Chapitre XXXIV

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J'ai un trac monstre lorsque la sonnette retentit. Kelly est sortie de sa maison de repos, c'est comme ça que nous préférons l'appeler plutôt que centre psychiatrique, enfin ce sont nos premières vraies retrouvailles. J'attends impatiemment son arrivée, je souhaitais passer la récupérer, mais elle n'a pas voulu. Elle a besoin de reprendre ses marques, et sûrement aussi son indépendance, elle préfère donc venir avec sa voiture. J'ai eu un peu peur au début, mais elle souffre d'un trouble psychiatrique, ce n'est pas une enfant. Je n'ai pas à la materné, je demeure attentive à ses humeurs tout en restant à ma place. Nous avons beaucoup discuté avant sa sortie de son « petit truc qui parfois la fait dérailler » bien évidement cette appellation est la sienne. Même si je tâche de dédramatiser au maximum sa condition, je n'oserais jamais désigner sa maladie en ces termes. Cependant, je respecte sa volonté, elle ne veut pas employer le mot maladie, et ça, je peux le comprendre.

La découverte de sa pathologie est nouvelle pour elle-même, s'il explique beaucoup de choses à ses dernières années, il est encore difficile pour mon amie d'utiliser certaines expressions.

J'apprends à détecter quand ses humeurs fluctuent, tente de la rassurer et la calmer comme je peux. Nous avons établi que quoiqu'il arrive, je serais son point de repère. Quand je sens ses émotions complètement déraisonner, j'abonde en son sens avant de lui dire que nous avons besoin d'y réfléchir un peu. Généralement, elle me rappelle apaisée et consciente de son emportement. Mais il est parfois difficile de lui faire reprendre pied de ses crises de paranoïa. Son traitement a l'air d'agir et l'emmener sur une bonne direction, même s'il la fatigue beaucoup, je ressens qu'elle aspire à se raccrocher à quelque chose.

Quand elle parvient à la porte, je ne peux empêcher les larmes de se frayer un chemin. Je tente de les essuyer en toute discrétion, mais lorsque notre accolade est rompue, je constate que je ne suis pas la seule à qui ses retrouvailles apportent un certain réconfort et soulagement.

— Je suis tellement contente de te voir enfin. Tu m'as beaucoup manqué, confessé-je.

— Tu m'as manqué aussi.

La tête basse, elle fixe le carrelage pastel de mon hall d'entrée avant de me faire face de nouveau.

— Je voulais te remercier pour, tu sais..., sa voix se brise ne permettant pas aux derniers mots de sortir.

— Tu n'as pas à me remercier K, tout ça, c'est derrière nous.

— Non, Mia, ce jour-là, tu m'as sauvé. Je te dois la vie, tu comprends. Je ne pourrais jamais te remercier assez et je m'en veux terriblement d'avoir dû t'imposer de subir...

— Ça suffit ! Je ne veux plus rien entendre, la coupé-je avec douceur. Tout ce qui compte c'est que tu ailles mieux.

— Oui et tout ça c'est grâce à toi, alors si jamais, il y a la moindre chance que je puisse me faire pardonner, pour que je puisse en retour t'apporter mon aide ou mon soutien, sache que je ferais tout ce que je peux.

— Eh, bien puisque tu en parles, avancé-je ravie, j'ai quelque chose à te montrer.

J'attrape sa main, sans même lui demander de déposer son sac ou sa veste et l'entraîne en direction de la terrasse. Nous traversons une bonne partie du jardin jusqu'à hauteur de la vieille grange perdue dans la végétation. La curiosité se lit sur son visage autant que mon excitation.

— Tu as changé la porte et crées des fenêtres, remarque-t-elle dans un premier temps.

Je me plante juste entre l'entrée et elle calmant ma respiration.

— Tu es prête ?

— Tu deviens flippante, s'amuse-t-elle.

Plus enthousiaste que jamais, je déverrouille la grande porte coulissante. Mon souffle se coupe, j'ose un pas, puis un second, même si j'ai moi-même organisé les travaux. Je suis subjuguée par l'endroit.

Avec précaution, mon amie s'avance, son regard accroche chaque étagère vide avant de s'arrêter sur le bureau.

— Je ne pige pas, tu ne préférais pas écrire dans ta cabane ?

— Ce n'est pas pour moi.

— OK, et je ne comprends toujours pas...

— Écoute, je sais, que tu as abandonné l'idée d'écrire et je trouve que c'est sans doute une bonne chose. Tu as besoin d'une pause, de prendre un peu de recul. Mais tu ne peux pas rester sans rien...

— Et donc ?

— Tu as une formidable analyse sur les romans, tu as ce petit truc, ce petit plus qui pourrait faire de toi une merveilleuse éditrice.

Je peux te prendre rendez-vous avec mon spécialiste tu sais, je suis sûre qu'il nous fera un tarif de groupe, se marre-t-elle.

— Kelly, je suis très sérieuse. Toutes les démarches pour l'ouverture de la maison d'édition sont lancées, si tu es d'accord, ce bureau est le tien.

— Mia, c'est trop. Non, je ne peux pas, je n'ai aucune expérience, aucun diplôme, je n'ai pas les épaules, panique-t-elle.

— Tu es une lectrice passionnée et une très excellente conseillère. Tu as l'œil pour déceler les bonnes histoires de celles qui ont un réel potentiel. Tu étais la première à croire en moi. Alors certes, nous ne serons qu'une petite maison d'édition, mais j'ai les moyens d'investir, je veux que l'on accompagne de nouveaux auteurs perdus dans cette jungle. On pourrait commencer par des auteurs uniquement publiés sur des plates-formes.

— Genre ceux qui publient sur le Web, qui n'ont pas trouvé de maison d'édition ?

— Pourquoi pas, oui ? Qu'en penses-tu ?

Mon amie prend une longue inspiration, elle avance d'un pas en direction des étagères, caresse le bois du bureau avant de prendre place sur la chaise confortable.

— Est-ce que je serais accompagnée, tu seras avec moi ?

— On s'entourera de professionnels, je veux que l'on fasse les choses bien. Je ne suis pas sûre que l'on réussisse, mais je ferais tout ce que je peux pour que l'on y arrive. Alors ? Qu'en dis-tu ?

— Je pense que c'est une merveilleuse idée.

Par delà la fictionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant