Chapitre XXVII(trigger warning)

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trigger warning : Ce chapitre aborde le thème du suicide 


Les doigts tremblants et la bile au fond de la gorge, je compose le 15. J'analyse la scène pour être la plus précise. Une fois que mon interlocuteur décroche, je débite à toute vitesse ce à quoi je fais face. Mon amie, non, ma meilleure amie, est allongée nue dans sa baignoire, les veines ouvertes. Les gouttes de sang inondent en partie l'eau et le sol. J'ai attrapé la ceinture de son peignoir pour faire un garrot à son poignet droit tandis que j'appuie avec une serviette sur le gauche. Sa respiration est aussi faible que son pouls, mais c'est ce à quoi je me raccroche pour ne pas péter les plombs. Elle est encore en vie, à cet instant, elle est toujours vivante et je prie tous les saints que je puisse connaitre pour la maintenir auprès de moi. Concentrée sur son visage blafard, je perçois vaguement les directives des secours qui me demandent de garder mon calme.

La communication n'est pas rompue lorsque des ambulanciers entrent en trombe. Et c'est une fois qu'il me dégage de mon amie qui git là devant moi, que je suis assaillie de spasmes. L'acidité restée sagement au fond de ma gorge jusqu'alors ressort venant à se mélanger au sang qui ruissèle. Mes pensées s'entremêlent et je ne sais pas comment, je me retrouve à terre. À présent en contact avec le carrelage froid, un hurlement de douleur m'échappe. Tout n'est plus qu'un épais brouillard et mon esprit se fige dans une espèce de trou noir. Le temps n'est plus perceptible à l'instar de ce qui m'entoure, des larmes inondent mes joues et je n'ai qu'une seule envie à cet instant, être auprès de mon amie quoi qu'il en coûte. Des bruits se font lointains, des couleurs vont et viennent dans une cacophonie d'images troubles, jusqu'au blackout.

Les évènements s'enchainent sans que je comprenne réellement l'ordre des choses. Je me retrouve à l'hôpital, non pas au chevet de Kelly, mais dans un lit, relié à une perfusion. J'ai mal à la tête et suis dans l'incapacité de me souvenir comment j'ai atterri ici.

— — Ah vous êtes réveillée, se réjouit une voix féminine derrière moi.

Avec maladresse, j'entreprends de me relever quand la dame d'un certain âge me vient en aide.

— Allez-y doucement, vous avez fait un petit malaise. Comment vous sentez-vous ?

— Où est Kelly ? murmuré-je la gorge serrée.

— Ne vous inquiétez pas pour votre amie, elle est entre de bonnes mains. On va plutôt s'occuper de vous pour l'instant.

Avec rudesse, je tire sur le tuyau qui me relie à la poche presque vide pour tenter de le retirer avant qu'elle ne me stoppe.

— Calmez-vous, je vais juste vérifier vos constantes et je vous délivre de ça.

— Je veux voire Kelly où est-elle ?

Après avoir passé sa petite lumière devant mes pupilles, elle dépose une main réconfortante sur mon épaule.

— Votre amie revient de loin, si vous n'étiez pas intervenue...

Elle laisse sa phrase en suspens, puis s'attèle à me débarrasser de la perfusion qui me retient clouée au lit.

— Écoutez, je peux entendre votre inquiétude, mais sachez que votre amie est sortie d'affaire sur le plan physique.

Je l'observe sourcils froncés attendant la suite avec impatience et agacement ce qu'elle devine.

— Je comprends tout à fait ce que vous traversez, mais je vous prie de croire que votre amie est vraiment, à l'heure actuelle, au meilleur endroit qui puisse lui être offert. Je peux vous assurer qu'elle est saine et sauve grâce à vous, cela dit, vu le contexte, vous devez accepter que pour le moment, elle ne peut recevoir de visite.

— Je veux juste la voir quelques secondes rien de plus...

— Votre amie vient de tenter de mettre fin à ses jours et aussi dramatique que cela soit, la seule personne autorisée pour l'instant à l'approcher est un psychologue ou éventuellement un membre de sa famille, ce que vous n'êtes pas, j'en suis fort désolée.

Ses mots sont des poignards, si je ne suis effectivement pas de sa famille, elle est clairement la mienne, il est horrible d'attendre un affreux drame avant de s'en rendre compte. Je fouille dans ma mémoire cherchant un proche à contacter, mais de ce que je sache elle est fâchée avec sa mère depuis des années et ne connais même pas son père.

— Je suis sa famille, s'il vous plait, je vous en prie, supplié-je les larmes presque débordantes.

— Calmez-vous par pitié et je vous promets de voir ce que je peux faire.

Le poids sur mes épaules s'allège lorsqu'elle quitte la pièce. J'ai dans l'espoir qu'elle me permette de voir Kelly au plus vite. Mais bon sang que s'est-il passé ? Les mots tentative de suicide font échos dans mon esprit. C'est juste impossible, il doit y avoir erreur, c'est peut-être une mise en scène de quelqu'un qui lui a fait du mal, oui, c'est certainement ça. Il ne peut en être autrement, je connais bien mon amie. Elle est la joie de vivre, la fantaisie à elle seule. Alors c'est parfois vrai qu'elle peut avoir des réactions exagérées et excentriques, mais de là à vouloir mettre un terme à sa vie, c'est inimaginable. Je l'aurais repéré, je me serais rendu compte que quelque chose n'allait pas, on se parle tout le temps, je lui confie tous mes états d'âme et elle en a toujours fait autant. C'est impensable ! Il y a une explication c'est sûr et c'est pour cela que je dois la voir. Il faut qu'elle me dise qui lui a fait du mal, je jure que je ferais n'importe quoi pour la protéger, je prendrais soin d'elle.

— Mademoiselle Valensol, m'interrompt l'infirmière. Le docteur souhaiterait s'entretenir avec vous dans un premier temps si vous êtes d'accord.

— Bien entendu, m'exclamé-je en me levant du lit sur lequel j'étais encore assise.

— Vous pouvez patienter ici, il sera là d'ici une dizaine de minutes.

Son ton doux calme un peu mon excessivité, ce qui la conforte dans l'idée qu'elle peut me laisser attendre seule puisqu'elle repart aussitôt.

Sauf que les minutes s'étirent, je trouve le temps long, je m'imagine plein de scénarios fantasques. Je songe filer en douce, dénicher un registre qui m'indiquerait la chambre de mon amie, ou bien je me dis que je pourrais soudoyer un interne pour me permettre d'approcher... Ouais, faut que j'arrête d'écrire des romans, je perds carrément les pédales...

Lorsque le médecin arrive enfin, mon angoisse se tarit un peu.

— Bien Mademoiselle Valensol ? s'avance-t-il le sourcil levé.

— Oui.

— Avant toute chose, je tenais à vous annoncer que votre amie ne risque plus rien. Grâce à vous elle s'en remettra.

— Est-ce que je peux la voir ?

— Concernant ce dernier point, il est préférable de vous avertir que votre amie est dans un état de fatigue extrême. Elle est assez déboussolée, aussi je vous demanderai d'éviter toutes sortes de questions au sujet de son geste pour le moment.

À l'insinuation qu'elle aurait pu elle-même s'infliger ça, mon ventre se contracte.

— Savez-vous si elle a de la famille, des proches que nous pourrions contacter ?

— Elle n'a personne, elle ne parle plus à sa famille depuis des années.

— Je vois, acquiesce-t-il. Savez-vous si elle suit un traitement particulier, si elle souffre d'une quelconque pathologie ?

— Pas à ma connaissance.

— A-t-elle déjà fait allusion à un certain mal être, des humeurs changeantes, un comportement différent ?

— Non, enfin, je sais qu'elle était contrariée par rapport à son manuscrit, mais de là à imaginer...

— Bien, je vous accorde cinq minutes, pas plus. J'insiste sur le fait que votre amie est en grande détresse émotionnelle, aussi je vous demande de faire preuve de vigilance dans vos propos.

L'air grave qu'il arbore ne me laisse rien présager de bon et c'est avec beaucoup d'appréhension que je lui emboite le pas.

Par delà la fictionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant