Chapitre 23

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         ***Trois années plus tard***

-Dans la catégorie « Femme Modèle de L’année », les nominés sont Carla EDOU épouse TSHOGO, Vanissa METOUKOU, Soraya MACKAYA épouse IFEDJIKA, Kaya WEMBA épouse NKOMA. Et la femme modèle de l’année essssssssst… Kaya WEMBA épouse NKOMA.

Je me lève surprise et émue. Pour moi, le prix revenait à Mme METOUKOU. Sous les acclamations de la foule, je marche jusqu’à l’estrade récupérer mon prix. Une statue en or en forme de V que je brandis en l’air.

-bonsoir tout le monde. Si je m’y attendais. Je vous assure que c’est un réel plaisir de gagner ce prix, que son travail, ses efforts soient reconnus, car c’est énormément de sacrifices et de don de soi qui se cachent derrière ce trophée. Je voudrais juste remercier mon premier support, mon carburant, j’ai nommé mon cher époux Armand NKOMA. C’est lui qui est à l’origine de mes entreprises. Ensuite mes enfants, ma famille, mes employés et surtout nos consommateurs et clients fidèles. Je vous remercie.

Avant de regagner ma place, je salue les autres nominées de ma catégorie qui m’acclament sincèrement. Armand m’attend à l’entrée de la rangée dans laquelle je suis assise et je lui roule une pelle en le remerciant une fois de plus.

En trois ans, après mon retour d’Éthiopie je suis revenue avec une toute autre vision de mon business. Une vision qui nous a coûté. Ça fait trois ans que même pour aller au village c’est compliqué. Maintenant il y a « Bidzi Food », « Bidzi Le salon de thé » et « Bidzi Le glacier ». Trois restaurants côte à côte séparés par des parkings. Bidzi Food est le plus prisé, les gens viennent surtout pour y faire des photos. Pourquoi ? Il y a du sable partout on se croirait à la plage. Je vous fais faire un tour virtuel.

Au portail il y a l’hôtesse d’accueil, si un jour elle perd son sourire elle sait qu’elle a perdu son travail. Lorsqu’on entre, il y a une petite fontaine pour que les tout petits puissent se baigner pendant que les parents mangent. Autour de cette fontaine, du sable sur lequel sont disposés les table sous les gros parasols. Tout au fond la cuisine et le comptoir. A l’extrémité gauche l’air de jeux avec les châteaux gonflables, bacs à sable, cabane en bois, toboggan, balançoire et un coin jets d’eau pour les enfants.

On veille à garder l’établissement « bon à fréquenter » c’est pour cela que les prix sont légèrement élevés, pour décourager les « bangandos ». Mais pour le service emporter sur le parking, les prix sont à la portée de toutes les bourses. Le concept est le même, réapprendre à consommer gabonais. Même dans les boissons étrangers, il y a toujours une mini touche gabonaise.

Le salon de thé est comme tous les autres. Avec des produits dans la plus part du temps cultivés par moi-même. Le design est aussi tout autre chose. Tout pour rappeler le Gabon. Les matières, couleurs, objets de décoration, etc. que du made-in Gabon. Même la pâtisserie est pour mettre en avant les produits du territoire.

Quant au glacier, rien d’extraordinaire. Juste que toutes les glaces sont au saveurs ou parfums locaux. Donc il n’y a pas de glace à la fraise par exemple.

Mon ambition est d’ouvrir des restaurants à l’intérieur du pays. Avec mon équipe on étudie tout ça, où ouvrir après Libreville. Armand pense que je devrais d’abord envahir la capitale en investissant dans toutes les communes. Tout ceci est en études.

Du côté de « Toile d’araignée ». C’est pas l’explosion à laquelle je m’attendais mais je ne fais pas non plus de perte. J’ai confiance en cette entreprise et je sais qu'elle sortira totalement de l’eau un jour. Je garde espoir et tiens bon, pas question d’abandonner. Surtout pas après le prix que je tiens entre les mains.

Après la cérémonie, Armand et moi rentrons  sonnés et un peu pompette. On se met directement au lit pour une baise torride qui précède un sommeil profond.
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-ça va maman ? demande Armand en caressant mon ventre.

-fatiguée mais ça va. je lui souris.

Il y a deux ans on a décidé de faire un autre enfant. Après plusieurs discussions, on a opté pour la PMA. A cause de mes projets fous, impossible d’aller le faire à l’étranger. La meilleure clinique ici dans le domaine est là clinique OYÉ. Mon gynéco est un vieux Monsieur de la soixantaine qui a fait accoucher plus de femmes qu’il n’a de cheveux sur la tête.

En deux ans ça ne prenait pas. Au total huit FIV rejetées par mon corps, je commençais à me décourager. Mais ça y est, j'en suis à ma dixième semaine. Juste par mesure de précaution, on va faire le test au bébé. Mais normalement il est AA, on a dépensé pour ça.

Le réveil est souvent pénible avec des nausées et une poitrine lourde et douloureuse. J’aimerais bien que ça soit une fille cette fois-ci.

La table est déjà dressée pour le petit-déjeuner. On a désormais une nounou à domicile car avec le boulot j’ai souvent du mal à suivre à la maison. Quand je peux c’est moi qui fais la cuisine sinon la nounou et le cuisinier gèrent. Moi qui critiquais ces femmes qui confient la gestion de leur cuisine aux domestiques. Comme quoi ne jamais juger si tu n’as jamais été dans la même position.

-c’est quand le rendez-vous chez le gynéco ?

-mardi en quinze. Il est en vacances actuellement.

-envoie un message à Nadyiah pour qu’elle le note dans mon agenda.

-tu peux aussi le faire toi-même hein. Tu prends ton smartphone et va dans ton calendrier.

-oui c’est vrai. Mais je paie une assistante pour tout ça. Allez bisous.

Il m’embrasse.

-les garçons je m’en vais. Vous allez vous débrouiller en taxi.

-non papa ! On arrive.

Amaël est prêt, c’est toujours Lilian qui traine le pied les matins.  Je ne m’en mêle pas car ça ne me regarde pas. Si son père le laisse il prendra le taxi, et comme il n’aime pas ça, bah le voilà qui débarque dans la salle à manger les chaussures en main.

-au revoir ma maman. m’enlace Amaël.

-au revoir mon chéri.

Lilian me lance un bonne journée à la volée. Il est pressé à ramasser je ne sais quoi dans toute la maison. C’est toi qui te réveilles en retard, c’est toi qui ne fais pas ton sac la veille, c’est encore toi qui es lent

Le portail se referme laissant le silence et le vide derrière lui. Ce matin je dois me rendre à la banque m’entretenir avec mon gestionnaire avant toute chose. J’ai envie qu’on voyage avec ma famille. De me faire plaisir, un peu de shopping. Pourquoi pas refaire ma garde-robe ? On s’est trop serré ces quatre dernières années.

Ensuite comme tous les lundis, CODIR à Bidzi (Toile d’araignée c’est le jeudi). Et dans l’après-midi je vois mes directeurs financiers. Voici mon programme pour ce lundi.

Avant de partir, je discute avec le cuisinier sur le menu du jour. A 8h39 je suis dans mes locaux. Là aussi il y a du changement. Le local a été racheté (même si je n’ai pas encore fini de payer), je l’ai modifié et maintenant il y a quatre étages. La réception, salle de réunion et cantine en rez-de-chaussée, l’Etoile d’araignée au premier, Bidzi au deuxième, et au troisième ce sont mes locaux : mon bureau et celui de mon assistante, une salle de réunion, un salon VIP et une douche. Quand je serai très trop riche, je mettrai une salle de sport. Vous comprenez pourquoi c’était serré ? Mon cerveau tournait sans cesse, Armand a dû me ralentir sinon c’était mal parti. Heureusement j’ai toujours pu compter sur ma banque.

On conge à la porte de mon bureau, c’est forcément mon assistante alors je lui demande d’entrer. Elle m’apporte tous les journaux papiers de la ville ainsi que le Zoom. C’est dedans que j’ai trouvé pas mal de pépites et informations qui m’ont fait économiser ou gagner de l’argent. Je lis le plus important avant d’aller en réunion.

Jusqu’à la fin de la semaine c’est ainsi le rythme. En semaine on ne passe pas beaucoup de temps en famille, il arrive même qu’on ne dîne pas ensemble car j’ai un dîné d’affaires. Alors le samedi après-midi et le dimanche il n’y a pas de boulot. C’est difficile mais si on ne s’y tient pas, on ressemblera vite aux familles des films où les enfants et les parents se voient une fois par mois. Et heureusement qu’Armand est là. Il est encore plus proche de ses enfants, je n’ai jamais vu une telle complicité chez des pères africains. Parfois je suis un peu jalouse, parfois je m’en veux, mais ce sont des garçons. Il vaut mieux  que leur meilleur ami soit leur père.

Après tout ce qui rentre dans l’oreille gauche de mon mari sort par mon oreille droite et vice versa. Après l’amour si vous pouviez savoir comment on critique les gens (😄). Toutes les cachotteries père/fils sont en réalité père/fils/mère. Mais je joue le jeu, je fais celle qui ne sait rien.

Ce weekend les garçons ont décidé d’aller me faire un peu de recettes à Bidzi Food. Et dimanche piscine partie pour tous.

Déjà avant d’arriver au restaurant, on a appelé pour réserver une table pour deux adultes, un ado et un enfant. Sans réservation, tu peux attendre jusqu’à une heure pour avoir une table, quelqu’un a même notifié sur notre page avoir attendu deux heures avant de se décourager et partir. Ce n’est pas tant de notre faute, l’endroit est réputé et certaines personnes quand elles viennent ne veulent plus partir.

Lorsqu’on arrive la réceptionniste n’est pas souriante. Je ne demande pas de sourire bêtement mais d’avoir un air accueillant, chaleureux. Quelque chose qu’on ne connait pas dans ce pays.

-je ne vois pas votre réservation Monsieur. elle dit à Armand avec hauteur.

-donc que faire ?

-il faut attendre qu’une table se libère.

Je ne dis rien pour voir jusqu’où elle est capable d’aller.

-Madame on a appelé pour réserver une table il y a trois heures. Je ne vais surement pas attendre alors que j’ai réservé.

-je viens d’arriver Monsieur. Ce n’est pas moi qui ai pris votre réservation donc ne vous en prenez pas à moi.

C’est trop pour moi.

-appelez-moi votre manager jeune fille. j’interviens enfin.

Elle me dévisage avant de me demander d’attendre qu’elle finisse avec les clients dans la queue derrière moi.

-vous prenez votre bipeur et vous me bipez le manager sur le champ. Je suis encore calme.

A ce moment elle prend peur, se demande qui je suis. Elle bipe le manager qui met 20mn à arriver. Lorsqu’il me voit il se fige. Oui, il me reconnaît contrairement à l’autre.

-bonjour Mme NKOMA, il bafouille.

-lundi je veux vous voir ainsi que le RH dans mon bureau à 11h précise. J’ai appelé il y a trois heure pour réserver un table à 14h et la réceptionniste me demande d’attendre alors que j’ai respecté l’heure.

-ils sont comme ça ici. Au début c’était bien mais depuis un moment, que le désordre. pimente une cliente. J’attends depuis 45mn alors que j’ai réservé hier.

Le manager se met à transpirer, il prend le registre et en même pas 10mn la situation est réglé.

-vous réduisez de trente mille la facture de la dame qui se plaignait.

Évidemment que ça sera prélevé de leur salaire. Le mot à du passer, les serveurs sont à cran, tendus. On dirait que je suis un mauvais employeur alors que pas du tout. Les gens sont trop mal éduqués, non professionnels. Aucun métier n’est facile, vraiment aucun. Que tu le fasses par amour ou par obligation, ce n’est pas la faute des clients. Tes problèmes doivent rester à la porte de ton lieu de travail. Le client n’est pas facile, mais le client paie ton salaire. Il y a un manager pour s’occuper des clients impolis, toi reste professionnel.

La serveuse dépose nos boissons et ses mains tremblent. Je lis son prénom sur son uniforme.

-merci Bertille. On peut passer la commande ?

Mon sourire ne suffit pas à la décrisper. Ça ne me plaît pas parce que je veux aussi que mes employés soient à l’aise. C’est pas l’armée et je ne crache pas le feu.

Elle note silencieusement nos commandes et s’en va. Amaël aussi va dans le parc de jeu et Lilian sort son téléphone pour se connecter au Wi-Fi gratuit pour 1h.

-tu les as traumatisés ou quoi ?

-je ne comprends même pas pourquoi. Bref, on est là pour prendre du bon temps.

Lilian se lève avec son verre et se dirige vers le parc de jeux à son tour. Il va sûrement parler avec sa copine.

-quand est-ce qu’on leur dit pour la grossesse ?

-après les résultats.

-Kaya ! Si nous sommes passés par la PMA c’était bien pour une raison non ? Pourquoi tu ne veux pas positiver ? Après huit FIV, enfin une qui reste.

-je sais. Mais je ne peux pas m’empêcher d’avoir peur.

Nous sommes interrompus par la serveuse qui revenait avec notre nourriture. Au moins le service n’est pas lent… enfin, si c’est pareil dans mon dos. Les enfants viennent manger, on rigole en famille malgré les regards et les chuchotements. Certains m’ont reconnue, d’autres s’interrogent toujours.

-maman tu es une star hein.

-eh oui mon petit. Maman a travaillé dur et aujourd’hui ça paie.

-donc pourquoi on ne voyage plus ?

-Lilian mange pardon.

Avant de partir je laisse un pourboire de trente pour cent de la facture à Bertille.

-peut-être que tu aurais eu plus si tu n’étais pas aussi apeurée. Et gardez la monnaie. je lui dit en rendant le porte addition.
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Le dimanche comme convenu, nous allons à la piscine. J’ai un petit ventre, en général mes grossesses commencent à se voir vers le sixième mois. Je me permets donc de me mettre en maillot de bain deux pièces.

-Mme NKOMA attention hein ! Votre maillot de bain la…

-il quoi ? je demande en m’inspectant comme si je n’avais pas compris le sens de sa remarque.

-maman ça c’est quel maillot de bain ? Est-ce que les mères mettent les maillots comme ça ?

-et les mères portent quel genre de maillot Monsieur Amaël NKOMA ?

-si tu étais ma femme j’allais te dire de mettre une robe.

Pendant que je suis choquée, Armand éclate de rire. Non mais carrément quoi ! Mais quel culot ! Je suis tellement dépassée que je n’arrive pas à lui répondre. Et il retourne dans l’eau comme si de rien n’était.

-c’est toi qui leur enseignes le machisme ?

-moi ? A Amaël qui n’a que huit ans ? Non, c’est un petit homme et il réfléchit comme tel.

-carrément me demander de mettre une robe ! Non mais tes enfants souvent hein.

-je ne te demande pas de mettre une robe mais tout de même un paréo. Je n’aime pas trop comment on te regarde.

-je n’en ai pas pris.

-ce n’est pas grave, je vais t’en chercher un.

Pendant qu’il s’éloigne, je réalise que je suis en maillot de bain deux pièces après trois maternités et une en cours. Après Lilian je me trouvais tellement moche, grosse. Je détestais mes vergetures. Aujourd’hui je m’en fiche. Je m’en fiche car je sais que je suis la plus belle aux yeux de l’homme que j’aime. Cette homme qui revient vers moi avec un tissu en main.

-tiens, je l’ai pris assorti à ton maillot. Mets-le s’il te plaît.

Sans ronchonner, par amour pour lui je me couvre les hanches avec le morceau de tissu. Est-ce que me pavaner en deux pièces vaut mieux que le bonheur que me procure cet homme, la paix entre nous ? Hell to the no !

Je mets mes lunettes de soleil sur les yeux,  et m’adosse sur la chaise longue. Il me prend en photo puis me vole un baiser.

-imagine que ce jour à la sortie de l’assistance sociale je ne sois pas montée dans ta voiture. On allait passer à côté de tout ça ?

-j’allais te poursuivre, tu rigoles ou quoi ?

On rigole et je tourne la tête vers les enfants. Mon sang ne fait qu’un tour en voyant Grégoire près de mon fils. Armand qui avait suivi mon regard me demande de le laisser régler mais mon cœur chauffe trop. Armand aime trop le bavardage et Grégoire ne comprend pas le langage des gens civilisés. Mais contre toute attente, en voyant Armand venir vers lui, le dégonflé s’éloigne de l’enfant et retourne à sa table. Il passe sa main autour du cou d’une gamine qui fume et mâche vulgairement un chewing-gum.

-qu’est-ce qu’il lui a dit ?

-il n’a pas eu le temps de lui parler. Par contre, il serait peut-être temps qu’on lui explique les choses. Je préfère qu’il l’apprenne de nous plutôt que d’une personne mal intentionnée.

C’est ainsi que le soir même, Lilian a su toute la vérité sur son histoire. Armand voulait utiliser des filtres et omettre certains détails mais non. Sans rien ajouter ni retirer, je lui ai dit comment et pourquoi Armand est devenu son seul et unique père.

Ça l’a attristé. Beaucoup. Il en a pleuré même. Déçu de ne pas être le fils biologique de l’homme qu’il admire le plus. Déçu d’apprendre que son géniteur l’a abandonné sans remords, sans jamais revenir sur ses pas. Il était blessé, profondément blessé, mais il était préférable qu’il l’apprenne de nous.

J’imagine sa douleur, sa déception, mais qu’il sache que ses parents l’aiment et peu importe la situation, il sera toujours Lilian NKOMA fils d’Armand NKOMA.

Qu'est-ce que l'amour Où les histoires vivent. Découvrez maintenant