On pourrait croire qu'aller chaque jour à son boulot mène à la routine, mais dans l'endroit où je travaille, c'est loin d'être le cas. Chaque jour, on a un problème différent avec l'un de nos patients. Lorsque j'arrive dans le vestiaire, mon supérieur Carter vient à ma rencontre. J'enfile ma blouse blanche sous son regard et attache mon badge sur la poche de gauche. Je sens que le problème du jour arrive au fur et à mesure que les secondes passent.
- Un problème monsieur ? demandé-je.
Il soupire longuement et croise les bras sur sa poitrine.
- Ryder, lâche-t-il.
Je me tourne dans sa direction, interrogative. Je sais très bien qu'il parle du nouvel arrivant, mais je me demande pourquoi il me parle de nouveau de lui, surtout dès mon arrivée.
- Vous avez eu un problème avec lui ?
- Il refuse que l'un d'entre nous entre dans sa chambre. Il ne fait que te réclamer. Écoute, je crois que tu l'apaises par ta présence, cette hypothèse reste à confirmer. Je sais que ce n'est pas ton genre de patient, mais veux-tu bien le prendre en charge ?
On a déjà remarqué plusieurs fois que mon physique, reflétant mon innocence, arrivait à apaiser les patients. Certains ne sont pas d'accord avec cette hypothèse, mais c'est quelque chose que j'ai remarqué à plusieurs reprises alors je commence à y croire. Je suis assez grande et fine, j'ai de longs cheveux blonds qui tombent dans le bas de mon dos ainsi que de grands yeux bleus.
C'est à moi de soupirer cette fois. Ryder n'est pas une personne facile, mais je le dois pour lui. Tout le monde mérite sa chance, c'est ma propre philosophie de la vie. Je hoche finalement la tête et il m'indique d'aller lui poser des questions sur ses crises. C'est la deuxième étape de la thérapie suite à sa prise en charge.
Le meilleur moyen pour soigner le TEI est la thérapie cognitive et comportementale, mais depuis quelque temps, un nouveau traitement est apparu. Après discussion avec Ryder, on pourra savoir comment s'y prendre au mieux avec lui.
Je pars directement voir le nouvel arrivant, bien déterminée à me renseigner sur lui. D'après ce que j'ai réussi à découvrir sur son propos, il adore esquiver mes questions pour me poser les siennes. Je dois directement lui faire savoir mon but aujourd'hui, parce que je dois récolter un maximum d'informations à son sujet.
Je frappe à la porte de sa chambre en lui indiquant qui je suis. J'entre sans attendre son autorisation et le salue joyeusement. Devant tant de détermination, il me dévisage puis lève les yeux au ciel, sans prendre la peine de me saluer.
- Tu as réfléchi à ce que je t'ai dit hier, Ryder ?
- Parce que j'ai le choix ? Vous m'avez enfermé ici je vous rappelle.
- Il nous faut ton autorisation pour commencer. Je vais être franche avec toi, Ryder. Si je suis ici, c'est pour t'aider, et si tu comprends que tu as besoin d'être aidé, ce sera un grand pas pour toi.
- Tu viens juste pour ça ?
- Je viens me renseigner sur tes crises, dans le but de t'aider par la suite. Tu acceptes de répondre à mes questions ?
Je décide de parler d'un ton calme, pour qu'il ne prenne pas ça comme une offense. Puisqu'il ne me répond pas, je me pose sur la chaise en prenant ça pour une réponse positive. Mon porte-bloc sur mes genoux et un stylo dans la main, je relève le regard vers lui et commence à l'interroger, prête à prendre des notes.
- J'ai déjà aperçu un aspect de toi ici. Je sais que tu cries et que tu insulte les gens lors de tes crises. Est-ce que tu fais autre chose ? Des coups de poing dans les murs ? Lever la main sur quelqu'un par exemple ?
- Ouais t'as raison, tout ça.
- Beaucoup n'ont aucun souvenir de leurs crises tant elles sont intenses, est-ce que tu revois des flashs de tes crises ou tu te souviens de tout ?
- T'es obligée de dire que je fais des crises ? C'est chelou ce mot, et ça ne correspond pas.
- Tu veux que j'appelle ça comment ? C'est bel et bien ce que c'est, Ryder.
- Un moment d'égarement ? Je trouve ça classe.
Je soupire puis cède à sa demande. Autant faire ce qu'il veut, tant qu'il me répond.
- Tu veux bien répondre à ma question, maintenant ?
- Non je me souviens de tout, j'ai pas l'Alzheimer.
- Combien de fois par semaine tu as des moments d'égarement ?
Il sourit en entendant que j'emploie les termes de son choix, ce qui me fait légèrement rire.
- J'en sais rien, je ne compte pas. Beaucoup de fois en tout cas. Presque tous les jours quand y a quelqu'un qui vient m'énerver.
En réfléchissant, je note ça sur ma feuille. Pour considérer qu'une personne a un Trouble Explosif Intermittent, la personne doit en faire trois par semaine, c'est le cas extrême. Ryder est largement au-dessus des statistiques.
- Tu saurais me décrire ce qui se passe pendant ces moments à l'intérieur de toi, de ton propre point de vue ?
Il hausse les épaules et regarde par la fenêtre. Il réfléchit intérieurement à la réponse qu'il va me partager. Pendant ce temps, je reste silencieuse et garde le regard sur lui.
- J'ai l'impression que n'importe quoi m'énerve. Au début, j'ai l'impression de bouillir à l'intérieur, mais comme j'aime pas ça, je ne mets pas longtemps à tout renverser sur mon chemin. C'est plus facile de tout exprimer que de tout garder.
- Très bien, Ryder. Tu as l'impression que les gens ont souvent peur de toi quand ça arrive ?
Il hoche la tête sans me regarder. Je suppose de moi-même que ce doit être l'aspect qui lui plaît le moins dans ses crises.
- Tu t'en es déjà pris à toi-même ?
- Non.
- Et tu regrettes ce que tu fais ou dis aux autres ?
- Ouais.
Maintenant que j'ai touché une corde sensible, je n'ai droit qu'à des réponses courtes. Je préférais ses sarcasmes, mais j'ai des réponses et c'est le principal.
- Tu vas me dire si j'ai raison, maintenant. Quand tu as un moment d'égarement, je suppose que tu agis sans réfléchir, sous le coup de la colère. Et aussi que tu agis sans prendre le temps que ta colère ne redescende. C'est ça ?
- Vrai.
Je hoche la tête et récapitule mentalement tout ce que je viens d'apprendre de notre nouveau patient. Les réponses de Ryder seront combinées à celles de ses parents, qui nous ont appelés pour le prendre en charge ici.
- J'ai mes réponses maintenant, conclus-je. Je te remercie d'avoir pris le temps d'y répondre, Ryder. Je ne sais pas quand on va se revoir, à bientôt !
- Ouais salut, marmonne-t-il.
Je sors de la pièce et rejoins le bureau principal pour donner mes réponses à Carter. Il prendra une décision sur son suivi médical.
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Eyes in Eyes
RomanceL'histoire d'amour d'une psychiatre et de son patient. *** Denasia est stagiaire dans un hôpital psychiatrique. De nature douce et altruiste, elle se dévoue corps et âme pour ses patients qu'elle désire aider plus que tout au monde. Son quotidien ba...