Chapitre I (19) : I bet you would have done the same

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La suite des événements se passe dans un tourbillon flou et étouffé de bruits et de couleurs.

Le siège, les instruments, les murs en plexiglas, tout a disparu sans que j'en ai le moindre souvenir.

Il ne reste que le corps inerte d'Hibiki au milieu du cercle.

Alors que certains escaladent leurs pupitres pour se rendre au centre, je reste figé. Mes pieds se sont ancrés dans le sol, et pourtant j'ai l'impression que je vais tomber.

La voix de Monokuma résonne à mes oreilles. Elle me paraît lointaine, déformée. Cauchemardesque.

– Le processus de transformation du sang n'était pas si long. Elle en aurait eu une quantité raisonnable pour une seule poussée si elle avait un peu attendu au lieu de tabasser le bouton. Enfin. Quand on ne sait pas se servir de son cerveau, c'est comme ça qu'on finit.

Elle dit qu'Hibiki aurait pu survivre. Mais ça n'importe plus, parce qu'elle est morte. Elle est morte.

Monokuma se lève péniblement, et Monoaku fait de même, en s'étirant de tout son long. L'œil rouge et cerné de noir de notre tortionnaire glisse sur Shun.

– Furusawa. Je veux que ce bordel soit nettoyé et ce truc rangé dans son tiroir à la morgue avant ce soir. Bonne chance.

Elle ne lui laisse pas le temps de protester, mais ce n'est pas comme s'il en avait la capacité. Son visage est livide, et il fixe le cadavre avec une terreur indicible. J'entends Altaïr lui dire quelque chose, et il semble se calmer légèrement. Cool. Il va devoir se taper tout le sale boulot, mais cool.

J'ai plus de force. Je peux même plus bouger. Je sens à peine la main sur mon épaule et la voix qui me dit doucement qu'il faut y aller me paraît inaudible.

Y aller ?

Et… Et laisser ça là ?

J'ai pas le temps d'y penser. Deux secondes après je suis dehors et quelqu'un me tient par les épaules, me pousse jusqu'à mon chalet. On m'assoit à la table, une assiette devant moi, je mange sans même savoir ce que c'est. Ça n'a pas de goût, ou bien je ne m'en souviens pas. Par contre je me souviens de la couleur du ciel par la fenêtre, gris et uniforme. Gris comme la fatigue qui me tombe dessus d'un coup.

Puis mon lit. Quelqu'un qui me caresse la tête en me murmurant quelque chose. J'ai moins froid. J'ai sommeil.

Dans la semi-obscurité de la chambre, je distingue deux formes penchées sur moi. Deux yeux bleus inquiets entourés de maquillage et des mèches mauves couplées avec un sourire rassurant.
C'est ma dernière vision avant de fermer complètement les yeux.

Je suis fatigué.e.

Seul.e.

Cette fois, tu es seul.e.

Ou peut-être que tu ne l'es pas.

Qu’est-ce qui importe ?

C'est que tu étouffes.

Tu ne peux plus respirer. C'est parfait, que tu ne puisses plus respirer. Tu gaspilles l'air avec tes poumons, alors bloque-les. Laisse-les se racornir, s'aplatir pour laisser toute la place au liquide noir et épais de ta propre saleté. Cache-toi, replie-toi, deviens la plus minuscule des ombres, jusqu'à disparaître. Tu te dégoûtes. Tu dégoûtes tout le monde. Regarde-toi. Regarde à quel point tu es seul.e, ça veut bien dire que personne ne voudra jamais de toi. Et même si c'était le cas, tout ce que tu touches est instantanément anéanti.

Misérable Midas aux doigts maudits et souillés, tu ne mérites pas d'exister.

Tout se tord en toi, tout se ride, tu te noies, coules jusqu'au plus profond de l'océan et l'océan t'écrase. Il t'écrase jusqu'à ce que ta poitrine ne soit plus qu'un cratère hurlant et rempli de démons en furie qui ne demandent qu'à te dévorer et t'entraîner dans leur éternel supplice.
Et tu les laisses faire.
Tu les laisses faire comme tu as laissé faire tout le reste jusqu'à ce que tu ne puisses plus rien changer, plus rien réparer, tu as tout ouvert et tu n'as rien refermé.

Danganronpa : Babel's CurseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant