Chapitre 8.4 - rework

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Hyro

Allongé sur le divan, le corps encore chaud de la jeune femme contre le mien, je pense à ce que je vais devenir. Sans Erin. D'habitude, lorsque je rentre au palais après avoir vu Valeria, Erin me taquinait toujours et prenait un malin plaisir à me mettre mal à l'aise. Car les Immortels peuvent sentir certaines odeurs émanant des corps. L'odeur singulière et propre à chacun. L'odeur de la peur, mais aussi celle du désir.

— À quoi penses-tu ? me demande Valeria.

— Rien en particulier.

— Menteur ! Je vois dans tes yeux quand tu broies du noir. Et c'est précisément ce que tu es en train de faire.

— Je pensais à Erin.

— Il... te manque ?

— Terriblement.

— Je n'ai aucun souvenir de ma famille, confesse-t-elle. Je ne sais même pas si j'avais des frères ou des sœurs. Alors je ne peux qu'imaginer ta douleur.

— Ne t'encombre pas de ça, je réplique. C'est mon fardeau, pas le tien.

— Le Sorcier... tu vas partir le traquer ?

— Je ne pense qu'à ça.

— Quand ?

— Dès que le Roi m'y autorisera, je réponds avec amertume.

— Qu'attend-il pour te laisser partir ?

— Que je parade pour sa fête du printemps.

— Ah... La fameuse fête du printemps... Tu vas encore faire ton grand numéro de magie ? se moque-t-elle.

— C'est ce qu'il attend de moi.

— Pourquoi ne lui dis-tu pas que tu déteste faire ça ?

— Il le sait très bien. Mais donner de l'espoir au peuple est sa priorité, je soupire.

— Parfois je t'envie. Et parfois je te plains, bougonne-t-elle en caressant mon bras du revers de ses doigts.

— On pourrait s'enfuir, tous les deux. Fuir cette ville. Cette cité. Trouver un endroit où personne ne nous forcerait à jouer des rôles que nous haïssons.

— Hyro, mon doux rêveur... me charrie-t-elle.

— Je suis sérieux, Val. Tu n'as rien à faire dans cet endroit.

— On en a déjà parlé. Je... je ne peux pas partir.

— Tu ne peux pas ou tu ne veux pas ?

Valeria se dégage de mon étreinte et se lève après s'être étirée. Elle se dirige vers une table basse et se sert un verre d'eau.

Je me redresse également, puis revêt ma tunique avant d'enfiler mon pantalon. Mon amie me tend un verre que je bois but d'une traite avant de le lui rendre. Je me lève pour chercher mon pull, roulé en boule sous le canapé. Puis j'enfile mes bottes et passe ma cape par-dessus mes épaules.

Je sens quand il est temps de partir. Qu'un client est sur le point d'arriver. Un autre aspect de notre arrangement est de ne jamais parler de l'activité de Val.

— Ton odeur a changé, me fait-elle soudain remarquer tandis que je passe une main dans mes cheveux légèrement humides.

— On vient de coucher ensemble, Val, je réponds en haussant les épaules.

— Je ne te parles pas de ça. C'est autre chose.

— Quoi donc ? je m'étonne.

— Tu empestes le désir primal. Et la possession. C'est différent, insiste-t-elle. Comme un appel.

— Tu racontes n'importe quoi.

— Je suis sérieuse, Hyro. On dirait... l'odeur du lien.

Je me fige en entendant ces mots. Mon cœur se met à battre violemment dans ma poitrine.

— Valeria...

— J'ai raison, n'est-ce pas ? Tu... l'as rencontrée ? La fille qui porte la mort et le Soleil dans ses yeux ?

Je n'ai parlé de la naissance de Wassalie qu'à Egon et Valeria. Les écrits relatant l'histoire des Immortels affirment que les mâles rêvent toujours de la naissance de celle qui leur est destinée, afin qu'ils puissent la retrouver et s'accoupler, pour perpétuer les lignées de sang pur.

J'ai découvert cette information à dix-huit ans. Et j'ai de suite fait le rapprochement avec l'étrange rêve que j'avais fait étant enfant. Il est tellement rare pour les Immortels d'avoir la chance d'avoir une âme-sœur, notre race étant en voie d'extinction. Sur le moment, ma découverte m'avait comblé de joie. L'idée d'avoir une partenaire, quelqu'un qui m'était destiné, m'avait bouleversé. Moi, à qui on a tout enlevé.

Mais cette même nuit, j'ai fait un autre rêve. Un rêve où j'ai revu la fille aux yeux noirs. Un rêve où elle me détruisait, annihilant ma lumière pour me plonger dans l'enfer des ténèbres...

— Je... Pas vraiment, en fait, je réponds enfin.

— Mais vous vous êtes touchés. Autrement, le lien ne se serait pas activé.

— J'ai été souffrant et elle m'a ramené. Mais ça s'arrête là. C'est une kuulaja, je précise.

— Mais c'était suffisant. Tu l'as senti ? Le crépitement de magie ?

Je me souviens parfaitement de la sensation de picotement qui a parcouru mes doigts lorsque je me suis éveillé avec la main de Wassalie dans la mienne.

— Qu'est-ce que tu vas faire ? me demande Valeria, inquiète.

— Rien du tout. Rester aussi loin d'elle que possible.

— Vas-tu y arriver ? Je veux dire, le lien... Il te conduira inexorablement à elle, que tu le veuilles ou non.

— Je saurais y résister. Je n'ai pas le choix, Valeria. Cette fille, qui qu'elle puisse être, me détruira si je la laisse entrer dans ma vie.

— C'est pour cette raison que je me fais du souci. Parce que ça va être difficile. Et si moi j'ai pu le sentir, alors les autres Sang-Mêlés le sentiront. Et elle aussi.

— Je vais gérer, je lui assure.

— En tout cas, si la tension devient trop... insupportable, tu pourras toujours venir l'évacuer ici, me propose-t-elle en caressant ma bouche du bout du doigt.

Je dépose un baiser dans la paume de sa main avant de l'enlacer.

— Prends soin de toi, Valeria.

— Toi aussi, Hyro. Et ne disparais plus jamais comme ça ! ajoute-t-elle en me lançant une tape dans le dos. Allez, file ! Je t'ai assez vu !

Je lui adresse un dernier sourire avant de sortir, fermant la porte derrière moi. Je redescends par l'escalier et croise la maquerelle en bas des marches. Magaria est une femme d'une cinquantaine d'année toujours vêtue de blanc.

— Dame Magaria, je la salue.

— Mage, c'est un réel plaisir de te revoir, elle me flatte.

— Tout le plaisir est pour moi, je mens.

— Je suis bien trop vieille pour me laisser endormir par la flatterie, jeune homme. Tu as des indemnités de retard. Tous ces mois... Il ne faudrait pas que je décide d'envoyer des clients plus retords à cette pauvre Sang-Mêlée. Qu'en penses-tu ?

J'ai tellement envie de fracasser son crâne contre le mur... Depuis des années. J'exècre les gens qui font du commerce d'esclave et qui les exploitent. Mais j' affiche mon plus beau sourire et lui tends une bourse pleine d'argent.

— Voilà de quoi régler les six derniers mois et les trois prochains.

Même si je ne peux pas le voir, je devine le sourire effronté de la maquerelle. Elle n'ajoute rien d'autre et disparait avec son butin.

Je me hâte de sortir de l'établissement. Le soleil est sur le point de se coucher. Il est temps de rentrer. Je n'ai pas vu Egon depuis mon réveil et je tiens à passer un peu de temps avec lui. C'est ainsi que, dissimulé sous ma cape, je regagne ma prison dorée.


EROBYE - Tome 1 : Le MiracleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant