Cela aurait dû être bruyant. Il aurait dû y avoir des cris, des pleurs, des questionnements.
Mais, dès l'instant où la porte se referma sur mes parents, un silence de mort s'abattit. Plus personne, pas même ma sœur, n'osa prononcer un mot. Ce n'était pas par manque de courage. C'était plus comme si les mots reposaient sur notre langue, pâteux, lourds, amers, tels du charbon, et qu'il était impossible pour nous d'ouvrir la bouche. La main de ma sœur serrait encore la mienne, crispée, et je ne savais pas quoi faire.
Je me retournai alors en direction de Benjamin, celui-ci ayant été missionné de me ramener dans cette chambre lugubre. J'étais sur le point de lui faire comprendre que je ne comptais pas me laisser faire s'il comptait m'y accompagner, lorsque je croisai ses yeux. Et soudain, ce dont je me doutais déjà m'apparu alors comme la plus grande certitude de mon existence :
"Tu sais quelque chose, compris-je, les yeux cloués dans ceux fuyants de Benjamin. Tu sais ce qu'il se passe."
A ces mots, Gemma tourna immédiatement la tête vers son mari. Ses yeux s'agrandirent, se rétrécirent, ne sachant plus quelle émotion privilégiait toutes celles qui l'envahissaient. La flamme de la bougie qui reposait sur la table de chevet à sa gauche faisait briller ses pupilles dangereusement :
"C'est... vrai ?", s'informa-t-elle prudemment.
Elle n'était pas hystérique. Elle n'était pas complètement envahie par ses hormones, et, paradoxalement, cela me terrifia d'autant plus.
Le silence se répercutait contre les rares meubles présents dans la pièce, me donnant une impression de vide qui me sembla comme gravé jusque dans mes os. Les mains de Benjamin tremblaient contre celle de Gemma et il paraissait si mal, si démuni, que je me revis à sa place. Benjamin était moi. Il était moi quelques mois plus tôt, lorsque je pensais encore que j'étais incapable de penser par moi-même, lorsque je me reposais sur une quelconque justice qui n'existait alors que dans ma tête.
Face au silence de Benjamin, ma sœur l'interpella, la voix plus ferme cette fois-ci, et les épaules de son mari s'affaissèrent, comme s'il n'avait même plus suffisamment d'énergie pour combattre sa femme :
"Le berger a dit... Il a dit que le bébé était maudit. Qu'il allait certainement mourir plusieurs minutes, voire heures, après sa naissance. Il a dit... que la seule explication possible était que quelqu'un lui avait jeté un maléfice."
Son regard se posa l'espace d'une seconde vers moi, et je sus. C'était moi, cette personne.
Etrangement, je n'étais même pas surpris. C'était si simple. Retourner Gemma contre moi, l'une des rares personnes qui croyait encore en moi, en utilisant son propre enfant... C'était si simple.
Les mains de Benjamin tremblèrent encore un peu plus, les tremblements se prolongeant le long de son corps, et pendant un instant, j'eus peur pour ma vie. Et s'il se jetait sur moi, maintenant, tout de suite ? Serais-je capable de me défendre ?
Mon poing se referma autour du couteau que je cachais encore dans ma manche. J'avais peur. J'étais terrifié, même, mais cela ne m'empêcha pas d'entendre le cri de douleur que Gemma sortit.
Et si j'avais cru que l'accouchement pouvait être douloureux, ce n'était rien comparé à la souffrance qui marqua le visage de ma sœur.
Elle se recroquevilla sur elle-même, les serviettes encore tâchées de sang l'encerclant, ses mains fermement pressées contre sa poitrine, comme si elle cherchait à agripper son cœur. Ses cheveux en sueur lui collaient au visage, se mêlant à ses larmes. Elle hoqueta, son corps secoué de spasmes douloureux, et je ne pouvais rien faire.
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We Made It [L.S.]
Fanfiction« Secte : Groupement religieux, clos sur lui-même et créé en opposition à des idées et à des pratiques religieuses dominantes. » Il s'agit de la définition officielle, je n'ai pas eu mon mot à dire. Pourtant lorsque j'y pense ce sont bien d'autres t...