26 - Le début du reste de notre vie 🌓

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Je ne pensais pas que rêver m'était encore possible. Je ne pensais pas pouvoir remarcher, de nouveau parler de vive voix. Je ne pensais pas un jour pouvoir être de nouveau moi-même, humaine, debout sur deux jambes.

Il n'y a rien de plus troublant que de rester emprisonnée dans un corps qui n'est pas le nôtre, d'agir d'une façon qui n'est pas la nôtre.

Le rêve que je fais est sombre, humide, sanglant, triste. En fait, je rêve de ce que j'ai vécu durant quatre mois. Je rêve d'une vie bestiale, solitaire, froide et effrayante. J'ai tué, j'ai démembré, blessé, traqué... pas simplement des animaux, mais également des êtres humains. Durant quatre mois, je n'ai pas su être consciente de ce qu'il s'est passé et aujourd'hui encore, je ne suis pas certaine d'en être consciente.

Comment est-ce arrivé ? Pour quelle raison ? Pourquoi me suis-je autant battu ? Pour ma fille ? Mais en quatre mois, je l'ai littéralement abandonnée...Se souvient-elle encore de moi ? Du son de ma voix ? De mon odeur ?

Je pensais la malédiction de la Lune irréversible et pourtant...

À mon réveil, je cligne plusieurs fois des paupières. Je me trouve dans ce qui ressemble à une chambre, sur un lit douillet. Quand je tourne la tête, je reconnais Marius, assis sur le canapé en face, la tête posée sur la paume de sa main, endormi. Il est devant moi. Après tous ces longs mois sans sa présence... je le croyais perdu à jamais.

Je me redresse doucement et me frotte les yeux de mes mains tremblantes. Il est bien là, je ne rêve pas. Je descends mon regard doucement sur mes bras plein de terre et de sang, de petites brindilles qui semblent avoir fusionnées avec ma peau sont collées ici et là. Je tourne mes mains, observe mes longs doigts fins, mes ongles cassés, encrassés...

D'une certaine façon, je redécouvre mon corps, en oubliant celui du loup.

— Tu es réveillée, entends-je murmurer.

Je relève la tête, Marius se redresse et se masse les globes oculaires avant de poser son regard glaçant sur moi. Il n'a pas vraiment changé. Ses cheveux ont poussé depuis mes souvenirs, sa barbe de quelques jours également, sa cicatrice strie toujours sa joue en deux mais me paraît bien plus blanchâtre qu'avant.

— Tu te souviens de moi ? Reprend-il en prenant appuie sur ses jambes, toujours assis sur le canapé.

Je hoche doucement la tête.
Suis-je en capacité de parler ?

— Tu te souviens de ce qu'il s'est passé ?

Je me souviens m'être raccrochée à la vie. Et le reste n'est qu'un trou noir. Alors je secoue la tête négativement, mes bras reposant sur les couvertures qui dissimulent mon corps nu.

— Le Lien Lunaire entre Alice et toi a été brisé.

Je le fixe sans un mot.

— Alice est morte.

Mon coeur rate un battement et j'entrouvre la bouche, un simple souffle en sort, saccadé, tailladé par des sanglots. Un flash me revient en mémoire, des cris, des larmes et Alice qui s'écroule sur le sol, meurtrie par les flèches des chasseurs.

— Alors... Max m'a raconté qu'il pensait que Sam t'avais ramené en lieu sûr, pour échapper aux chasseurs.

Sam... où est Sam ? Mon meilleur ami. Je vois Marius baisser la tête un instant et se pincer les lèvres. Je sais pourtant que je me rappelle leur texture et leur goût. Néanmoins, sa manière de se comporter me fait comprendre qu'aucune bonne nouvelle ne me sera annoncée aujourd'hui.

— Sam est mort pour te protéger...

Je déglutis difficilement puis me pince les lèvres. Ma gorge devient sèche, mon coeur s'emballe, ma respiration aussi. J'entrouvre la bouche mais j'ai la sensation de suffoquer. Je pose alors ma main sale sur ma poitrine, je halète, je perds pieds et mes larmes roulent sur mes joues. Marius se lève aussitôt, il s'assoit sur le bord du lit, pose sa main sur mon épaule et me tire contre lui. J'enfouis ma tête contre son cou tandis que ses bras forts et chauds me serrent davantage pour me réconforter. Je ne peux m'empêcher de pleurer, une forte douleur me tiraille l'estomac. J'ai l'impression d'avoir perdu un membre, un creux se forme dans mon coeur et je ne peux plus supporter aucune perte.

— Je suis sincèrement désolé, Monroe...

Je m'accroche à son pull, je le serre de toutes mes forces, les yeux fermés, je n'ai que le visage de Sam en tête. Je me rappellerai toujours de nos soirées geeks chez moi, à boire de la bière, manger de la pizza, regarder le Seigneur des Anneaux, Terminator ou encore Star Trek... Je ne pourrai jamais oublier sa bienveillance ni même ces trois années passées à ses côtés, à vivre sous le même toit, à partager des fous rire, des peines et des joies. Sam a toujours pris soin de moi et ce jusqu'à son dernier souffle. Je n'ai jamais eu l'occasion de le remercier, ni même de m'excuser pour l'avoir autant repoussé.

— Tout... balbutié-je, tout est... de ma faute...

Marius se détache de moi pour me regarder. Il saisit mon visage de ses mains rêches et me force à relever les yeux vers lui. Mon visage est humide de larmes et de son pouce, il en essuie quelques unes.

— On ne pourra jamais prédire de quoi sera fait demain, rétorque-t-il, et jamais... Monroe, jamais tu n'aurais pu savoir comment allait se dérouler ta vie.

— Je n'ai pas su le protéger...

Ma voix est enrouée, ma gorge sèche mais je parviens à parler.

— Alors comment pourrais-je protéger mon enfant...? reprends-je.

Le regard de Marius s'assombrit, sa poigne se fait plus forte.

— Jusqu'à présent, tu as toujours su la protéger. Tu l'as chérie, à ma place... pendant que moi... je me laissais encore une fois envahir par mes pulsions, ma haine, ma jalousie... Tu es une bonne mère et tu le seras toujours. Je ne doute pas une seule seconde que tu sauras protéger notre fille, même si tu dois y laisser ta propre vie. Sam est mort mais ce n'est pas de ta faute, il savait ce que ça lui coûterait.

J'inspire profondément et je hoche la tête. Il sait que c'est notre fille, il est au courant et je n'ai plus aucun doute sur le fait que sa naissance ne soit pas un fardeau pour lui.

— Alors dis-le, ordonne Marius.

— Je...

— Tu es une bonne mère.

— Je suis une bonne mère, marmonné-je.

— Non, dis-le et pense-le.

— Je suis une bonne mère !

Il me fixe un instant, ses mains toujours saisissant mon visage et il presse ses lèvres contre les miennes. Ce baiser me surprend mais me réchauffe, je ferme les yeux, la respiration coupée puis il m'enlace alors je me blottis contre lui, dans ce lit rassurant. Je garde mes yeux fermés tandis que sa main caresse mes cheveux emmêlés.

— Maintenant que nous sommes de nouveau réunis, Monroe, crois-moi que je ne te lâcherai plus.

Je me serre encore plus contre lui. Son odeur, sa peau, sa voix, ses mains, ses bras, son corps tout entier, tout m'avait terriblement manqué et c'est clairement une chose que je n'aurais jamais pu oublier, prisonnière du loup ou non. La Lune choisit peut-être les âmes-soeurs, la mienne est morte et pourtant, je suis toujours là. Marius est mon âme soeur, je le sais, je le sens et je l'ai toujours su.

C'est moi qui choisit mon âme-soeur.

Et que la Lune tente de me le prendre. Je la défierai.

— Aujourd'hui, mon amour, reprend Marius d'une faible voix, c'est le début du reste de notre vie.

Je n'ai plus peur de la Lune.

Je n'ai plus peur du Lien Lunaire.

Lien LunaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant