23. Arrachée 🌖

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Je n'ai jamais aimé.
Quand bien même j'aurais pu aimer, on m'aurait blessée.

J'ai souvent entendu des âneries à mon sujet. J'ai toujours eu cet air de fille au cœur de pierre. Cette fille qui couche avec des hommes. Qui se donne à eux comme une catin. Qui, pour beaucoup, est une asociale, sociopathe et nymphomane.

Mais un jour, ai-je eu le droit à l'amour ? Le véritable ? Est-ce qu'un jour dans ma courte vie, j'ai eu le droit qu'on reste auprès de moi ? Auprès de mon cœur qui n'attendait que ça ?

Je n'ai jamais su aimer.
Que ce soit les autres ou bien moi-même.

Puis j'ai aimé Samuel.
Puis j'ai aimé Max.

Par amour, j'ai voulu préserver Samuel.
Mais on me l'a tout de même arraché.

J'ai été liée malgré moi à Max, et ce lien a fait battre mon cœur, comme si la décharge d'un défibrillateur l'avait fait repartir.
Mais il l'a ensuite arraché.

Je suis arrachée.
Au cœur brisé.

— Monroe ?

Je cligne plusieurs fois des paupières afin de revenir à moi. Je vois flou au début puis ma vue devient de plus en plus nette. Marius est accroupi devant moi. Il passe une couverture sur mes épaules que je tiens pour couvrir mon corps. Je suis assise dans la terre, complètement dénudée et désorientée.

— Tu m'entends ?

— Oui, balbutié-je grelottante.

On dirait que j'ai de la fièvre. Une forte fièvre. Je me sens si mal. Vide. Détruite. Seule. Éternellement seule.

— Tu peux te lever ? Demande Marius.

Pourquoi a-t-il cet air sur le visage ? Comme s'il s'inquiétait soudainement pour moi. Comme si je comptais pour lui. Il me tend ses mains que j'attrape et je me relève tant bien que mal. Ma tête tangue, mes jambes tremblent et peinent à soutenir mon poids. Il passe aussitôt son bras autour de moi pour me soutenir. Je titube légèrement dans la terre humide qui glisse sous mes pieds nus. Puis je pousse un cri d'effroi en découvrant le cadavre d'un homme non loin de là. Son corps gît dans une mare de sang, son torse est ouvert, déchiré, lacéré, arraché, les os de sa cage thoracique ressortent comme là carcasse d'un animal... il lui manque son cœur et...

Marius colle ma tête contre lui, m'empêchant de continuer à détailler cette scène d'horreur. Je m'immobilise et ferme les yeux, ma tête collée contre son torse dur. Mon cœur tambourine ma poitrine, palpite dans mes oreilles...

— Ce n'est pas moi... pitié, ce n'est pas moi...

Un court silence plane.

— Rentrons, souffle Marius.

À la maison, j'entends le silence de l'absence de Max.  Je ressens le vide de son existence loin de la mienne. Comment se sent-il là où il est ? Samuel va bien ? Max m'a-t-il déjà oubliée ?

Je m'enferme dans la salle de bain. Je mets un temps avant d'oser retirer cette couverture et faire face au monstre que je suis. Lorsque je le fais, je regarde d'abord mes mains. Mes doigts sont couverts de sang séché, sous mes ongles, de la terre et de la crasse sont coincés. Je relève la tête vers le miroir pour alors affronter ces taches rouges qui colorent mon menton. Ce goût âpre que j'ai sur la langue depuis mon réveil... même le bout de mon nez a trempé dans le sang de ce pauvre homme mort.

Je lui ai arraché la vie comme Max m'a arraché la mienne. Comme il m'a arraché mes espoirs.

Ce lien n'est-il pas pire que ça ?
Peut-être bien que je le détesterai à présent.

— Regarde ce que tu as fait de moi... murmuré-je.

J'ai tué un homme cette nuit.
Un pauvre homme démuni.

Mais je ne m'en souviens plus.

J'entre dans la douche et laisse couler l'eau sur mon corps meurtri. Elle s'écoule, se mêle d'une couleur marron puis rouge... je ferme les yeux tout en passant mes mains dans mes cheveux, lesquels sont emmêlés avec des feuilles mortes et des brindilles. Je vois alors des flashs.

Samuel est là, assis quelques part, dans un endroit clair, propre, sur un fauteuil en cuir. Il relève la tête vers moi, ses yeux sont cernés et je lui tends quelque chose, enfin il... lui tend quelques chose. De la viande. De la viande crue.

Je serre des touffes de cheveux entre mes mains, m'accroupie et pousse un cri de colère qui se transforme rapidement en grognement.

Qu'est-ce que tu as fait Max...

Quelqu'un toque à la porte.

— Monroe ?! Est-ce que tout va bien ?

— Laisse-moi tranquille Marius ! Grogné-je.

Mon pouls s'accélère, ma respiration se mêle aux grognements provenant du fond de ma gorge. Pourquoi j'ai la sensation de ne plus contenir la bête ? Pourquoi j'ai l'impression d'avoir une force décuplée ? Et pourtant à l'intérieur je suis détruite.

— Je suis ton alpha ! J'ai besoin de savoir si tu vas bien après ce qu'il s'est passé cette nuit.

— Je vais bien !

Rien ne va. Mais je dois me convaincre du contraire.

— Je vais entrer.

— Non !

— Nous devons avoir une discussion.

— Nous l'aurons !

Je sors de la douche et me précipite vers la porte, manquant même de glisser sur le carrelage avec mes pieds mouillés. Je pose mes mains sur la porte puis colle mon front contre celle-ci.

— Nous aurons cette discussion Marius... mais je te demande une faveur et par pitié, pour une fois, prend la en compte, écoute moi...

Il ne dit plus rien mais je sens sa présence de l'autre côté. Son odeur... sa prestance... son pouvoir.

— J'ai besoin d'être seule. J'ai besoin de repos. Et... j'ai besoin de m'en remettre... s'il te plaît...

Un court silence place. Finalement, je l'entends soupirer.

— Repose-toi, nous parlerons demain.

— Merci...

Je peux entendre ses pas s'éloigner. Pour une fois, je lui trouve une part d'humanité et d'empathie. Chose qui ne semblait pas exister chez lui.

Je passe le reste de la journée au lit.
Je pleure.
Je dors.
Je pense.
Je vois à travers ses yeux.
Je grogne.
Je pleure à nouveau.
Je dors.
Samuel est en vie.
Je pense.
Max est loin de moi.
Je dors.
Il emmènera Samuel loin de moi lui aussi.
Je pleure.
J'aimerais l'en empêcher.
Je grogne.
L'amour me tue.
Je pleure.

Je suis arrachée.
Arrachée de sentiments.

Je vous remercie d'avoir lu !

Lien LunaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant