Chapitre 27

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Tchet

Les trois premiers jours après qu'on l'ait trouvée devant le portail du club-house dans cet état lamentable, Eleanor n'avait adressé la parole à personne. Pas même aux régulières ni à ma sœur avec qui elle s'entendait pourtant bien avant ça. Je n'avais toujours pas le droit de rester avec elle, elle n'acceptait pas que je l'approche.

Quand le Prés nous a raconté ce que les filles avaient appris, mon sang n'a fait qu'un tour et je comprenais enfin sa réaction vis-à-vis de moi ; ceux qui s'étaient attaqués à Eleanor cherchaient à se venger de quelque chose, et pendant sa captivité, ils n'ont pas arrêté de lui répéter que c'est ce qui devait arriver aux salopes qui baisaient avec un Brothers. Du coup elle doit certainement penser que si nos chemins ne s'étaient pas croisés, rien de tout ça ne lui serait jamais arrivé. Mais on se serait forcément rencontrés un jour ou l'autre ; à l'instant où mes yeux se sont posés sur elle à la clinique, je savais que je la reverrais.

Eleanor n'a pas pu les identifier, et personne ne veut remuer le couteau dans la plaie en lui demandant si elle se souvient de quelque chose d'autre, on prend notre mal en patience en attendant qu'elle puisse à nouveau affronter ce qui s'est passé.

La musique a bien fait son effet comme l'avait dit le Doc, et Eleanor n'a pas refait de crise d'angoisse depuis ce jour-là. Elle joue beaucoup. Les premiers jours elle ne voulait presque pas manger ou faire autre chose, elle restait enfermée dans la chambre à jouer sur son clavier. Heureusement qu'elle peut brancher un casque sur ce machin parce je pense que le Prés aurait fini par péter une pile à force. Son bureau est juste à côté de l'appart et au début, c'était tellement brouillon ce qu'elle jouait, rien de cohérent, un peu à l'image de ce qui devait se passer dans sa tête à ce moment-là. Puis au fil du temps, les mélodies qu'elle jouait étaient beaucoup moins rageuses, comme si les notes s'assemblaient pour enfin ressembler à quelque chose.

Parfois je l'écoute jouer en restant assis à côté de la porte de l'appartement, étant donné qu'elle refuse de me voir la journée. Mais comme je l'ai revendiquée officiellement, autrement dit aux yeux de la famille c'est comme si on était mariés, elle m'autorise quand même à dormir à l'appart, sur le canapé. Pour ne pas me mettre en porte à faux vis-à-vis des autres. Ça ferait tache que je ne dorme pas avec elle alors que c'est mon devoir de m'occuper de ma femme et d'être auprès d'elle.

Mais parfois, je profite qu'elle joue et qu'elle soit concentrée pour quand même rentrer en fin de journée et pouvoir la voir. Je pourrais la regarder faire courir ses doigts à une vitesse folle sur les touches de ce clavier pendant des heures, elle a un vrai don, le Doc avait raison. C'est fascinant à voir. Mais dans sa tête ça doit être un putain de bordel pour être capable de jouer comme ça, à moitié en transe. Dès qu'elle finit un morceau, elle donne l'impression de se réveiller après un bad trip. Comme si elle reprenait conscience.

Lorsqu'il n'y a personne au bar à part la famille ou les gars du club, Eleanor s'y pose, elle descend pour discuter avec eux. Elle s'installe au piano qui se trouve dans la salle commune et elle joue tout ce qu'on lui demande pendant des heures. Au grand damne de certains bourrus. On voit qu'elle va mieux. Je le vois. Elle sourit à nouveau, discute et ne s'enfuit plus comme une voleuse. J'ai retrouvé ma sœur plus d'une fois avec elle à chanter sur des morceaux qu'elle jouait. C'est d'ailleurs comme ça que j'ai appris que Jolene chantait super bien. Ce jour-là, ma mère n'avait pas manqué de me faire remarquer que si j'avais pris le temps d'écouter ma sœur au lieu de l'envoyer chier comme je le fais la plupart du temps, j'aurai su qu'elle chantait même dans un club de son bahut.

Quand Eleanor a commencé à se sentir mieux, au bout d'une semaine environ, elle a demandé à sortir, et le Prés et mon père ont convenus que le terrain derrière le club était assez abrité pour qu'elle puisse y prendre l'air sans risquer d'être vue de l'extérieur du Club House. Je l'ai observée un après-midi, marcher les pieds nus dans l'herbe. Elle est restée des heures allongées à regarder le ciel. Elle se réadapte tranquillement, sourit à nouveau même si c'est timide. Mais au moins elle accepte enfin un peu de compagnie.

Brothers in ArmsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant