Ce matin je me suis levée de bonne humeur, préparant mentalement mon après-midi détente avec mon amie. Comme tous les matins j’ai préparé le petit-déjeuner de mes deux bonhommes, j’ai aidé mon fils à se préparer pour les cours et je les ai laissés partir.
Ce matin j’ai aidé ma mère à faire sa toilette et prendre son petit-déjeuner. Elle a elle-même choisi la robe qu’elle voulait porter. J’ai coiffé ses cheveux gris et ensemble nous sommes allées dans la cuisine. Et alors que je me plaignais d’avoir à encore faire la cuisine parce qu’Armand avait vidé toutes les marmites que j’avais préparées pour aujourd’hui avec ses frères et collègues la vielle, ce matin ma mère m’a dit qu’elle était fière de moi et de la manière dont je gérais ma maison, mon foyer. Une cousine est venue prendre le relais pour me permettre d’aller me faire chouchouter. Elle mangeait et m’a même dit en partant « à tout à l’heure ».
Mais je suis rentrée et elle n’est plus là. Ce matin j’avais une mère et ce soir je suis orpheline. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Je m’en veux. Pendant que je prenais du bon temps ma mère mourrait. Peut-être que ma présence aurait pu changer quelque chose. Peut-être que si j’étais restée elle serait encore en vie. Je m’en veux tellement… mais tellement.
J’entends la voiture d’Armand entrée dans la concession. Le moteur est toujours en marche mais j’entends sa portière se refermer. Il entre en trombe dans le salon et lorsqu’il me voit il se fige. J’avais espéré qu’il démente tout en arrivant, qu’il me dise que le médecin s’était trompé ou que Junior avait mal compris. Peut importe, pourvu que cette nouvelle avait été démentie. Mais son regard désolé, sa position, je comprends que c’est bien vrai. Ma mère est bel et bien partie.
Je me jette en arrière en hurlant toute la douleur que je ressens. Armand vient me prendre dans ses bras mais pour une fois ce n’est pas suffisant. Ses mots ne suffisent pas à atténuer ma douleur. Encore moins la culpabilité que je ressens. Je viens de prendre mon dernier parent.
-
Heureusement je ne suis ni l’aînée, ni un garçon. Des responsabilités en plus de mon deuil, je ne pense pas que j’aurai pu. Je suis comme un mort-vivant, mon corps est là mais pas mon esprit. La dernière fois que j’ai aperçu mon visage dans la glace, il faisait peur.
-votre famille paternelle n’est pas venue hein ?
Je ne vois pas l’intérêt de lui répondre. C’est visible, tout le monde voit bien que depuis une semaine aucun membre de ma famille paternelle n’est venu nous soutenir. Certains ont appelé, promis passer, mais je n’ai rien vu. Si leur présence pouvait ramener maman, je serais actuellement allongée devant eux à les supplier de venir. Mais comme ce n’est pas le cas, qu’ils viennent ou pas est le cadet de mes soucis actuellement.
-lorsqu’on parle du loup. Les voilà qui arrivent comme de simples visiteurs au décès d’une femme qu’ils ont dotée. La honte hein !
Mon regard suit celui de la commère. Une délégation d’une trentaine de personnes vient de faire son entrée. Je les regarde de loin sans rien dire. Huit jours, huit jours que ma mère est décédée, son corps est actuellement en route pour la maison et sera enterré le lendemain. Ce n’est qu’aujourd’hui qu’ils viennent.
Je n’ai pas le temps de m’attarder sur eux que la sirène du corbillard se fait entendre au loin. J’essaie, j’essaie de tout cœur de me contenir. Je garde mon calme lorsque le véhicule entre dans la cours, mais lorsque le cercueil en sort, je n’y arrive plus. De savoir que c’est ma mère inerte dans ces planches de bois soulevées par Armand, Junior et mes deux beaux-frères. C’était trop. C’était beaucoup trop.
Mes amis, mes anciens collègues, même Grégoire étaient là ; mon fiancé et mon fils étaient là ; ma famille entière était là, mais la solitude qui m’a envahie à ce moment ne peut être exprimé par des mots. J’ai regretté toutes les fois où je me suis fâchée avec elle. Toutes les fois où je l’ai ignorée, ignoré ses appels. Elle n’était certes pas parfaite, mais elle était ma mère. Cette mère qu’on soulève dans un cercueil actuellement.
Les gerbes de fleurs et les gens défilent. Je suis assise au milieu de mes anciens collègues totalement ailleurs. Tout le monde travaille sauf moi, je ne peux simplement pas me tenir debout.
Les chorales se succèdent jusqu’à l’aurore. Il est 4h et il ne reste que la famille proche. Certains dansent avec les chorales, d’autres s’étaient regroupés pour discuter, et les autres dormaient comme ils pouvaient où ils le pouvaient. Moi j’étais dans la chambre avec ma petite famille à fixer le ciel, à penser.
-Kaya tu dois dormir.
-je n’y arrive pas. A chaque fois je pense à ce qui se serait passé si j’étais restée.
-tu n’aurais pas pu changer quoique ce soit Kaya. Ta présence n’aurait absolument rien changé. Il faut que tu arrêtes avec ça.
-…
-viens te coucher s’il te plaît. Ça fait trois jours que tu dors moins de cinq heures par jours.
Je me couche près de lui. Lilian est entre nous alors nous nous tenons la main au dessus de sa tête. Il se rendort aussitôt. Moi, je ne sais pas à quel moment je me suis endormie.
Armand me réveille doucement. Avec mes sœurs et mon frère, c’est le moment de dire à dieu à notre mère en toute discrétion. Rien que ses enfants, ses gendres et belle-fille. Ils n’attendent que moi, je marche lentement. Mes jambes sont lourdes. J’hésite, je ne sais pas si je veux le faire. Je ne l’avais pas encore vue.
Je reste à une bonne distance du cercueil, de ma position je ne peux pas la voir. Le Pasteur entame un chant repris par Antia, puis la prière. Après le amen, c’est le moment. On doit lui dire au revoir. Armand me soutient toujours car incapable de tenir debout toute seule. Je suis la dernière à y aller. Lorsque je la vois, le cris part de lui-même, réveillant ainsi tout ceux qui dormaient encore. Jusque là ce n’était pas réel. Jusque là je ne réalisais pas vraiment.
Ça a été encore plus difficile lorsque le cercueil a été mis en terre une dizaine de minutes plus tard. Son âme est partie, son corps a suivi.
-
Je sors d’une hospitalisation de cinq jours suite à une montée de tension. Juste à temps pour participer à une réunion de famille. Lorsque j’arrive je suis étonnée de constater la présence de quelques oncles paternels. Je ne dis rien et m’assoie. Tout le monde s’interroge sur ma présence, pense que je n’aurais pas dû venir, mais je suis déjà là.
Mes parents n’avaient aucun bien si ce n’est la maison dans laquelle nous sommes réunis. La question est de savoir s’il faut la mettre en location, la revendre, ou la laisser vide.
-c’est la maison dans laquelle nous avons grandi, je ne peux pas me résoudre à la vendre ou la confier à un inconnu. je dis faiblement.
-la location nous reviendrait à combien ? intervient Oremi. A peine trente mille chacun. A-t-on besoin de cet argent ? Moi aussi je préfère la laisser vide. Pas vide mais avec un gardien par exemple.
-papa aurait voulu que cette maison revienne à son fils car nous les filles étions sensées aller en mariage et gloire à Dieu, nous sommes toutes mariées ou presque.
Mon aînée venait de prendre la parole alors qu’elle était restée silencieuse depuis le début. Elle avait vieilli en si peu de temps. Je l’observe et réalise à quel point elle aussi est atteinte par le départ de notre mère.
-papa m’avait toujours dit que la maison était la mienne mais que je ne devais jamais refuser d’accueillir l’une de mes sœurs si elle se retrouvait dans des difficultés. C’est maison certes mais vos avis comptent. Si vous ne voulez pas d’étrangers dans cette maison, il n’y en aura pas. Cette maison vous sera toujours ouverte si vous voulez venir en vacances ou autres. Pour la sécurité je vais me renseigner sur comment prendre un gardien ou même s’il y a meilleures solutions.
Nous approuvons toute sa décision.
-au lieu de prendre un gardien qu’il faudra payer, pourquoi pas un cousin qui ne fait rien ? C’est moins coûteux et plus sûr.
C’était un oncle paternel qui venait de prendre la parole, apparemment soutenu par ses frères.
-il y a plusieurs cousins qui traînent, poursuit-il. L’un d’eux peut venir s’installer gratuitement, pas besoin de le payer.
-merci mon oncle mais non merci.
-donc vous préférez confier la maison à un inconnu ? Je ne suis pas d’accord.
-avec tout le respect que je te dois mon oncle, j’avais besoin de vous lorsque je me suis retrouvé avec le cadavre de ma mère dans les bras. Quand je me faisais des cheveux blancs pour enterrer dignement ma mère. Vous n’étiez pas là. Cette femme était mariée à votre famille, dotée par vous. Elle meurt et vous venez les bras ballants uniquement à la sortie du corps. Votre position était plus que claire. Si vous ne vous êtes pas souciés de cette femme, ce n’est pas de ses biens que vous allez vous soucier.
-c’était la maison de mon frère aussi, j’ai aussi le droit de donner mon avis.
-et nous l’avons entendu mon oncle. Mais je ne suis pas obligé de le soutenir.
Ils se chamaillent un peu et étrangement, Otima reste silencieuse, pensive. Mes oncles finissent par prendre la porte en colère.
-autre point. poursuit Junior une fois entre nous. Kaya, maman tenait à ce que ton mariage ne soit pas affecté par son départ. Elle l'a explicitement et à plusieurs reprises fait savoir, ton mariage ne doit pas être repoussé à cause d’elle.
-est-ce que j’ai le cœur à faire la fête alors que je pleure encore ma mère Junior ?
-tu as encore sept semaines devant toi. C’était sa volonté. Par contre pour certaines personnes, le mariage sera repoussé.
Nous sommes tous étonnés. Que veut-il dire par là ?
-c’est l’orphelin qui connait vraiment le visage et le cœur des hommes c’est bien vrai. On a perdu notre père deux fois, certaines personnes n’ont pas jugé utile de nous soutenir. On perd notre mère et c’est la même chose. Mais pour venir recevoir les honneurs ils seront au premier rang ? Même un appel, un SMS de vingt-cinq francs c’était trop leur demander. Une petite enveloppe de cinquante mille n’en parlons même pas.
-je sors de l’hôpital, je lui fais remarquer en mettant en évidence mes pansements. Je n’ai pas la tête à planifier un mariage, faire la fête ou que sais-je. Dans deux semaines ou deux jours, peut-être que j’aurai changé d’avis mais là c’est trop tôt.
-c’est de ma faute si elle est morte.
Cette affirmation d’Otima nous laisse tous pantois. Elle poursuit sa confession.
-je suis allée la voir la veille de son décès et elle s’est mise à nous comparer toutes les trois. Comparer nos façons de tenir nos foyers. Je savais que sa santé était fragile mais il fallait que j’ai le dernier mot. Il fallait que je réponde. Et maintenant elle est morte, à quoi ça me sert d’avoir eu raison, de m’être faite entendre ? Est-ce que ça vaut la présence d’une mère ? J’ai tué maman. C’est de ma faute.
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Qu'est-ce que l'amour
Non-FictionL'histoire de Kaya et ses tumultueuses relations amoureuses. Kaya qui veut comprendre comment fonctionnent l'amour et les relations amoureuses.