Chapitre II (15) : Le vent secoue la maison

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Un pas en arrière.

Puis un autre.

Puis deux mains sur mes épaules, qui me stabilisent, m’empêchent de tomber en arrière, de m’effondrer à nouveau sur le sol couvert de suie.

Une odeur de brûlé, mais aussi de teinture bon marché et de parfum. Michiru. Elle ne dit pas un mot. Je sens son regard sur moi, son inquiétude, sa compassion.

Je n’en veux pas.

Kiseki et Shun ont fait pareil la dernière fois. Personne n’est foutu de se préoccuper de la bonne personne, c’est-à-dire, quelqu’un d’autre que moi.

Au hasard, la personne allongée à mes pieds. Assez près pour que je puisse distinguer le moindre détail de son visage figé, trop loin pour que le sang qui coule de ses plaies atteigne mes chaussures.

– Mika… Mika, s’il te plaît. Tu étais encore inconscient.e il y a un instant, tu ne peux pas rester là, la fumée ne s’est pas encore dissipée.

Pour la première fois, la voix d’Hibari m’horripile.

Est-ce que je suis lae seul.e à voir le putain d’éléphant dans la pièce ? Le putain de cadavre coincé sous les décombres ? Et si c’est pas le cas, pourquoi ils font tous comme s’il n’existait pas ? Comme si c’était un chat écrasé sur le bord de l’autoroute ?

Lan Yue est mort.e. Lan Yue est mort.e, alors pourquoi est-ce qu’ils s’inquiètent tous pour moi ? Je suis vivant.e. Je suis vivant.e, je ne suis pas la priorité, je ne suis pas celuel autour duquel on devrait s’affairer.

Pleurez, priez, bougez, arrachez-vous les cheveux, roulez-vous par terre, vous pouvez même vous jeter par la fenêtre, mais par pitié, faites quelque chose, ne restez pas là les bras ballants à regarder autour avec un air hagard, montrez-moi que vous en avez quelque chose à foutre de ce qu’il se passe !!

Lan Yue… Lan Yue ne…

Deux tombes de fortune.

Deux personnes assises dans la neige.

L’une soupire, amère.

“Si ça se trouve, ça sera peut-être moi lae prochain.e, qui sait.”

Lan Yue ne voulait pas mourir.

L’autre frissonne.

La première se redresse.

“Pardon, c’est super déprimant. Ca me fout un peu le cafard de vous imaginer en train de m’enterrer.”

Lan Yue ne voulait pas qu’on lae voit mort.e.

Un rire, sans joie. Un index qui trace mécaniquement des cercles dans la neige.

“Je crois que je préfèrerai qu’on me crame et qu’on me disperse dans le lac”.

Lan Yue voulait, à la toute fin, retourner à l’état de cendres. A-t-il eu seulement conscience qu’il vivait ses derniers instants au milieu d’elles ?

La personne qui parlait trop fort, qui me racontait ses amours, qui a essayé de m’aider alors que je ne le méritais pas, la personne qui a fêté ses vingt ans deux mois plus tôt à peine, ça ne peut pas être ce cadavre brûlé de partout, aux yeux vides, au maquillage ruiné, écrabouillé par des objets encore plus morts que lui, qui se vide encore de son sang alors même que tout autre mouvement a cessé.

Il ne peut pas finir comme ça. Non. Non, je refuse.

Je ne veux pas que cette image soit la dernière qui me reste de lui. S’il vous plaît. S’il vous plaît, dites-moi qu’il n’est pas parti comme ça. S’il vous plaît. S’il vous plaît.

Danganronpa : Babel's CurseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant