c'est ce qui rend les choses encore plus difficiles.


Le chant des TourtereauxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant