Un flocon de neige par-ci, une hache par là et on obtient la recette parfaite d'une vie sans pépins à New Garden. Car oui, ce petit village perdu au fin fond du Maine a tout d'un véritable havre de paix.
C'est du moins ce que pensait Heden Keye. Si...
Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.
Je me rappelle avoir eu cette conversation, avec Heden. Celle où j'ai osé demandé pourquoi elle avait si peu de souvenirs, chez elle. Pourquoi ses murs étaient tant dépourvus de cadres ou d'accomplissements. Merde, j'ai même fait l'erreur de lui dire que c'était peut-être parce qu'elle n'avait toujours rien fait. Résultat, une claque derrière la tête et une pincée de sel dans mon thé plus tard, elle m'avait quand même expliqué qu'elle n'était pas matérialiste.
Je savais qu'elle mentait. Parce que pour quelqu'un qui plaidait ne pas accorder l'importance aux objets, elle était sacrément équipée en couvertures et oreillers.
Puis j'ai compris.
Elle avait besoin de confort pour oublier le vide de ses murs.
Je sais aussi, à présent, que si elle osait accrocher un souvenir, elle allait le perdre dans l'instant.
Il ne faut pas parler de famille à Heden Keye. Ça, non.
Le bruit de nos répliques incessantes résonne encore dans ma tête, alors que je noue mes mains derrière ma nuque.
Je n'ose pas me lever du sol sur lequel je suis scrupuleusement allongé, par peur qu'ils s'évaporent de mes oreilles. Putain, même nos disputes stériles me manquent.
Comme la première fois où elle m'a recousu, même s'il y avait plus de sang, à l'époque.
Malgré mes craintes, je me redresse en rampant sur mes coudes et me lève doucement pour éviter que la soudaine migraine qui m'envahit ne fasse vriller mes méninges.
Si sur les murs d'Heden, rien n'est accroché, chez moi, c'est le contraire. Du moins, ça l'était, jadis.
Mon regard papillonne sur les taches jaunies au milieu du papier peint, où se trouvaient des photos. Je passe même la pulpe de mes doigts sur les trous laissés par les clous des étagères... Celles qui portaient mes trophées.
L'astronomie était un peu plus pour moi, que les autocollants phosphorescents sur le plafond d'Heden. Mon père y a bien veillé, entre trois exercices de mathématiques loin d'être adaptés pour un gamin qui devrait s'intéresser à des dessins animés.
Non pas que je m'en plaignais, à l'époque... Après tout, c'étaient nos uniques moments de bonheur.
Depuis que mon ancienne voisine m'a donné les clefs, je ne sors plus. Deux jours se sont écoulés depuis mon retour à Manchester et je sors à peine de la chambre qui avait été la mienne, à une époque plus heureuse.
Toujours vêtu des mêmes boots usés, du même jean et de la même chemise bleue que Colby m'avait filé, je passe mon temps à errer d'un mur à un autre.
Mes lèvres ne se dessoudent pas.
Même pas quand je prends une douche plus que froide.
Et certainement pas lorsque je passe mes soirées dehors, à arracher d'une main distraite les feuilles des mauvaises herbes qui me grattent le visage, lorsque je m'assois.