Seule, ou presque

VI

- Alors, Miss, on rêve ?

   Je relève la tête de mon hamac et remarque Noah, assis contre un arbre en train de tailler un bâton.

- Oui, et alors ? Je suis la seule fille, j'ai le droit de faire ce que je veux !

   Il rigola.

- Tu sais très bien que c'est ton argument infaillible. T'es sadique !

- Mais c'est pour ça que vous m'aimez, tous autant que vous êtes !

- Ca, c'est ce que tu crois !

   Je fis une tête faussement choquée, sachant pertinemment qu'il adorait me taquiner, et inversement, d'ailleurs.

   Ca va faire trois bonnes semaines que je suis arrivée et je pense m'entendre assez bien avec tout le Bloc, malgré les quelques méfiants qui restent encore et à qui je ne peux pas en vouloir, je ne sais pas comment je réagirais à leur place, moi.

   Noah est très certainement la personne avec qui je m'entends le plus. Il se dit psy du Bloc mais il est vraiment plus. Et pas seulement pour moi. C'est vraiment un ami sur qui on peut compter, autant pour bien rire que pour lui confier un secret. Sur ce point, c'est une vraie tombe, le gars !

   Concernant Newt, à lui aussi, je lui fais une confiance aveugle. Mais au fond, je pense que c'est un garçon qui essaye de se montrer fort, autant pour lui que pour les autres: je crois qu'ici, on a besoin de figures comme lui qui savent ce qu'elle font , ce qui est bon ou pas pour le Bloc, c'est rassurant, en quelque sorte. Mais peut-être qu'à force d'être autant tourné vers les autres, il a fini par s'oublier lui.

   Aujourd'hui, nous sommes Mardi. Et qui dit Mardi, dit mon jour de repos ! Noah venant de me quitter pour aller voir Alby, je décide de faire un petit tour du Bloc.

- Thea ! Viens voir, deux secondes, s'il te plaît !

   Je m'approche de la cuisine et y retrouve Fry, notre cuistot, et Kyle, un torcheur. Les torcheurs sont censés veiller à ce que le Bloc ne se transforme pas en une véritable porcherie sauf que Kyle s'est découvert une âme d'artiste et s'est mis en tête de rendre notre campement un peu plus chaleureux, ce qui n'est pas plus mal.

- Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?

- J'ai fait cette très belle pancarte pour agrémenter la cantine mais on arrive pas à se décider si elle est droite ou pas. Toi qui es une fille et qui es sûrement plus précise que nous, dis-nous. Et sois honnête. On est d'accord qu'elle penche beaucoup trop sur la gauche, là !?

   Je lève les yeux vers le bâtiment et découvre en effet une planche peinte. Sauf que...

- Pour moi, elle est très bien.

- Tu vois ? Je te l'avais dit ! S'écria Fry; ça fait trois plombes qu'il me casse les pieds pour rien !

- Puis au pire, ça donnera un style si elle tombe un peu, non ? Je proposai.

- Vous ne comprenez vraiment rien... Dit Kyle en fixant la planche avec un air dépité un peu exagéré, ce qui me fit rire.

   Je repris doucement mon petit tour quand quelqu'un m'arrêta (encore).

- Gally.

   Ce gars, je suis sûre de rien. Il vient jamais me causer, ne m'a jamais rien demandé mais m'envoie des centaines de regards désapprobateurs, alors que je n'ai rien fait ! Et ça me perturbe. Beaucoup.

- Je peux te parler ?

- Euh...

   Il veut me parler ? Lui ? C'est pas possible... Il lui est arrivé quelque chose pendant la nuit, je vois pas autre chose.

   Voyant mon air d'incompréhension totale, il soupira et reprit:

- Ecoute... On est partit sur de mauvaises bases, tous les deux.

   C'est de mieux en mieux, là...

- Et... Je t'ai observé depuis que t'es arrivée.

   S'il croit me rassurer en disant ça...

- Je crois qu'il faut que je me rende à l'évidence. Soi tu joues vraiment bien la comédie, soi t'es sincère. Je te fais confiance mais fais gaffe, je te garde à l'œil, quand même.

   Et il repartit. Ok...

- Apparemment, ça le tue trop de juste dire "je suis désolé".

   Je me retourne et vis Newt, le regard posé sur Gally qui s'éloignait.

- Mais... Je comprends pas... C'est pas lui, ça. Ca fait trois semaines que je suis là et s'il y a bien un gars qui peut pas me voir ici, c'est lui. Encore hier soir, il me tuait du regard et là...

- Tu sais, il a sa fierté. Il est comme ça depuis qu'il est là. Mais il comprend bien aussi que si on veut réussi à se barrer, il faut rester soudés.

- En gros, il a un peu fait ça pour sa poire.

- Ouais. Ou alors...

   Il esquissa un petit rire. J'ai pas compris.

- Ou alors, c'est qu'il commence à vraiment bien t'aimer, si tu vois ce que je veux dire... !

   Il me fit une petite danse des sourcils avec un petit sourire moqueur avant de s'éloigner à son tour, me laissant là. Choquée.

- Non mais ça va pas !! C'est dégoûtant ! Comment tu peux dire ça ?! Ah !!!

   Ca y est, j'avais la situation en tête et franchement, j'avais pas besoin de ça. Non, mais vous imaginez ??!! Beurk... Gally, non mais sérieux ???

   Et le pire, c'est qu'il est mort de rire, l'autre, là !

   Le soir, une petite veillée auprès du feu était organisée avec tous ceux qui le voulait.

   Moi, j'étais assise, par-terre, appuyée contre un rondin de bois, dos au feu. Je pensais. A quoi ? Aucune idée. Peut-être à la possibilité que Gally... Non, je ne peux même le prononcer dans ma tête sans faire une tête horrifiée ! Est-ce qu'il était vraiment sérieux en disant ça ou c'était juste pour me faire marcher ? Parce que si c'est ça, il m'a bien eue... L'imbécile.

- Ca va ? T'as l'air... Ailleurs.

   Je tourne la tête et tombe sur Noah. Tant mieux, je ne veux voir personne d'autre.

- Mouais... Mais si je te racontais, tu te ficherais de moi.

- Tente toujours. Si tu savais le nombre de choses qu'on m'a raconté depuis mon arrivée, ça peut pas être bien pire !

- Ce matin, Gally est venu me voir pour s'excuser et tout... Quand il est repartit, Newt a émis l'hypothèse que peut-être, il... Il m'aime.

- Qui ? Newt ??

- Non ! Gally ! Non, mais t'imagines ??

- Euh...

- Il était sérieux, tu crois ?

- En vrai... Je pense pas. Ou ça m'étonnerait beaucoup, vu qu'on ne peut rien me cacher !

   On rigola gentiment puis il reprit la parole:

- Bon, oublie. Ca a l'air de vraiment te retourner la cervelle, tu réfléchis trop. Viens danser un peu ! Ca va te faire du bien !

   Noah se releva et me tendit sa main, que je pris. Il m'entraîna ensuite plus près du feu où certains dansaient déjà. Il a raison: je réfléchis beaucoup trop.