Chapitre IX

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Je rajoute une touche de mascara à mes cils et me voilà opérationnelle pour ce dîner. C'est une première, cela fait une éternité que je n'ai pas été aussi préparé pour un rendez-vous. En même temps, je tourne en rond depuis des heures, alors quand la sonnette retentit, c'est en me crispant que j'attrape mon sac et me dirige vers la porte.

Le jeune beau brun m'attend devant le capot de sa grosse berline, un sourire charmeur sur les lèvres. Je le salue nerveusement de la tête et m'engouffre dans l'habitacle où son doux parfum boisé réconforte l'atmosphère.

— Tu es splendide, me lance-t-il, accentuant ma gêne.

Je cherche un détail sur lequel me focaliser tentant de paraître pour quelqu'un de normal, mais mon regard ne trouve rien à quoi se raccrocher et je sens ma gorge se resserrer dangereusement.

— Tu sais que tu peux encore me planter là, fuir à grande vitesse, mais j'aurais vraiment l'air d'un gros naze, seul, à la super table que je nous ai réservée.

Sa remarque parvient à relâcher la pression de mes doigts autour de la anse de mon sac et m'arrache un rire bien trop aigu pour être sincère.

— Je m'en voudrais de te faire passer pour un pauvre cœur esseulé à qui on aurait fait faux bond... et puis, j'ai mis du mascara, ponctué-je en désignant mes yeux de mon index. Alors, autant y aller...

Sa bouche se contracte retenant une moue amusée et l'agréable ronronnement de la voiture brise le silence malaisant qui s'installe. Je suis figée, le regard perdu dans le paysage, je ne sais quoi dire ni la manière de me comporter. Muette, je contemple le ciel qui chasse la douceur orangée pour accueillir un bleu profond. Un magnifique spectacle, une couleur sombre qui n'est pas sans me rappeler la dureté de Marvin. Ah, tiens cela faisait longtemps que je n'avais pas pensé à lui, je dirai au moins dix minutes. Je me maudis intérieurement d'être toujours obsédée par ces indices que je ne parviens pas à déchiffrer.

— Ne bouge pas, je viens t'ouvrir, tranche langoureusement David.

J'ai envie de lui formuler qu'il ne risque rien, je ne m'étais absolument pas rendu compte que nous étions arrivés, alors de là à bouger...

Avec une assurance certaine, il m'invite à le rejoindre hors de l'habitacle où un voiturier attend que je décampe pour pouvoir ranger la voiture et libérer le parvis du luxueux restaurant. L'air dégage une agréable odeur de jasmin, l'éclairage artificiel embellit à merveille les plantes décoratives posaient de part et d'autre du chemin qui mène à l'entrée. L'endroit est somptueux, à mille lieues de ceux que je fréquente habituellement. Un décalage qui n'est pas sans me renvoyer en pleine tête mon ancienne et très perceptible pauvreté. Lourde ce cette dernière émotion, je suis, le visage sombre, mon chevalier servant. Un homme en costume nous accueille avec l'éloge réservé aux grandes célébrités et les lèvres pincées, j'emboîte le pas à fesse d'acier. Voilà que ce petit surnom arrive à me détendre et me faire sourire un instant desserrant le nœud de ma gorge. Mon regard s'accroche à la musculature du bellâtre alors que nous prenons place dans un coin intimiste de la salle.

— Ça ne va pas ? s'inquiète-t-il. Je peux demander une autre table si tu veux ?

— C'est parfait, acquiescé-je, tentant de camoufler ma gêne.

L'isolement rajoute à mon stress, mais j'essaie de faire bonne figure. J'entre dans une nouvelle vie et il est temps que je combatte ma timidité oppressante. Bien souvent celle-ci m'à pourtant rendu service, ce trait de caractère laisse penser aux gens une fausse froideur qui ne leur donne habituellement pas envie de me côtoyer. Je ne suis cependant rien de cela, bien au contraire, mais aux premiers abords, je concède que mon comportement peut paraître distant et peu amical. Ce ressenti de n'être jamais à ma place nulle part et très généralement inférieur à mes congénères m'isole avec brio. Il est bien plus facile d'être hermétique aux autres que d'inviter quelqu'un dans son intimité, enfin pour moi et comme je me sentais, la plupart du temps, en décalage avec le monde extérieur, cette solitude était un profond réconfort. J'étais en sécurité, sûre de ne décevoir personne. Les gens autour de moi avaient tous ce quelque chose qui les caractérisaient : danseuses, athlètes, peintre, photographe, chanteuse... et moi triste coquille vide, erreur de la nature d'après mon père, qu'avais-je à apporter à ce monde ?

Par delà la fictionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant