Chapitre XXV

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Mia

Cela fait deux jours maintenant que Marvin a quitté la France, deux jours qu'il ne me donne plus aucun signe de vie malgré les emails que je lui envoie. Au début, je souhaitais simplement savoir s'il était bien arrivé, n'ayant pas de réponse, j'en ai conclu qu'il devait être occupé. C'est fou lorsque l'on ne veut pas regarder la réalité en face ce que l'on serait prêt à se persuader.

Pourtant, au fond, j'en suis convaincu, j'ai lu dans ses yeux ce qu'il n'a pas pu dire : c'est la dernière fois que tu me vois.

Un sentiment de panique m'étreint, j'ai besoin d'en être sûre. Les voix de la déraison s'entremêlent dans mon esprit me criant que je l'ai fait fuir, que tout ceci ne peut être que de mon fait. Assaillie par toute cette négativité, je rédige un nouveau courriel.

# Une fan parmi les fans

Aurais-je encore la chance de te revoir ne serait-ce qu'une dernière fois... je t'en prie, réponds-moi. Explique-moi. Ne me laisse pas sans savoir ce qu'il se passe.

Oui, je concède, je suis pathétique.

En venir à carrément le supplier est ridicule, mais je ne me sens pas prête à ne pas le revoir une dernière fois. Alors que j'imagine un scénario qui pourrait m'offrir l'occasion de le recroiser, un mail arrive.

Une boule se forme dans ma gorge et tombe telle une enclume sur mon estomac lorsque s'affiche la réponse : non distribué.

L'email me revient, car l'adresse n'existe plus.

La douleur est fulgurante, elle me comprime m'empêchant de reprendre mon oxygène. Je panique n'ayant plus toutes mes idées en place, j'envoie un message de détresse à Kelly. J'ai besoin de la voir, ne pas rester seule. L'horrible sentiment d'abandon que j'ai ressenti lorsque Mars The Marshall a supprimé son compte refait surface.

Mars The Marshall ce lecteur assidu de mon histoire posté sur Wattpad était devenu un ami. Un confident précieux qui du jour au lendemain n'a plus donné signe de vie. J'ai rencontré cet abonné lorsque l'épopée de ma fiction a pris son envol sur le site et s'est créée entre nous une complicité très étroite. Nous nous écrivions tous les jours, il avait toujours un regard pointu sur ses retours et un esprit brillant. Sans jamais nous voir, sans jamais échanger de vive voix, sans doute ce qui m'a mise à l'aise, la distance et l'inconnu m'aidant à me confier, nous sommes devenus importants l'un pour l'autre. Enfin, c'est ce que je pensais. Puis du jour au lendemain, le silence. Un utilisateur introuvable et un manque cruel à ma vie. Je n'arrêtais pas de bassiner Kelly imaginant mille et scénarios à ce silence. Le temps a annihilé ma peine pour laisser place à de la rancœur. C'est pourquoi subir ce nouvel abandon ravive une douleur aiguë.

Triste est le constat qui se dresse devant moi. Les gens qui m'entourent ont tendance à me quitter, me trahir... Le cœur en morceau, je jette un œil à mon téléphone, j'ai besoin de mon amie, la seule qui ne m'a jamais laissée. Malgré mes messages alarmants, elle ne répond pas, subitement, un sentiment de panique m'oppresse, se pourrait-il qu'elle aussi ait mis les voiles ? Je fais peut-être partie de ces personnes dont on se sépare facilement. Une simple étape dans une vie, une marche que l'on écrase, un tapis où l'on s'essuie avant de passer à autre chose.

~

Les heures s'écoulent ou les jours, je ne sais plus. Enfin, cela fait un petit moment que j'ai coupé tout contact avec le monde extérieur. Je me suis repliée dans mon refuge et me laisse bercer non pas par le bruit du ruisseau, mais de la vodka qui coule dans mon verre. Toujours en attente d'un signe de vie de Kelly, je parcours l'écran de mon portable. Une alerte rompt tout élan de curiosité. Lorsqu'une photo de Marvin et sa soi-disant amie, sont immortalisés bras dessus dessous passant le portique d'un célèbre hôtel. Au moins, je peux définitivement clôturer ce dossier. Les larmes coincées entre mes cils, je fais couler le liquide directement du goulot à ma bouche. Je m'allonge à même le sol et enclenche Skyrock sur mon téléphone, j'ai besoin de musique, j'ai besoin de m'évader. De fermer les yeux et ne plus rien ressentir. Je ressasse ma rencontre avec Marvin pendant que les deux animateurs annoncent la venue d'un rappeur français que je connais bien.

Snid, le rappeur marseillais qui vient aujourd'hui nous présenter en exclu son dernier album... Je revois la première fois que je suis tombée sur un de ses clips. Ce mec a tout du style mafieux italien. J'aime bien sa musique, le personnage qu'il s'est créé, je l'imaginerais tellement dans un film équivalent à un nouveau parrain ou un truc comme ça. Je m'égare dans des scènes sanguinaires, sans pitié, cruelles. Les pensées à l'instar de mon cœur sont noires et tourmentées. Je suis triste, en colère, j'ai besoin d'évacuer, d'extérioriser tous ces maux. Guidée par je ne sais quelle force, je pars à la recherche de ma tablette avant de me souvenir qu'elle est restée dans ma chambre. Bien décidée à ne pas laisser passer cette frénésie d'écriture qui me met en émoi, j'ouvre Word sur mon téléphone. Ce n'est pas l'outil que j'affectionne particulièrement pour travailler, mais pour ce besoin presque vital qui m'anime ça fera l'affaire. Je prends une simple minute pour écarter toute confusion dans mon esprit. Je suis le petit chemin gravillonné que mon imagination est en train de créer. Assez vite, un début et une fin se dessinent, c'est suffisant pour commencer cette nouvelle histoire. J'écris au rythme des musiques de son album, la radio lui dédiant une heure d'émission pour qu'il présente son œuvre à leurs auditeurs, je ne manque pas de matière. Mon inspiration est entrecoupée de rancœur, d'énervement et tristesse. Mes émotions se cofondent, mes personnages sont profondément tordus, excessifs, emplis de rage. Je note quelques titres que je vais devoir réécouter pour garder en tête l'atmosphère et l'énergie que je souhaite transmettre à mes écrits.

Je mets fin à cette session lorsque mon ventre crie famine. Je dois laisser, de toute manière, reposer un peu mes idées et prendre de la distance. Nerveusement, je tourne l'alliance de mon annulaire imaginant ce qu'en dirait son propriétaire s'il savait mon parcours.

Mon grand-père m'a élevé jusqu'à sa mort. J'avais sept ans, ce que j'ai ressenti à l'annonce de sa disparition et bien, je crois qu'il n'existe aucun mot pour le décrire. Mes parents n'excellant pas dans leur rôle, ils avaient trouvé la facilité de me faire garder le plus possible par ce dernier. Ce qui me réjouissait. Mon grand-père était quelqu'un, qui, comme le présentait ma grand-mère, avait mauvais caractère. Je ne comprenais pas très bien à l'époque pourquoi tout le monde lui reprochait son côté colérique, je n'avais droit, moi, qu'à gentillesse et encouragement. Après tout, ma passion pour l'écriture, je la lui dois. Mon grand-père était un émigré italien arrivait en France à l'âge de trois ans. Il avait apporté dans ses bagages sa cécité. Avant de fuir leur pays, il avait contracté une méningite qui lui a volé sa vue.

L'aveugle, c'est comme ça que tout le monde l'appelait dans le village où j'ai grandi, je détestais ça. Les murmures, les moqueries, le décrire tel un infirme, me mettait très en colère. Si cela l'atteignait, lui, il ne me l'a jamais montré. Il ne partageait avec moi que l'amour pour sa musique, et la lecture. Je pouvais passer des heures à le regarder jouer de son accordéon ou piano comme autant de temps à l'admirer glisser ses doigts sur les papiers bosselés de ses livres écrits en braille. Il m'a appris à quel point un livre peut s'avérer précieux. Il offre une histoire, un voyage, une aventure, il sait adoucir les cœurs. Cet élan de nostalgie apaise un peu ma souffrance, je ne peux pas forcer les gens à apprécier ma compagnie et ne devrait encore moins avoir à quémander pour de l'attention. Je dois me concentrer sur ce que j'ai envie de devenir. Sur la petite fille que j'ai été un jour et qui rêvait d'écrire. Je dois grandir, arrêter de me cacher derrière des hommes qui ne me mérite pas, même si lui... Lui, il est tellement différent. J'ai retrouvé chez lui, la complicité et l'intimité que je partageais avec mon ami virtuel, une fusion exceptionnelle, touchante et si particulière...

Je ne peux pas subsister avec le regret de ce que j'ai perdu, j'ai tant à apprendre de moi, de la vie. Des peines, j'en connaîtrai certainement d'autres. Et puis, après tout ce que j'ai déjà traversé, je suis quand même bien armée pour faire face aux aléas de la vie. Une page se tourne lentement, peut-être est-il temps d'écrire la prochaine.

Par delà la fictionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant