Pour Pélagie

Chapitre 12

Les maisons à colombage sont hypnotisantes. Quelques-unes sont apparues petit à petit. Les noms germaniques commencent aussi à se manifester. Le paysage change et est beaucoup plus divertissant, le soleil qui commence à s'éclipser rend le tout encore plus merveilleux.

— Mets le CD dans l'étui marron foncé.

Je rentre le disque dans le lecteur. Clayton m'a informé qu'on arriverait dans une petite heure. Strasbourg nous attend, puis l'Allemagne. J'ai hâte de quitter le pays, un nouvel air me fera du bien. Même si on est déjà en dehors de notre région avec des paysages différents, des airs différents ce n'est pas la même chose. J'ai cette impression qu'en quittant le pays je laisserai tout ce qui me tracasse derrière moi.

Je hausse un sourcil en entendant la chanson de Jack Denvers s'échapper des hauts parleurs. Cliché au possible.

— C'est des compositions non ? T'as vraiment gravé cette musique ? C'est le truc le plus...

"Cliché" résonnent nos deux voies en chœur.

— Je sais, ajoute Clayton. Mais c'est adapté à la situation.

— Non mais Country Roads pour un road trip ! C'est plus que du cliché.

On rit tous les deux. Une fois qu'on se calme, je me retourne vers lui. Je lui pose une question qui me trotte dans la tête.

— Tu savais aussi pour les crises d'angoisses ?

— Oui. Je savais aussi. Ce n'est pas vraiment que je m'intéressais particulièrement à toi avant, mais les trucs importants, je les retenais. Les seules choses que j'ai oubliées c'est ta matière préférée et d'autres trucs comme ça. Mais je pouvais pas oublier tout ça.

J'aurais préféré le contraire. Qu'il oublie les trucs importants et se rappelle des choses banales.

— Je n'en parlerai pas de tout ça, Alice. Je ne te supporte pas des masses par moments mais je ne suis pas vraiment un connard.

J'ai envie de répondre que j'aurais pensé le contraire mais je me contiens. Même si je dis ça de façon ironique je n'ai pas envie de prendre le risque de relancer un conflit dans ce petit espace. Je ne veux plus me battre avec lui pour l'instant.

— Je n'en suis pas une non plus.

— Je sais. Sinon tu n'aurais jamais été amie avec Ji. Mais avec moi, il faut avouer que t'es une sacrée peste.

Je fais une grimace avant de lui confier.

— Jamais personne avant toi ne m'a fait devenir comme ça. Y'a que toi qui me fait sortir de mes gonds. Ce n'est pas mon vrai caractère.

Je ne sais pas pourquoi je lui confie tout ça. Mais j'ai rien à perdre, il en sait déjà tant que ça ne changera pas grand-chose.

— T'es vraiment une gamine timide avec les autres ?

— Modérément. Je suis très timide avec les inconnus. Avec ta sœur c'était différent, je sortais de la timidité et étais vraiment moi. Elle faisait ressortir tout ce qu'il avait de meilleur en moi.

Il ricane, il se moque de moi. Je crois. Je déteste ça. Je n'arrive pas à parfaitement le cerner.

— Je comprends ce que tu veux dire. Tes bons aspects ressortaient avec elle. Moi, au contraire, je fais ressortir ce qu'il y a de pire en toi.

— C'est ça. Et sa mort...

Je déglutis, le regard de Clayton fait des allers retours entre moi et la route, attendant que je dise ce que je pense.

— Sa mort n'aide à rien. Je suis horrible avec beaucoup de personnes. Quasiment tout le monde. Je n'ai plus aucune empathie, c'est vraiment étrange.