CHAPITRE 1

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La chaleur que dégagent les spots de l'immense miroir de la loge fait perler sur mon front de fines gouttes de sueur. La maquilleuse râle entre ses dents, pensant sûrement, que je ne comprends pas un traître mot de sa langue natale, elle s'active à tamponner mon visage en me badigeonnant de fond de teint. L'épaisseur est si dense que j'ai la désagréable sensation de porter un masque qui tiraille mes traits à chacune de mes expressions.

Le stress s'ajoute à l'atmosphère étouffante de la pièce, ce n'est pourtant pas mon premier plateau télé. J'ai eu l'occasion de donner des dizaines et des dizaines d'interviews en France et en Europe, mais aujourd'hui dans le plus grand talk-show américain, mon assurance en a pris soudainement un coup.

La porte s'ouvre tambour battant et un assistant armé d'un micro bouche et d'une oreillette fait irruption.

— Tu es prête chérie ? m'adresse-t-il les lèvres en cœur et les cils papillonnants.

Je déteste cette manie, qu'ont les Américains, de finir leur phrase avec de doux surnoms, mais je souris aussi faussement que le visage botoxé de celle qui continue de me passer des couches et des couches de poudre.

— Oui, je suis prête, on y va quand vous voulez.

La jolie grande rousse déglutie poliment, comprenant que la Frenchie que je suis, maîtrise parfaitement la langue de Shakespeare. Cela dit, je ne lui tiens pas rigueur de s'être autorisé une petite critique comparant mon excès de transpiration à une saucisse de hot-dog enfermé dans son récipient sur un comptoir de baraque à fête foraine. Même si je n'ai rien laissé paraître à ce moment-là, je dois avouer qu'elle m'a intérieurement fait rire. J'ai toujours un faible pour les personnes acides. Ce qui explique sûrement ma fascination pour cet homme que certains affublent de jolis surnoms, tels que misogyne grossier ou pervers détraqué. Les gens jugent et ne comprennent que ce dont ils ont envie, il est facile d'occulter le génie d'un homme et de le réduire à une simple caricature. Il est plus difficile d'apercevoir la rigueur et le travail acharné qui se terre sous des représentations aux allures que beaucoup qualifient de futiles.

Je tourne nerveusement l'anneau doré qui orne mon annulaire gauche et tente de contrôler les petits tremblements qui parcourent mes doigts. Je respire lentement, m'arme d'un sourire conquérant et me lève enfin du fauteuil confortable dans lequel j'étais installée. Je puise une énième inspiration au parfum floral que dégagent les plantes de la pièce puis suis le jeune homme qui m'ouvre le chemin jusqu'au plateau.

Le bruit de la foule en délire qui me parvient accroît dangereusement ma peur. L'immense couloir blanc que nous parcourons prend des allures de long tunnel me donnant l'impression de me rapprocher périlleusement du jugement dernier. Je suis stupide, je tente de me ressaisir et applique les leçons que j'ai vues sur Internet du « Comment supporter son stress ».

Quelle belle connerie : « inspirer... », « expirer... » et mon cul sur la commode, rien ne fonctionne, mon cœur bat à tout rompre, je peine à contrôler le moindre de mes mouvements. Je frôle la crise d'anxiété, un léger vertige me fais vaciller, je sers les poings autant que mes dents que je viens entrechoquer comme pour m'insuffler un dernier élan de courage.

L'ovation des spectateurs emplit le couloir immaculé que seuls les écrans suspendus égayent de leurs couleurs. Le retour du plateau ne fait qu'accentuer ma nervosité, le groupe de musique finit de jouer ses dernières notes et l'animateur le plus célèbre des Etats Unis reprend la maîtrise du micro. Il salue chaleureusement les trois jeunes et complimente leur nouvel album aux sonorités pop rock pendant que le public leur offre une standing ovation. Mon cœur tambourine dans un flot désorganisé et le fracas de ses échos résonne dans tout mon squelette qui est composé de deux cent six os. Je me focalise sur cette information, car, comme à mon habitude, j'ai besoin de banalité pour calmer mon angoisse insolente.

Par delà la fictionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant