Chapitre I (1) : Refaire encore les erreurs de nos pères

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Le bruit de l'eau qui tombe en cascade et celui du verre craquelé sur lequel elle crépite donnent les premiers accords. Les cris d'un garçon au sourire tout sauf joyeux composent les premières notes. À bien y regarder, ils sont dix, dix personnes piégées dans une prison de verre. Dix silhouettes si différentes, petites et grandes, indescriptibles et pourtant si claires.  Le compositeur, vêtu de noir et blanc de la tête aux pieds, sourit, visiblement fier de son œuvre. La partition est brève ; elle se termine par une gifle sur la joue de celle censée être leur sauveuse. Elle tombe à genoux, les yeux dans le vide. Sur le côté, un compte à rebours égrène les secondes, impitoyable.

Tu ne peux pas les aider. Peux tu seulement aider qui que ce soit ?

Tu t'approches. Pour essayer de les réconforter ? À quoi bon ? Ils vont mourir, de toute façon.

Tu t'accroupis, près de la jeune femme au sol. Ses longs cheveux noirs dissimulent presque entièrement son visage. Sa joue est rouge de la gifle infligée. Autour, ils pleurent. Crient. Tremblent. Seuls quelques-uns demeurent calmes, mais impossible de les reconnaître. Ce ne sont que des silhouettes ajoutant leurs propres notes à cette symphonie. Tu l'appelles, cette femme au sol. Tu connais son nom, sans vraiment le connaître.

Aucune réaction. Pas même un coup d'œil. Aucun son ne sort de ta bouche. Elle ne t'entend pas. Elle ne te voit pas. Tu n'existes pas. Tu n’es rien. Qu’un fantôme pâle, un spectateur, un figurant d’évènements qui te dépassent. 

Tu ne peux pas agir.

Le bruit de l'eau se fait plus fort, les minutes semblent filer plus vite, emportant tout espoir avec elles. Les visages sont tendus, les yeux perdus dans le vide.

Le musicien monochrome sourit. Ses doigts s’agitent dans le vide comme il agiterait une baguette, mais ses mouvements sont comme sous l’eau, ralentis, maladroits et pourtant emplis de grâce.

Elle ouvre la bouche.

Et elle crie.

Mais aucun son ne s’échappe de sa bouche. Aucune note ne trouble la symphonie désormais silencieuse. Le monde devient figé, le miroir d’une réalité qui a cessé d’être et ne sera plus jamais. Le miroir a éclaté. Et les morceaux flottent dans l’air. La femme ne pourra jamais les rattraper à temps. Fragments d’une vérité innommable et inimaginable, celle de la mort.

Un océan va s’abattre.



… Mon portable indique treize heures.

J'ai beaucoup trop dormi.

Mes yeux me font mal après mes efforts colossaux pour pouvoir décoller mes paupières. La pièce est déjà éclairée d'une lumière froide, les volets grands ouverts dévoilent un paysage enneigé et des conifères immenses. 

Je m'attendais presque à me réveiller chez moi, au milieu des cris de gosses et de l'odeur de bacon frit, ou bien dans un hôtel, bercé.e par les bruits de la circulation en contrebas et la respiration de ma mère dans le lit d'à côté. Mais ce matin, il n'y a qu'un silence, étouffant, figé dans la glace. J'aurais jamais cru que ça me déprimerait autant, alors que c'est pourtant ce que je recherchais autrefois, le silence.  

Je repousse ma couette, et vais pour m'étirer, avant qu'une douleur lancinante dans mon bras ne me rappelle les évènements de la veille de façon désagréablement vivace. La journée commence bien, dis donc, j'ai déjà envie de retourner me coucher et de me réveiller seulement quand cette connerie magistrale sera terminée. Et comme si c'était pas suffisant, les photos de la veille sont toujours étalées sur le bureau. Je peux presque les entendre ricaner. 

Danganronpa : Babel's CurseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant