Je me souvenais d'un soir d'hiver particulièrement rude, quand j'avais six ans.
Le berger avait décidé de nous réunir exceptionnellement autour de la cheminée située dans la salle commune pour y passer la nuit, les flammes dansant devant nos yeux. De la toile avait été installée à même le sol, nous empêchant d'être en contact direct avec le bois dur. Il faisait si froid cette nuit-là, dans ce monastère dénué de chauffage, que tout le monde avait passé la nuit à se serrer les uns contre les autres, nos corps tremblants si fort qu'il était impossible de trouver le sommeil, nos dents claquant en harmonie.
Je me rappelais avoir dit à ma mère cette nuit-là que j'avais si froid que j'avais l'impression que j'allais mourir.
Tout ce qu'elle m'avait répondu était que si je mourais, alors, eh bien, c'était la volonté de Dieu.
Et je l'avais cru. J'avais cru qu'il y avait quelque part, un être tout puissant prêt à me laisser mourir, et que je ne pouvais rien y faire.
A cette époque, je n'avais pas encore compris que je n'étais pas totalement impuissant. Je n'avais pas encore compris que c'était à moi de me sauver, que si j'avais froid, c'était à moi de trouver le moyen de me réchauffer.
Je lançai un regard à Louis, celui-ci toujours assis à côté de moi sur la banquette arrière, et je ne pus que me sentir désolé de n'avoir réalisé cela que maintenant.
Je n'étais pas impuissant.
"Dès que nous arrivons, vous êtes priés d'aller vous changer, d'aller vous laver les mains et de vous asseoir à table. Le dîner devrait être servi dans un peu plus de trois quarts d'heure.", nous expliqua Éric, sa voix raisonnant dans l'habitacle et me coupant dans le fil de mes pensées.
Un souffle, à peine un regard lancé dans le rétroviseur, un claquement de langue de la part de mon père.
C'était tout ce à quoi nous avions droit.
Nous nous enfuyions, et tout ce que nous avions en retour était une indifférence si palpable qu'elle en était étouffante.
On disait souvent que c'était la haine qui tuait. Mais la haine était mordante, violente, elle s'insinuait dans le cœur des Hommes et leur donnait un semblant de but, de mission à accomplir... même si ce but était tout simplement de tuer l'autre.
C'était la haine qui avait aveuglé Caïn au point qu'il tue son frère, Abel.
C'était la haine qui avait poussé des Hommes à faire subir au Christ le supplice de la Croix.
C'était la haine qui avait conduit aux plus grands massacres de l'Histoire.
La haine avait si souvent été mise sur le devant de la scène, si souvent pointée du doigt, que l'on oubliait à quel point l'indifférence était à l'origine des plus grandes souffrances de l'âme.
C'était l'indifférence qui poussait à la folie, l'indifférence qui brisait.
Lorsque je franchis le pas de la porte du monastère, une part de moi pensa, espéra, peut-être même, que notre retour provoquerait une certaine agitation parmi les disciples, un certain intérêt.
Cet espoir était cruel, car il me fit oublier l'espace d'un instant à quel point je n'étais rien, à quel point notre retour n'avait aucune importance.
Depuis des années, notre berger n'avait cessé de nous répéter que notre unique mission était d'honorer Dieu, de l'adorer. Il nous avait toujours fait comprendre que faire partie de cette communauté était un privilège, et qu'il fallait l'honorer.
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We Made It [L.S.]
Fanfiction« Secte : Groupement religieux, clos sur lui-même et créé en opposition à des idées et à des pratiques religieuses dominantes. » Il s'agit de la définition officielle, je n'ai pas eu mon mot à dire. Pourtant lorsque j'y pense ce sont bien d'autres t...