Chapitre XXXIII

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Avec enthousiasme, je rejoins le Uber qui m'attend, ce soir je retrouve Snid dans le restaurant le plus branché de la ville. On a beaucoup échangé par message, je lui ai partagé certain de mes chapitres et lui quelques rimes de ses nouveaux textes. Sa comédie musicale prend forme, nous avons établi que si mon roman est dissocié de son œuvre, je lui accorde tout loisir de s'en approcher. Aussi, il reprend l'idée du couple de criminels s'inspirant de mon livre pour son personnage féminin.

Lorsque j'arrive, il est déjà attablé, son attention rivée sur son portable, il ne me voit pas m'avancer.

— Eh bien, j'espère que je ne suis pas trop en retard.

— Tu es pile à l'heure, me sourit-il de sa voix rocailleuse.

Ce soir, il est étincelant. Ses cheveux longs sont ramenés en une queue de cheval, sa barbe est raccourcie et son allure de mafieux lui colle à la perfection dans son costume sombre.

Après une brève accolade, il fait signe au barman de nous servir. Je suis étonnée lorsque ce dernier rapporte trois coupes avec le seau à champagne et non deux. Devant mon air interrogateur, le rappeur me glisse :

— Je me suis décidé à parler à celle qui a capturé mon cœur et l'une des conditions pour qu'elle accepte de me revoir était que j'organise un petit rendez-vous.

Les sourcils à présent froncés, il se marre devant mon scepticisme.

— C'est une de tes fans, alors imagine quand je lui ai dit que nous collaborions.

— Est-ce que tu te sers de moi pour reconquérir ta copine ? interrogé-je faussement outré.

— En effet ! Et j'ai comme l'impression que ce soir nous allons faire d'une pierre deux coups.

Son regard à présent perdu derrière mon dos me fait tourner légèrement la tête. Le foudroiement des yeux de glace qui me font face me liquéfie sur place. Marvin de sa posture de mâle dominant nous toise, mains engoncées dans la poche centrale de son sweat gris. Sa mâchoire se tend un instant. Je sens le poids de son charisme m'écraser telle une petite fille prise en faute, ma poitrine s'emballe lorsqu'il effectue un pas en ma direction. Mes joues s'empourprent, mes doigts tremblent et ma respiration perd tout contrôle. Je suis autant envoûtée que terrifiée. Mon cœur explose en un millier de papillons à son approche, papillons dont les ailes pourraient bien se brûler à virevolter de trop près. Son parfum s'empare de mon sens olfactif m'immergeant totalement dans son monde. Comme chaque fois la terre, l'Univers s'éclipse, il ne reste que lui, alors quand le dos de sa main frôle ma pommette bouillante, une larme m'échappe.

— Mia...

Ce n'est pas une salutation, mon prénom dans sa bouche est une complainte, une déchirure. Il n'est plus que souffrance, tout comme moi à cet instant. J'ai rêvé de le revoir chaque jour, chaque minute et alors qu'il se tient là devant moi, tout me semble irréel.

— Je vous laisse une minute, nous glisse Snid sans qu'aucun de nous deux lui réponde.

Un long face-à-face de plusieurs secondes s'installe.

— Je te dois une explication.

— Décidément, c'est la grande mode en ce moment, tout le monde pense pouvoir justifier ses actes, c'est intéressant...

— Merci pour Serena$.

— Comment va-t-elle ?

Une de ses mains s'échappe de sa poche pour réajuster sa casquette qu'il enfonce un peu plus sur sa tête. Bien que nous soyons dans un restaurant hyper select, les regards commencent à se poser dans notre direction. Autant les stars françaises passent plus ou moins inaperçues dans ce décor de gens extrêmement riche, autant une légende internationale de son envergure cause une certaine attraction et agitation.

— Pouvons-nous aller parler ailleurs s'il te plaît ?

— Non !

Je lui jette avec force ma réponse. Non, je ne veux rien entendre, non, je ne veux pas d'explications foireuses. Non, je ne veux pas lui pardonner. Avec aplomb, je me lève pour lui faire face.

— J'admire la manière dont tu protèges et prends soin de ton amie, mais je ne tolère pas la façon dont tu me traites moi. Tu m'as fait prendre conscience d'une chose Marvin, je mérite du respect, de la confiance et de la réciprocité. Peu importe ce que tu me diras, tu n'es pas là personne prête à m'offrir cela.

— Laisse-moi t'expliquer...

Son corps est complètement contracté, sa posture laisse trahir le combat intérieur qu'il mène. Je le sens tiraillé entre le désir de poursuivre notre échange et celui de battre en retraite pour ne plus alimenter la curiosité les badauds.

Son regard si intense soit il ne parvient pas à faire céder ma détermination. Comprenant que je ne lui accorderais aucune intimité, il s'assied à la table.

— Marvin, s'il te plaît je suis en rendez-vous.

— Est-ce que c'est un rendez-vous galant ?

— Oui !

Son dos percute le dossier de la chaise brusquement. Ses lèvres s'entrouvrent sans doute prêtes à débiter un tas d'ânerie.

— Pas le mien ! Je suis là pour le boulot. Si c'est ça qui t'intéresse !

Les doigts cramponnés au rebord de la nappe, je me fais violence pour ne pas exploser. J'ai autant le désir de hurler que de pleurer, il me faut une grande maîtrise pour me reprendre le contrôle.

— Ça fait des semaines que tu renonces à me donner des nouvelles que tu t'es barré du jour au lendemain allant jusqu'à supprimer l'adresse mail sur laquelle nous échangions et tu reparais telle une fleur exigeant une conversation. Ce n'est pas comme ça que ça marche. Laisse-moi tranquille, je n'ai pas envie de te parler pour l'instant.

Un léger rictus se trace sur lèvres. Petit sourire que j'aimerais lui faire ravaler.

— Bien, je comprends, j'attendrai que tu sois prête.

Comme auparavant, il s'en va emportant avec lui mon cœur et ma raison. Lorsque Snid reprend place sans aucun commentaire sur l'échange auquel il a assisté, il est accompagné de son amie. Une ravissante jeune mannequin, qui par sa passion pour la lecture, parvient à apaiser ma rancœur.

En rentrant chez moi ce soir-là, je suis perdue. Ma vie part dans tous les sens , j'aspire à de la stabilité, celle que je n'ai jamais eue et dont je pense avoir cruellement besoin. La tête posée sur mes mains, je réfléchis. Je ne souhaite plus être cette stupide jeune fille futile qui se trouve quelqu'un dans l'unique but d'exister. J'espère apprendre à m'aimer avant tout. Je ne veux plus courir après l'approbation de mes paires ou idole. J'exige de vivre intensément pour moi. Avoir grandi sous les reproches de mon père, les insultes ne sont pas une excuse à mon inaction. Mon destin n'est pas tracé, je suis prête à tomber s'il le faut, car je suis prête à me relever. Je suis prête à me battre non pas pour quelqu'un ou quelque chose, je suis prête à me battre pour moi. J'ai fait un tas d'erreurs, pris des tonnes de mauvaises décisions, mais il y a une chose que je ne suis pas, c'est lâche. J'ai continué d'avancer chaque jour, je n'ai jamais craint de travailler dans ce que certains qualifient de sous métier pour remplir mon assiette et je n'ai pas honte aujourd'hui d'avoir réussi. Mon succès qu'il soit court ou grandissant, je l'accepte tel qu'il vient. Je suis prête à vivre et oser de belles choses...

Par delà la fictionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant