Chapitre XXIV

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Marvin deux ans avant

Allongé sur le dos, je fixe les ombres que projettent les feuilles dans la demi-pénombre du plafond. La vérité, que l'on vient de me cracher au visage, ne cesse de tourner dans mon esprit. Les mots, je les connais bien, celui-là en particulier. Ce qui a de génial avec l'écriture, c'est que l'on peut détourner un sens, faire des figures de style ou encore se jouer d'elle... Aujourd'hui, cet après-midi, cela n'avait rien d'un jeu. Pourtant, si je dois être honnête, je savais que ce jour arriverait. Je savais au fond de moi que tout ça était déjà écrit. Ironique, non ? Quand on y pense, j'ai plus ou moins fait en sorte que cela se produise. Ne dit-on pas : qui ose gagne, qui perd paye ? J'ai perdu cette partie, serais-je en mesure de gagner celle que je vais devoir affronter.

Quand tout s'écroule autour de vous et que vous en êtes l'unique responsable, l'aversion que vous éprouviez jusqu'alors pour vous se décuple, si tentée que cela soit possible. Je me déteste tellement. Je hais jusqu'à la dernière parcelle de mon être, jusqu'à la moindre particule qui constitue ma chair.

La sonnerie de mon portable, au début, ne parvient pas à me sortir de ma torpeur. Et puis, comme elle ne cesse de se répéter, je finis par émerger. L'angoisse m'opprime le sternum lorsque mes yeux défilent sur l'écran.

Ce n'est pas un appel, c'est l'alerte que j'ai mise en place juste après mon rendez-vous. Cette alerte me prévient dès qu'un nouvel article sur moi est diffusé sur internet. Tout au long de ma carrière, je ne me suis jamais focalisé sur ce genre de détail, ce que dit la presse, les blogs, les magazines à scandales, je m'en balance. Tout ceci ne rentre pas en compte, l'art est subjectif, ces médisances ne se répercutent pas sur mon travail et de toute manière ce qui intéresse vraiment les gens, c'est de trouver avec qui je couche et si j'ai fini par craquer et ravaler un tas de pilules. C'est pour ça que j'ai appris à ne pas regarder, ces conneries ne m'atteignent plus, mais là...

Ce que l'on vient de m'annoncer me pousse un peu plus dans ma paranoïa. Personne ne doit savoir, l'information doit rester terrée, enfermer dans ce putain de dossier.

Je ne comprends pas tout de suite, il me faut un certain temps pour déchiffrer ce que je suis en train de lire. Apparemment, j'anime un centre de débat en France. C'est assez habituel d'être au cœur d'un tas de sujets, mais là de ce que je saisis, cela brûle la toile. Une jeune femme aurait écrit une histoire sur moi, une romance fictive qui aurait attiré déjà presque un million de lecteurs. Mes restes de français m'aident à traduire l'essentiel, j'ai toujours été bon en langue, je crois que c'est une des seules matières ou j'excellais vraiment. Comme si savoir parler une autre langue me permettait de fuir cette abomination qu'était mon quotidien. C'est piqué de curiosité que je clique sur le lien Wattpad que tout le monde se partage.

Marvin aujourd'hui

Avec une certaine douceur, je parsème de mes doigts le contour de sa joue. Ses yeux animés de douleur me fuient, je lui ai fait de la peine. Il ne peut en être autrement. Si seulement les choses étaient différentes, si seulement je lui avais foutu la paix. Je me suis imaginé résister à cette femme mille fois et mille et une fois, je lui ai cédé. Comme à mon habitude, j'ai fait preuve d'égoïsme et comme toujours, je ne serais pas à la hauteur.

Ce qui m'accroche à elle est sans doute malsain, bien trop égocentrique, mais il en est ainsi. Ne pas pouvoir lui dire ce qu'elle a réellement était pour moi me coûte, mais m'y résoudre m'obligerais à avouer le reste et cela m'est impossible. Elle ne doit jamais connaître mon secret, personne ne le doit, tout ça c'est derrière moi-même si ce n'est jamais très loin...

Cette épée de Damoclès caresse le haut de mon crâne constamment pour être certaine que je me fasse à son bon souvenir. Comment l'oublier ? Le cœur meurtri, je l'enlace, inspire profondément cette odeur sucrée qu'elle dégage puis dépose avec douceur mes lèvres sur son front. Si aucune femme ne m'a jamais rendu autant vivant, je sais bien qu'en lui cachant cette partie de moi, elle ne sera jamais totalement mienne. Trop lourd est ce fardeau, trop lourde seraient les conséquences de cet aveu. Rester là, près d'elle, m'octroie la force de penser que ma renaissance est proche...

Une lueur d'espoir dans ce tourment de ténèbres. Elle a été sans le savoir celle qui m'a tendu une main invisible et qui m'a maintenu hors de l'eau, mais ça aussi je ne peux lui confier sans le trahir.

Mia

La chaleur de sa paume sur mon visage est ce qu'il y a de plus réconfortant en ce monde. À cet instant, je suis comme invulnérable. Je me sens dans une bulle de douceur que rien ni personne ne pourrait atteindre.

— Je n'ai aucune attente, murmuré-je comme pour le rassurer. Si c'est l'engagement qui lui fait peur, je tiens à ce qu'il sache que je me contenterais de ce qu'il me donne.

— Tout le monde en a...

Délicatement, ses doigts parcourent à présent ma nuque le regard toujours intense. Mais pour une fois, j'y décèle une émotion. Une émotion qui me retourne l'estomac, et me brise le cœur... Il est triste. Sa peine est immense, si palpable qu'elle me compresse de l'intérieur. Je ne lisais en lui que de l'indifférence, de la froideur, mais à cet instant précis j'y lis la douleur. Une douleur dévastatrice qui déchire son âme en deux.

— Tu peux tout me dire, susurré-je une larme perlant sur ma joue.

La pulpe de son index dessine à présent le contour de mes lèvres et alors qu'il ouvre la bouche, son BlackBerry se met à sonner.

Je chasse ma larme l'encourageant à répondre d'un petit signe de tête. Lorsque ses yeux se posent sur l'écran, son expression se durcit. Il ferme les paupières, reprend son souffle puis finit par me sourire.

Il s'approche de la porte pour décrocher, les muscles de son dos tressaillent, sa voix grave devient lugubre lorsqu'il salut son interlocuteur.

— Oui. OK, je comprends, je rentre immédiatement.

Figé à l'encadrement, il replace le téléphone dans sa poche, ne me faisant toujours pas face. Quelque chose est en train d'arriver. Et si j'en crois sa posture, ce n'est pas anodin.

Il opère un demi-tour me faisant face, je crois lire un adieu dans son regard. Pendant plusieurs secondes seul l'écho de la nature donne un semblant de vie à notre face-à-face. Il finit par esquisser un sourire avant de tourner les talons et je suis convaincue que plus rien ne sera jamais comme avant.

Par delà la fictionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant