La cabine nous entraine vers l'inconnu, je n'ose rien demander, mais ma curiosité me fait bouillonner d'impatience. Une fois arrivés, nous empruntons un escalier puis des couloirs faiblement éclairés jusqu'à finalement retrouver l'air extérieur. Devant nous, une embarcation motorisée avec son capitaine ronronne déjà, nous attendant sagement. Un sourcil interrogateur levé en sa direction, j'espère qu'il m'informe enfin sur notre destination. Mon empressement lui arrache un rictus sournois. N'y tenant plus, il m'attrape la main, m'invitant à prendre place sur la petite banquette confortable du bateau. Si je n'y avais pas prêté attention immédiatement, l'immense édifice vers lequel nous nous faisons conduire et que je contemple me coupe le souffle.
— Tu as dit dans une interview que pour toi le monument le plus beau était la statue de la Liberté, mais que tu ne l'avais jamais visité. Il fallait rectifier ça, chuchote-t-il à mon oreille.
Mes larmes menacent et j'ai dû mal à me contenir devant pareil spectacle. L'immensité de l'œuvre est stupéfiante à mesure de notre avancée. Le sol ferme enfin retrouvé, je me laisse entrainer rapidement à ce qui nous rapproche un peu plus de cette perfection.
Nous empruntons un escalier en colimaçon que je trouve interminable, mais après tout, ce n'est pas si cher payé pour apprécier cette pure merveille. À petits pas timides, je me glisse sur le balcon de la couronne. Tremblante d'émotions, je m'avance près du bord contemplant l'horizon.
Le reflet de la lune qui danse sur les vagues, aux lumières de la ville qui scintillent, tout est magique. Il flotte dans l'air un parfum d'extraordinaire. Je m'approche au plus près encore de la balustrade et le corps chaud de Marvin vient se coller dans mon dos. Ses bras musclés m'entourent de chaque côté et je laisse ma tête reposer sur son torse me faisant bercer par la grâce des va et viens de sa respiration.
— Mais comment ? Comment peux-tu privatiser la statue de la Liberté et y avoir accès en pleine nuit ?
— Je suis le Dieu du rap, ma douce, as-tu déjà oublié, me souffle-t-il dans le cou.
— Tu es LE dieu du rap et surtout très riche ! le taquiné-je.
— Oui, il y a de ça aussi.
Je sens son sourire contre ma peau brûlante et pour la première fois de ma vie, je me ressens connecté au monde. Il m'appartient, j'éprouve toute l'intensité qu'il dégage et surtout, je me sens terriblement vivante, à ma place. Il y a les merveilles que l'esprit nous offre et celles que l'on expérimente. Je pourrai tenter de mettre les plus jolis mots du dictionnaire, aucun ne serait capable de faire vivre à un lecteur ce que je perçois. Il me serait impossible de retranscrire toutes les vibrations de mes sens. L'odeur de l'eau mélangée à celle du gasoil, surement à cause du ferry qui navigue un nombre incalculable de fois, ces éclairages qui rende le paysage romantique, la fraîcheur de la pierre où sont apposées mes mains, le paisible clapotis qui se confond avec sa douce respiration. Et puis le goût, je me tourne et fais face au plus bel homme que la terre c'est permis d'offrir au monde. Je dépose mes lèvres sur les siennes et m'abreuve de sa saveur si parfaite. Il est mon monument à moi, l'unique merveille de mon monde, par-delà ma fiction, bien au-dessus de tout ce qui existe...
— Merci, c'est magnifique, susurré-je glissant mes doigts sur le contour de sa mâchoire.
— Pour être honnête, c'est moi qui dois te remercier.
Ses mains attrapent mes doigts qu'il porte à sa bouche et nos fronts se collent l'un contre l'autre.
— Il y a très longtemps que je n'avais pas apprécié la vie comme ça, avoue-t-il les yeux à présent clos.
— Oui, tu parais moins blasé, ris-je.
— Ce que je veux dire, c'est que quand on a beaucoup d'argent depuis beaucoup de temps et qu'on a fait tout ce dont on avait envie, parfois on se lasse, chuchote-t-il.
Il y a une chose dont moi je ne pourrais jamais me lasser, mais lui avouer lui ferait surement prendre ses jambes à son cou, alors pour m'éviter de déblatérer une bêtise qui gâcherait tout, je tente comme à mon habitude l'humour
— Un peu comme avec les femmes ? C'est pour ça que tu enchaînes les conquêtes sans jamais te fixer ?
— Euh, non... Il y a des choses que je ne suis pas prêt à partager, articule-t-il dans la douleur.
— Parce que tu n'as pas trouvé ton âme sœur, soufflé-je.
— Tu crois vraiment à ces conneries !
— Bien sûr ! Il est évident que nous en avons tous une ! Ce qu'il faut juste prendre en considération c'est que nous ne la rencontrerons probablement jamais.
Ses yeux me scrutent avec curiosité et étonnement alors je poursuis :
— Il existe dans cet Univers une personne faite pour toi comme tu es fait pour elle, mais rien ne dit qu'elle a le même âge que toi, qu'elle parle la même langue ou encore qu'elle vive sur le même continent.
— Donc la tienne tu ne l'as pas encore croisée ? m'interroge-t-il dans un demi-sourire.
— Non, pas pour l'instant, je crois. Mais je l'imagine très bien. J'imagine un vieil Asiatique assis autour d'une tasse de thé à m'attendre.
Son éclat de rire m'hypnotise, je donnerai tout ce que j'ai à cet instant pour que cela soit lui... malgré la folie qui m'entoure, je suis bien consciente que notre proximité n'est qu'éphémère. Je prends ce qu'il m'offre en sachant que cela va s'arrêter brusquement comme c'est venu. Je n'ai pas le charisme ni la prétention de croire que je suis celle qu'il lui faut. Marvin Marsen est un être à part et pour faire partie de sa vie il faut en avoir dans les tripes. Il mérite une femme à sa grandeur. Pas une gamine qui marche derrière admirant son ombre. Il a besoin d'une femme qui lui soit égale et qui l'emmène toujours plus haut. Une femme qui se tiendrait fière à ses côtés, et cette femme, ce n'est clairement pas moi. Mais ces petits instants qu'il m'offre je les reçois comme un cadeau et même si une fois finis, je trouverai mon quotidien vide et sans saveur cela n'a aucune importance. Je pourrai vivre avec le souvenir d'avoir un jour connu la paix et la douceur dans tout ce chaos.
— Tu vois, si je pouvais, je t'emmènerais là-bas, pointe-t-il du doigt.
— Et on ne peut pas y aller ?
— Toi, oui. Moi, je suis prisonnier...
Je m'écarte pour lui faire pleinement face, et suis tout ouïe devant sa confidence.
— Je suis prisonnier de ce que j'ai toujours voulu. L'argent, la gloire, la reconnaissance. Le prix à payer pour la célébrité est parfois grand.
— Peut-être que tu n'en vois simplement plus la beauté. Il y a de bonnes choses aussi. Tu te rends compte de tout ce que tu apportes aux gens ? À tous ceux qui se sentent seuls, malheureux, abandonnés et tristes. Ils n'ont qu'à écouter ta voix et leur quotidien est un peu plus supportable. Tu incarnes la réussite et l'espoir, tu ne peux en être si blasé.
— T'es mignonne, mais les choses sont parfois plus compliquées...
Une légère brise s'élève et devant mon frisson, nous mettons fin à cette sortie sur une note de drama. Notre chemin inverse se fait dans un silence de plomb. Moi égarée dans le charme de cette soirée et lui... lui, je ne saurais dire. Un voile douloureux obscurcit, le bleu de ses yeux. Et même si la nuit étoilée s'y reflète, ils ont perdu de leur éclat. Quelque chose l'ennui, le perturbe et je suis bien consciente qu'il ne souhaite pas en partager la cause.
— Alors, comment tu la trouves en vraie ? me demande-t-il une fois installé dans la chaleur de la voiture.
— Elle est magnifique.
— Je suis d'accord, je dirai même que nous avons le plus beau monument au monde...enchérit-il.
— C'est évident puisqu'elle est française...
— Putain, mais quelle prétention.
— Ah, celle-là tu peux me l'accorder ! éructé-je.
— OK, OK, me signe-t-il de la main. Celle-là je te l'accorde.
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Par delà la fiction
RomanceMia Valensol, jeune trentenaire, devient l'auteure à succès du moment, grâce à la romance fictive qu'elle écrit s'inspirant du rappeur qu'elle admire le plus. Lui, Marvin Marsen, Dieu du rap et référence incontournable du hip-hop, est piqué de curio...