Chapitre 17

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Nous arrivons enfin au Jardin de l'Orangerie après très très longtemps : l'équivalent de cent trente six personnes croisées. Mes jambes sont en compote. Clayton marche légèrement devant, les mains dans les poches. Des nids de cigognes sont posés en hauteur un peu partout dans le parc, les livreurs de bébés y sont souvent dedans, peu sont vides. C'est vraiment impressionnant.

— Tu te dépêches la limace ! ordonne Clayton d'un ton taquin.

— Va te faire voir ! J'ai les jambes en coton. On vient de croiser une centre cinquante et unième personne, j'en ai ras le bol.

Il s'arrête net et fronce les sourcils en se retournant vers moi. Il attend que je sois à son niveau pour parler.

— C'est plutôt précis tout ça.

J'ai fait une boulette. Je ne veux pas que quelqu'un soit au courant pour les choses que je compte. Je ne veux pas que Clayton le sache. On m'enverrait directement à l'asile, déjà que ma mère me soupçonne d'être dans le déni et en pleine dépression, si elle apprend ça je vais recommencer à revoir tout un tas de psychologue, psychiatre et plein d'autres personnes en psy-. De même si elle apprend que j'ai fait une crise d'angoisse. Et failli en faire plusieurs le jour de l'enterrement. Et encore une aujourd'hui. Et que je fais des cauchemars.

— C'était juste une expression. Pour exagérer.

— T'en es sûrement pas très loin. T'as compté ?

Pourquoi il pose cette question ? Il doute de la véracité de mes paroles alors qu'en soit c'est crédible. N'importe qui serait passé outre. Il ne faut pas qu'il le découvre, il me prendrait pour une folle, encore plus que maintenant.

— Quel fou compterait chaque personne qui passe ?

Il secoue la tête. Un petit rire nerveux sort de ma gorge. Très vite nous changeons de sujet.

Nous arrivons enfin dans la partie animalière du parc. A aucun moment nous ne nous arrêtons vraiment pour bien les observer. Les zoos ne m'ont jamais tant amusée que ça. Non pas que le fait que les animaux captifs me dérangent mais je ne suis pas plus fascinée par la faune et la flore que je considère "industrielle". C'est assez intéressant à regarder mais je ne me stopperai pas pendant plusieurs minutes pour observer un animal faire la même chose en boucle derrière une grille ou une vitre. Les cigognes en liberté sont bien plus intéressantes par exemple.

Nous continuons de marcher jusqu'à un banc au bord de l'eau. Je soupire et regarde le mouvement de l'eau. Comme quand j'ai fui sur les quais à Lyon, je me sens en paix et détendue.

— T'es allée voir un psy ?

Je me tourne vers Clayton. Il a osé poser une des questions qu'on aborde pas sur la mort de sa sœur. Celles bien trop personnelles. Mais je réponds quand même. Aussi désagréable soit-il, en peu de temps il a réussi à avoir ma confiance. Une confiance un peu particulière mais je ne le crains pas. En fait, il est ma seule issue, mon seul repère au milieu de ce champ de bataille qu'est ma vie. Je ne peux que m'accrocher à lui, je n'ai plus personne. Personne ne s'intéresse à moi, à ce que je ressens. Au moins ça me permet de gérer le vide en moi, j'essaye de faire en sorte de le contrôler, qu'il ne soit pas trop gros, déstabilisant et qu'il ne me donne pas envie de couper mes veines.

— Une fois.

— Pas plus ?

— Non. Je sais qu'elle est en paix maintenant, que ses tourments sont terminés et que Dieu veille sur elle.

Je ricane ironiquement.

— Tu as dit ça au psy et à tes parents.

C'est plus une affirmation qu'une question. Il sait comment je me comporte et il a parfaitement compris mon caractère depuis la mort de sa sœur.

Pour PélagieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant