Le chant des Tourtereaux

Chapitre 54

"Tu ne sais jamais ce qui t'attend au coin de la rue. Ça pourrait être tout. Ou ça pourrait n'être rien. Tu continues de mettre un pied devant l'autre, et un jour en regardant en arrière tu réalises que tu as gravi une montagne."

Hier, c'était mon anniversaire. J'ai eu vingt-six ans, ça y est. Ma mère et Danny m'ont préparé un gateau au chocolat pendant que j'étais au travail, et ils m'ont même fait souffler mes bougies. Même si je ne voulais pas y penser, ça a été plus fort que moi : j'ai fait le voeu de revenir en arrière et de pouvoir tout faire différemment. Malheureusement, même les bougies d'anniversaire ne sont pas assez magiques pour ça.

Ce soir, ma mère doit faire des heures supplémentaires et elle rentrera assez tard. Du coup, Danny et moi nous sommes préparés un plateau télé et nous apprêtons à trouver un film à regarder. Pendant que je nous sers à boire, Danny prend la télécommande et va s'affaler dans le canapé. Je sors le coca du frigo, et suis en train d'ouvrir la bouteille quand j'entends que mon frère arrête de zapper. Je reconnais tout de suite ce que j'entends. Something's gotta hold on me, Christina Aguilera. Ou plutôt... Ali Rose.

Je reste de dos quelques instants, écoutant le début de la musique jouer. Puis, je me tourne vers mon frère et emmène les verres sur la petite table du salon. Danny me regarde, et je vois qu'il s'apprête à changer de chaîne. Alors, je pose la main sur la sienne et lui fais reposer la télécommande.

- Non. Laisse.

Je viens m'asseoir à côté de lui, face à la télé. J'attrape un paquet de chips devant moi, sans arrêter de regarder la télévision et n'ouvre même pas le paquet. Je suis absorbée par l'écran. Pendant que je vois Christina Aguilera danser dans ce petit bar de l'Iowa, je sens toutes mes émotions remonter à la surface. Je réalise à quel point j'ai aimé être Ali. À quel point j'aime être la petite chanteuse d'un bled paumé qui emballe les coeurs de son public. Il n'y a rien dans ce monde qui me procurait autant de joie que ça, et il n'y aura jamais rien. J'aime la scène, j'aime la musique, c'est... toute ma vie.

Sans que je le réalise réellement, une larme de met à couler le long de ma joue et j'écarquille les yeux de surprise. Allez Amy, arrête. Mais alors que je secoue ma tête pour chasser toutes ces pensées, je sens la main de Danny se poser sur mon bras et je me tourne vers lui.

- Tu dois y retourner.

- Danny... dis-je en secouant la tête.

- Arrête ! me dit-il d'un air sérieux. Je ne sais même pas pourquoi tu n'y es pas encore ! Amy, il n'y a rien qui t'en empêche. Tu as complètement guéri depuis des mois, et tu as retrouvé ta voix je le sais. Alors vraiment, vas-y. La seule chose qui t'empêche de partir, c'est toi même.

Je regarde alors mon frère d'un air à la fois surpris et... touché. Finalement je plisse le nez et lui frotte le dessus de la tête d'un air malicieux.

- Du haut de tes dix-sept ans, tu parles déjà comme un adulte.

- Je sais, me répond-il en souriant, je suis devenu un gentleman.

Ça me fait beaucoup rire, et je chahute avec Danny pendant quelques instants après ça. Et ensuite, je repense à ce qu'il vient de dire, et je lui explique que je ne peux pas repartir.

- Je n'ai pas chanté depuis des mois, Danny. Je ne suis même pas sûre d'encore savoir comment faire.

- N'importe quoi, me dit-il en grommelant. Tu savais chanter avant même de savoir parler j'en suis sûr. Tu as ça dans le sang. Arrête de te chercher des excuses.

Je ne rajoute rien à ça, me contentant de monter le son de la télé pour regarder l'arrivée d'Ali à Los Angeles. Danny ne comprend pas. Je ne peux pas repartir, retourner à New York comme si de rien n'était. Ma carrière est terminée, c'est comme ça. Les gens m'ont déjà oubliée, j'en suis certaine. Peut-être même qu'il m'a oubliée lui aussi.

C'est ici qu'est ma vie maintenant. C'est comme ça, et c'est très bien.