Chapitre XXXV

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Je regarde le chemin qui mène à mon mas d'une manière différente pour la première fois. Notre projet de maison d'édition prend forme et je fais l'amer constat que je vais devoir investir dans l'ajustement de la chaussée. Aucun livreur ne va s'aventurer jusqu'ici. Je me souviens encore de la société de déménagement et la galère que nous avons traversée au moment de l'aménagement. Ma voiture garée, je récupère les dossiers posés sur le côté passager et file à toute vitesse jusqu'à l'intérieur. Je dois appeler Kelly, depuis que nous sommes tombées d'accord pour l'ouverture de la maison d'édition, un tas de nouvelles idées fleurissent chaque jour. Nous sommes autant l'une que l'autre en ébullition.

Je concède une grimace lorsque je constate que je n'avais pas fermé ni portail et encore moins porté d'entrée. Marvin a raison, je vais finir par avoir des problèmes. Surtout que le siège de l'entreprise sera ici, je dois être plus prudente.

Arrivée dans mon salon, la baie vitrée ouverte attire mon attention. Ça par contre, je suis sûre de l'avoir fermée avant de partir ce matin. Prise d'un étrange sentiment de panique, j'attrape le premier objet qui me paraît assez défensif pour blesser quelqu'un et avance précautionneusement.

Doucement, je parviens jusqu'à la terrasse et trouve à terre des tas de pétales de marguerites qui traversent tout mon jardin.

Marvin est là, comme lors de sa précédente visite avec les pétales de roses, il a cette fois tracé un chemin de pâquerettes jusqu'à la cabane.

Je n'hésite pas une seconde pour suivre la route. Même si je suis presque sûre qu'il s'agit de Marvin, je garde en main le tison sait-on jamais. Au pied de l'échelle mes doigts tremblent d'impatience. Je ne l'ai pas revu depuis son apparition au restaurant, je suis toujours déçue de son silence, mais il me manque cruellement. La part sombre et égoïste en moi se réjouit d'avance de cette entrevue alors que la partie raisonnée gronde de ma stupidité.

La dernière marche franchie, je fais face à ce magnifique être. Posté devant la petite ouverture, les rayons du soleil encadrent son corps tel une aura pailletée. Percevant les craquements du bois sous mon poids, il pivote lentement.

Dans sa main une marguerite tournoie. Son regard caresse ma peau, et avant même qu'il n'accomplisse un pas en ma direction, je sens déjà la fermeté de son torse contre le mien. Tout ce qu'il dégage m'enveloppe, son parfum, sa beauté, sa douleur, sa crainte.

Marvin Marsen a peur, je discerne sa fébrilité et rends les armes. Je laisse échouer le tison sur le sol dans un fracas brutal qui ne le fait pas sourciller. Serrant sa mâchoire, il réduit la distance entre nous. Ses doigts arpentent ma joue, provoquant une vague de frissons addictive avant de couper le bouton de la marguerite et le poser derrière mon oreille.

— Je sais que ce sont tes préférés, souffle-t-il.

Son haleine mentholée parcourt mon épiderme avec autant de douceur qu'une caresse.

— Je sais que tu avais besoin de temps, mais...

— je suis prête à parler, murmuré-je.

— Tant mieux et avant toute chose, je tiens à te dire qu'il ne s'agit là que de vérité. Toute la vérité, si humiliante et dérangeante, soit-elle...

— Attends, comment sait-tu pour les marguerites ?

Tout à coup, c'est comme si mon cerveau se remettait à fonctionner, comme si je retrouvais pleinement conscience.

— Uniquement la vérité...

— Arrête-toi ! supplié-je. Je n'ai évoqué cette préférence qu'à une seule personne. Une seule et unique personne.

Par delà la fictionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant