CHAPITRE III

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           La chambre spacieuse aux touches luxueuses sent bon la fraîcheur printanière. J'ai beau apprécier la beauté de l'endroit, je trouve l'immensité de cette suite exagérée pour moi seule. Je suis sûre que l'on pourrait vivre à quinze simplement dans le salon. Cette nouvelle vie a des côtés tout aussi extraordinaires que démesurés, mais l'endroit a beau être superbe, il n'en reste pas moins vide. J'ai tant fait pour en arriver là, c'est assez triste de ne pouvoir en profiter avec personne. Remarque de toutes les personnes que j'ai pu côtoyer dans le passé aucune ne me donne l'envie de partager quoi que ce soit. J'ai fait le tour des êtres humains égoïstes et perfides et je ne le supporte plus, du moins plus que depuis ma pseudo meilleure amie s'envoie en l'air avec mon mec. Le pire, c'est que je lui confiais à cette conne tous les travers qu'il avait, que si monsieur fermé les volets en plein après-midi quand il était devant son ordinateur, ce n'était pas pour se mater une série. Ce type passait tellement de temps à se branler, que j'appelais secrètement cette pièce son spermodrome.

J'avais même confié à mon amie, qu'il avait plus de chance d'engrosser une actrice porno que moi avec tous les litres qu'il déversait devant son écran. J'ai dû lui donner quelques idées, vu qu'elle a fini par se le faire. J'aurais dû lui préciser que regarder du porno plusieurs fois par jour et tous les jours n'a absolument pas arrangé le pauvre garçon ; il n'est qu'un narcissique égoïste à petite bite et tous les films X du monde n'y changeront rien. Le bon côté de cette trahison et que j'ai fait coup double, je me suis débarrassée des deux avant d'atteindre le sommet. Je n'imagine même pas qu'ils auraient pu profiter sans gêne de ce que j'ai réussi à bâtir. Quelle aurait été ma vie ? J'aurais fait ma tournée promotionnelle pendant qu'elle lui suce son vieux cornichon rabougri ? Dans mon malheur, j'ai de la chance de m'en être aperçue rapidement, les penser se pavanant dans ma suite, m'arrache un frisson d'écœurement. Je suis bien mieux seule.

Et puis j'ai besoin de calme pour écrire la suite de mon roman. Si la première partie est un énorme succès et que tout le monde attend impatiemment la suite, personne ne sait que je n'ai pas encore écrit un traître mot. J'ai mis tout ce que j'avais dans la première partie et je dois bien avouer que je suis cruellement en manque d'inspiration. Je suis bien trop distraite par l'agitation qui plane autour de moi et la rencontre de l'homme à cause de qui tout ça a pris vie n'y change rien. Au contraire, je ne cesse de me remémorer cet instant et tout ce que j'aurais pu dire, ce moment fut chargé en émotions. Je dois reconnaître que je ne lui ai pas rendu justice dans mon histoire, il est bien plus séduisant en chair et en os, bien plus enivrant, passionnant, charismatique...

Pinçant l'arête de mon nez, je plisse les yeux de toutes mes forces comme pour trouver de la matière, il faut que j'écrive ça doit sortir et si possible assez rapidement. Mon éditrice va finir par me demander les premiers chapitres et si j'ai pu broder avec mon bagout sur le résumé de celui-ci jusqu'à présent, la mascarade va vite se révéler au grand jour. Je n'ai plus le choix, je dois absolument me concentrer, je dois écarter mes déboires amoureux et me consacrer pleinement sur mes fantasmes. Galvanisé par cette idée, je sors ma tablette et l'allume avant de perdre toute motivation. Je grimace à la vue du pourcentage de batterie : douze pourcent, à peine, aurais-je terminé un paragraphe, qu'elle s'éteindra sûrement. Résignée, je cherche en vain mon chargeur quand trois coups secs sur la porte brisent le silence agréable.

— Fais chier, grincé-je, les dents serrées.

Mon expression renfrognée se fige et se détend à la vue de mon visiteur. Son visage impassible, son aura écrasante me font légèrement vaciller et je perçois un discret sourire se tracer sur ses lèvres, fier de l'effet qu'il a sur moi.

— Eh bien, là encore tu as plus d'aplomb dans ton roman... ironise-t-il devant mon air béat. Faut dire aussi qu'il m'a prise de court. Ses yeux bleus me transpercent sans faillir ni laisser deviner la moindre de ses pensées, mon cœur se serre et ma bouche s'assèche. Je fixe nerveusement sa barbe naissante, calque ma respiration à la sienne, enfin, je doute qu'il en ait une, vu qu'il est tout à fait immobile tel une statue de cire...

Par delà la fictionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant