Un flocon de neige par-ci, une hache par là et on obtient la recette parfaite d'une vie sans pépins à New Garden. Car oui, ce petit village perdu au fin fond du Maine a tout d'un véritable havre de paix.
C'est du moins ce que pensait Heden Keye. Si...
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Je regarde la porte se fermer derrière Caleb avec un pincement au cœur. Je ne sais pas si c'est le froid qui le provoque ou bien l'amertume, mais j'en geins. La main de mon père s'aventure sur ma joue, mais je parviens à me dégager pour la coller contre le rebord chaleureux du fauteuil. Repliée sur moi-même, je renifle et murmure pour la énième fois.
— Ça va aller, papa, tu peux arrêter de faire semblant, il n'y a plus personne...
— Tu crois que je m'occupes de toi pour une quelconque image à préserver ?
— Ouais.
Riposté-je aussitôt. La blessure se dessine sur son visage. Ses yeux semblent saigner.
Mais peu importe.
Même frigorifiée, je peux être rancunière. Quelque chose qu'il m'a enseigné, d'ailleurs. Quand j'étais petite, nous nous étions disputées, avant qu'il ne parte trois semaines à la chasse. Et même s'il était revenu, nous nous parlions toujours pas.
Aujourd'hui, c'est exactement la même chose.
De plus, je n'ai pas vraiment l'énergie pour pouvoir lui répondre. Cloîtrée dans mon corps, la douleur et la fatigue s'entremêlent.
Tout ce que j'ai envie, c'est de fermer les yeux.
Et ne plus entendre qui que ce soit.
Pourtant, le soupir de mon père me pousse à rouvrir les paupières. Il se lève péniblement de sa chaise, prend une autre couverture et me la dépose sur mon corps retroussé. Il attarde sa main sur mes cheveux noircis et fait mine de sortir... Jusqu'à ce qu'il se retourne.
— Ce n'est pas la première fois que tu tombes dans le lac.
— Ouais.
— Et ce n'est pas la première fois que je t'ai enseigné comment en sortir.
— Ouais.
— Mais c'est la première fois que j'ai cru que j'allais te perdre.
Je me mords la lèvre et il revient s'asseoir. La sincérité fait noyer ses iris grisés lorsqu'il poursuit.
— Quand... Que je ne t'ai pas vu remonter et que tout est devenu... Silencieux... Heden... J'ai cru que je n'allais plus jamais te revoir. Je me suis imaginé creuser ta tombe. Devoir porter moi-même le cercueil de cette petite fille que j'ai aidé à marcher, pour la toute première fois. Même à l'époque, tu me disais de te laisser tranquille. Tu m'avais repoussé et tu avais filé tout droit, jusqu'à t'arrêter, te retourner vers moi et de sourire. Bon sang... Je me suis imaginé enterrer ton sourire, tout à l'heure.
Je renifle une énième fois face aux propos qui font mourir sa voix dans sa gorge, à petits feux. Il tend sa main vers la mienne et attends que je la lui prenne. Que j'enfonce mes doigts dans les siens. Que je lui pardonne.
