Chapitre XIII

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MARVIN

Sa silhouette complètement disparue, j'agrippe mon volant de toutes mes forces. Je n'ai pas été capable de lui dire au revoir. Cette femme me fait redécouvrir le plaisir d'un échange simple, car même si elle me définit comme sa plus grande idole, elle agit en toute banalité près de moi et pareil à un connard, je la repousse. J'apprécie sa présence, mais sa proximité me trouble. Hormis sa beauté, ce qu'elle dégage m'apporte de la sérénité.

J'aime la surprendre à me mater en douce, son regard me déclenche une putain de décharge d'adrénaline. Elle est une dizaine de canettes de Red Bull à elle seule, si je la capture avec moi un jour pour une représentation, je suis sûr de tenir sans en boire une goutte. Mais qu'est-ce qui me prend à m'imaginer l'embarquer avec moi ? Putain, je m'égare. Sur cette ultime remarque, je fais demi-tour et regagne le petit hôtel où je séjourne. Je repars demain soir après les dernières coupes du clip, et j'escompte que cette distance me remettra les idées aux claires.

Mon corps enfin dans la chaleur des draps, et mes muscles essayant de se détendre sont interrompus par mon téléphone qui vibre j'espère y lire ses mots avant de dormir.

# Cook

Son OK, tu ne vas pas en revenir !

Le message de mon meilleur ami réactive mon esprit et ma créativité, je saute du lit et enfile mes airs pods pour écouter cette nouvelle production.

Les basses cognent autant que le vieux son des vinyles en fond, la mélodie percute, tabasse, m'excite. Une chose est certaine, je dois tout retravailler, Cook s'est surpassé et mes paroles ne sont pas à la hauteur.

Quand le téléphone de la suite résonne, je capte aussitôt que l'aube a pointé le bout de son nez et que j'ai passé la nuit à réécrire mon texte. Il n'est pas encore parfait, mais il s'en approche. Je vais devoir retourner en studio, faire des prises de voix, j'y verrai sûrement plus clair.

Je file à la douche à regret, car même si je prends plaisir à tourner ce clip, aujourd'hui clôture mon voyage français. Et quitter la France, c'est la quitter elle. Alors que mes sensations sont revenues à son contact, voilà que je vais devoir m'en défaire pour rejoindre ma patrie. Pourtant, il le faut. Mettre de la distance au plus vite avant que le besoin de la goûter à nouveau ne devienne un supplice. Comme pendant notre dîner d'hier lorsqu'elle ramenait ses mèches en arrière, ce seul geste dégagé par vagues des effluves gourmandes qui durcissaient un peu plus ma masculinité. J'ai eu envie de la baiser mille fois sur cette couverture et ce bien avant cette intimité. J'ai eu envie de la baiser dès la première interview où je l'ai entendue vanter mes mérites. Quand je l'observais de ses fines lèvres susurrer son amour pour ma musique, mon univers, mon monde, chacun de ses mots se transformaient en caresses, chacun de ses sourires timides, une invitation aux plaisirs charnels. Elle est devenue petit à petit une bouée à laquelle je me suis raccrochée et dans laquelle je souhaitais surtout me glisser. Et cela ne doit pas, cela ne peut pas, elle n'est pas de celle qu'on baise dans un coin vulgairement, elle est une femme qui traîne ses blessures, qui crie à la galaxie son mal-être sans que personne ne le voie.

Elle n'est pas de celle que l'on baise à l'arrière d'une voiture ou sur un bout de trottoir, elle fait partie des femmes qui vous rendent homme et bien plus encore, elle fait partie des femmes que l'on se doit d'aimer, de chérir, de respecter et ça je ne sais pas. Je n'ai aucune douceur à offrir, aucune stabilité, rien qu'un abysse qui pourrait l'engloutir...

Mes idées noires m'envahissent et comme depuis quelque temps maintenant, je me ferme à mes émotions. Je me transforme en être froid et distant que j'ai appris à devenir et dont je ne peux plus me passer.

Les mains dans les poches, j'arpente ces vignes, muré dans un mutisme rageux dans l'attente de la reprise du tournage.

— Marv' t'es prêt ?

— C'est quand tu veux, David, aboyé-je.

Les notes remplissent le silence que seules les cigales se donnent le droit de perturber. Je commence mon premier seize, mais je ne suis pas totalement dedans. Quelque chose me bloque, me retient. Je ne suis pas investi, je ne fais pas corps avec mes propres paroles, je ne parviens pas à parler de ce couple et leurs tourments. Évoquer la douleur qu'un homme traîne et qu'une femme vient apaiser me semble tout d'un coup inaccessible à interpréter.

— Couper ! OK, on va le refaire, lance le réalisateur à son équipe.

— Ça va, Marvin ? s'inquiète-t-il.

— Bien sûr, pourquoi ?

— Je ne sais pas, j'ai l'impression que quelque chose te gêne, tu veux prendre cinq minutes.

— Je n'ai pas besoin de cinq minutes, grincé-je les dents serrées.

— OK, OK. On y retourne alors. Tout monde est prêt... et... ACTION.

Comme précédemment quelque chose coince, je ne suis pas aussi à mon aise que la veille. Hier mes sensations étaient galvanisées, j'étais transporté au sommet de mon art. Là, un sentiment me cloue au sol et je déteste ça. Je rappe la première phrase et me souviens de l'excitation que j'ai pu éprouver dans l'attente de la voir arriver. Je voulais lire son admiration, l'intensité avec laquelle elle accroche mes rétines. J'étais impatient de la regarder rougir quand je la surprends à mordre sa lèvre comme si elle se retenait de me sauter dessus. Et puis, je repense à l'humidité de sa langue sur la mienne, la caresse profonde de son baiser. Elle m'a littéralement fait perdre tout contrôle. Sa saveur me revient, je ne suis plus un interprète, je vis et ressent la passion de ses personnages.

— Couper ! Putain, Marvin c'était merveilleux ! Tu es superbe, on en refait une, sous un autre angle, mais tu es parfait, donne-nous la même !

C'est ce que je déteste et ne peux comprendre en tournage, on te dit que tu es géniale, mais on t'emmerde pour une nouvelle prise. Je hais cet aspect de la musique. Moi, je ne suis bien que dans la cabine, le casque sur les oreilles ou pendant que je noircis mon carnet. L'écriture est une cage où j'enferme mes plus sombres sentiments et dans laquelle parfois je me perds. Elle est ma plus grande histoire d'amour, je ne peux vivre sans elle, pourtant elle en vient à me rendre fou quand elle se coince, lorsque mes mots ne sont plus harmonieux, quand mon vocabulaire m'échappe. Ces derniers temps, je la percevais comme une ex casse couilles, suffocante, pesante, aujourd'hui, je retombe à ses genoux, elle redevient une obsession...

Quand je foule le tarmac, la chaleur du sud de la France m'étouffe. Il me tarde de retrouver le climat froid et humide de ma ville. Je lance un énième regard en arrière et sors mon téléphone sur lequel je pianote ces quelques mots.

# En partance.

Merci pour ce moment, il y a bien longtemps que je n'avais apprécié voir une femme manger avec des manières de cow-boy.

À bientôt.

Une dernière respiration lourde, j'entre dans le jet, prend place à côté du hublot, enfonçant mon casque sur la tête. J'augmente le son pour être sûr de ne plus rien entendre du monde alentour et m'immerge dans le chaos qu'est ma musique.


Par delà la fictionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant