Chapitre 31

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Depuis ce matin, nous parcourons la ville à pied. On a passé pas mal de temps dans un parc à manger une barbe à papa que nous avons achetée à un stand en guise de repas du midi. En plus nous avions quand même pu acheter des sandwichs. Si on continue à aussi mal manger nos corps vont finir pas lâcher et il vaudrait mieux éviter. C'était parfait comme matinée, je ne pouvais pas rêver de mieux. J'ai osé faire un pas vers Clayton en posant ma tête sur son épaule alors qu'on s'était posé dans l'herbe. Grâce au beau temps, la pelouse était sèche. On a pu s'allonger sur le sol à regarder le ciel bleu. Il n'y a pas un seul nuage aujourd'hui et une température assez élevée. Nous n'étions pas les seuls à observer le ciel, étant dimanche des tas d'autres personnes étaient là. Notamment des couples dans la même position que nous. Nous sommes restés quelque temps l'un contre l'autre avant de décider de repartir visiter la ville. Nous n'avons fait que déambuler dans les rues.

Puis maintenant nous sommes à l'église Saint-Michel. Les coups de cloche de cinq heures viennent de sonner il y quelques instants. Nous avons suivi les recommendations de la femme hier. J'ai même pu dire au revoir au couple, nous les avons croisés dans l'ascenseur ce matin. J'étais vraiment contente de les revoir. Nous montons les dernières marches pour arriver en haut du bâtiment pour admirer la vue.

A peine nous posons un pied en haut que je suis émerveillée. C'est magnifique. La vue est dingue. J'adore. Je ne peux m'empêcher de sourire. J'avance vers le bord, et m'appuie à la barrière. Il fait tellement bon ! Et cette vue ! Je me penche en avant et respire l'air frais. Je me sens vraiment heureuse à cet instant. Je regarde en bas. Nous sommes assez haut tout de même. Je n'ai pas le vertige, au contraire en hauteur je me sens bien, libre.

— Arrête. Ne te penche pas comme ça.

— C'est bon ! Je ne vais pas crever.

— Alice, sérieux putain ! crie-t-il.

Il passe un bras autour de ma taille et me recule loin de la barrière.

— Arrête ça, grince Clayton entre ses dents.

Je déteste quand il fait ça. Je le fusille du regard et il coupe tout contact avec mon corps. Il n'a pas à me dire ce que je dois faire. Je suis assez grande, j'ai dix huit ans aujourd'hui, je ne vais pas tomber par-dessus la barrière.

Je regarde encore le paysage à distance, le soleil commence à se coucher, la vue est magnifique. Un vent froid me fait trembler. Je me rapproche un peu du vide, sans pour autant être trop proche de la barrière, je ne veux pas me battre plus longtemps avec Clayton. Et je sais que si je le fais ça va partir dans une dispute houleuse et on va faire fuir la famille de polonais à côté. J'entends le lourd soupir de mon compagnon.

— Je suis flippé à l'idée que tu te jettes dans le vide, Alice. Chaque soir avant d'aller dormir je récupère mes lames de rasoir et les cache, j'ai réfléchi à toutes les solutions que tu pouvais imaginer pour te tuer. J'ai fouillé dans tes affaires - j'en suis désolé - pour voir si t'as pas des médocs - je compte les paracétamol tous les jours - ou si t'as pas une corde. Je ne veux pas perdre une personne en plus, encore moins toi. Surtout pas toi. Tu te rends pas compte de la signification que ça aurait pour moi de me retrouver avec la mort de Pélagie plus la tienne. Être responsable de deux suicides, ça serait un cauchemar et je pense que je serais le troisième.

Je sens les larmes au bord de mes yeux. Il... Je n'ai pas les mots. Je me retourne vers lui. Lui aussi est sur le point de se mettre à chialer. Il détourne le regard. Je sais que ça le tuerait de me perdre. Il me l'a déjà dit mais là c'est encore plus frappant, plus touchant.

— Je ne vais pas...

— Tu pourrais sauter, là, maintenant. Tout serait réglé. En plus t'es tellement belle que t'aurais la meilleure tenue pour que les flics viennent chercher ton corps. Ce serait la meilleure solution. Tu le fais le jour de ton anniversaire donc ça fait le cadre parfait pour retourner le cerveau de tous tes proches. Tu pourrais faire souffrir tes proches autant qu'ils t'ont fait souffrir. Avoue que tu y as pensé. Avoue que ça serait la meilleure solution.

Je baisse le regard. Mes mains tremblent. Je n'essaye même pas de m'en cacher. Clayton fait un pas vers moi et les recouvre des siennes. Si on était seuls je crois que je l'embrasserais maintenant. Je voudrais que ces polonais partent mais ils ne m'ont pas l'air de le vouloir pour l'instant.

— J'y ai pensé, j'avoue. Mais pas aujourd'hui. J'y ai pensé le jour où je voulais me foutre en l'air avec tes lames. Depuis que j'ai pleuré à Francfort je n'ai plus les idées aussi noires. Je ne te ferai jamais ça, Clay. Je te le promets. C'est vrai que ça aurait été le meilleur des plans pour moi il y a quelques jours. Mais maintenant ce n'est plus le cas.

Maintenant mon meilleur des plans c'est de l'embrasser. La tension entre nous est trop forte. Ce n'est pas possible que j'ai créé ça seule dans ma tête.

Ich will dich küssen.

Je l'ai dit assez fort pour que Clayton l'entende. Mais bien évidemment il ne comprend pas.

— T'as dit quoi ?

— Rien. Je me parlais à moi-même.

Il me lance un regard que je n'arrive pas à décrypter.

Quiero besarte y mucho más.

Je fronce les sourcils.

— T'as dit quoi ? Je pensais que tu ne parlais pas espagnol.

— Je connais la base. Et je me parlais à moi-même.

J'ai compris. Il l'a fait exprès. Maintenant je ressens ce que lui devait ressentir il y a quelques instants. Je suis frustrée de ne pas savoir ce qu'il vient de dire. Mais bon, mieux vaut ne pas qu'il sache ce que j'ai dit.

— Tu veux faire quoi ?

Je retiens un rire sarcastique qu'il ne doit pas voir. Je viens de lui dire ce que je voulais faire sans qu'il le sache.

— Est-ce que je peux juste m'approcher du bord ? Je te le promets Clayton.

Il hoche la tête et j'approche de la barrière. Je me sens libre au-dessus du vide. J'ai cette sensation de puissance et de grandeur. Sans que je ne m'y attende, il vient se placer derrière moi collant ainsi son corps au mien, ses bras passent autour de ma taille. Il ne devrait pas faire ça. Tout mon corps se met en effervescence. Je mets toute mon énergie à contrôler ma respiration. Il ne doit pas voir à quel point il me fait de l'effet. Punaise. Si seulement les polonais pouvaient dégager ça serait parfait. Je pourrais me retourner et l'embrasser.

— La vue est quand même magnifique, commente-t-il comme si de rien n'était.

— T'as peur que je saute ?

— Non.

Des frissons parcourent tout mon corps. Okay. Au moins c'est honnête de sa part. Je pense qu'on se met mutuellement dans des états second aujourd'hui. Peut-être que nos tenues jouent un peu dedans. On ose se provoquer l'un l'autre. On va se pousser à bout : jusqu'à ce qu'on s'embrasse enfin. Je vais tenter ma chance. Au pire il me pardonnera, c'est mon anniversaire et je dirai que j'ai pas réfléchi. Si je n'ai pas le courage de le faire alors qu'on peut se voir, je le ferai une fois qu'on aura éteint les lumières ce soir. C'est toujours plus simple d'embrasser dans le noir.

— On peut encore un peu se balader ?

— Bien sûr. C'est toi qui décide.

— Et au passage on achetera des bières.

— Des bières ?

— Tu veux pas ?

— Si, si. On achètera des bières. Et à manger ce soir tu veux quoi ?

— Je ne sais pas.

— Tu veux qu'on se trouve un restaurant ?

Je réfléchis. J'hésite entre un restaurant ou un repas tranquille à l'hôtel. En plus des bières on achèterait des chips, tomates, saucisses apéro, de quoi faire un apéro. Après réflexion, cette dernière solution est la meilleure. Je veux être au calme avec Clayton. Pas pour tous ces trucs entre nous. Juste parce que je veux passer une soirée tranquille.

— Je veux manger dans la chambre, on va acheter quelques trucs. Et au pire si on veut ressortir on ira marcher au bord de l'eau comme hier soir.

— C'est parfait. On y va ?

Je hoche la tête et nous repartons. Je sens encore l'empreinte de son corps sur le mien. Et comme par hasard les polonais repartent en même temps que nous.

Pour PélagieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant