Chapitre 11.1 - rework

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Hyro

Les mannequins d'entrainement volent en éclat tandis que je les pulvérise avec mes poings. Plongé dans la pénombre, je répète les katas meurtriers que Bardan m'a enseigné depuis des années, avec une maitrise et une précision absolue. Je mets tout en œuvre pour tenter d'évacuer la rage qui coule dans mes veines, tel un poison brûlant.

Je me sens pris au piège. J'étouffe. Comment ai-je pu me retrouver dans pareille situation ? Comment le Roi peut-il exiger une telle chose de moi ? Je hurle au moment où mes poings font exploser un nouveau mannequin.

Je me raidis en entendant quelqu'un siffler et applaudir derrière moi. Je n'avais même pas entendu mon frère arriver.

— Et bien, quel chantier ! s'exclame Diego en allumant une torche qu'il pose sur un socle. Le Roi va être furieux quand il apprendra qu'il va devoir recommander toute une garnison de mannequins au menuisier...

Je ne réponds rien car je n'ai vraiment pas envie de rire. Diego s'approche de moi et s'adosse contre un pilier, les bras croisés sur son torse.

— Tu peux m'expliquer ce qui s'est passé tout à l'heure ? me demande-t-il avec nonchalance.

— Je n'ai pas envie de parler.

— Tu préfères te battre ? Soit ! On ne s'est pas entrainés ensemble depuis un moment.

Diego se met torse nu et noue ses cheveux à l'arrière de son crâne à l'aide d'un élastique. Il fait craquer ses doigts et sa nuque avant de m'inviter à débuter les hostilités.

— Aller viens, petit frère !

Je ne me fais pas prier, mu par une envie et un besoin de prendre des coups. Diego est le Sang-Mêlé le plus rapide que je connaisse. Il se déplace tellement vite qu'il en devient parfois invisible. C'est là ce qui en fait un combattant redoutable. Pour ma part, je compense sa rapidité par mes sens exacerbés qui me permettent d'anticiper ses mouvements. La plupart du temps.

Ainsi, nous dansons dans l'obscurité avec agilité et détermination. Diego ne me ménage pas et réciproquement. Nous nous battons comme de véritables adversaires. Ma colère s'évacue peu à peu. Je me sens plus léger. Plus rapide. Je mène la danse. Jusqu'à ce que je ne parvienne pas à éviter un coup de pied dans l'estomac qui me plie en deux.

—Bordel, Diego ! je maugrée.

— Il me semblait que tu avais besoin que je te rappelle qui est l'aîné.

Ce dernier me tend la main pour m'aider à me relever. Je m'en saisis et en profite pour le renverser et le clouer au sol.

— Et moi il me semblait que tu avais besoin que je te rappelle que je suis meilleur que toi, je lui dits avec vanité.

— Ah, ça c'est mon frère ! s'exclame Diego en se relevant.

J'esquisse un demi sourire avant d'aller chercher de l'eau.

— Alors, tu vas te décider à m'en parler où tu vas faire comme si de rien n'était ? reprend Diego après s'être désaltéré.

— Parler de quoi ?

— Du lien.

Putain... de merde.

— Du lien ? je répète, las.

Diego s'approche et pose une main sur mon épaule.

— Tu empestes le lien à des kilomètres, Hyro ! Je ne l'avais pas vraiment remarqué à ton réveil, mais ton odeur... Elle change au fil des jours.

— C'est parce que je suis allé voir Val, je mens.

— Me crois-tu sot au point de ne pas savoir faire la différence entre le sexe et ça ? Tu n'es pas le seul à avoir un odorat sensible, petit frère. Et en tant que mâle, je peux t'assurer que je ne me trompe pas.

— Qu'est-ce que tu veux savoir, au juste ? je capitule, agacé.

— Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé ?

— Parce qu'il n'y a rien à dire.

— Rien à dire ? Ton lien s'est activé et tu es soumis à son appel. Comme tout Immortel.

— Parce que tu as déjà été soumis à l'appel du lien, toi ? je lance avec désinvolture.

Mon frère baisse la tête. Je le regarde, surpris. Il ne m'en a jamais parlé.

— J'étais plus jeune que toi, il m'explique. J'ai rêvé de la naissance de mon âme-sœur alors que j'avais tout juste dix ans. Je l'ai vue naitre alors que nous étions coincés dans les mines. Et depuis, j'ai espéré que la vie place cette Immortelle sur ma route. Te souviens-tu du voyage que j'ai entrepris à mes dix-sept ans ?

— Oui. Tu disais que tu souhaitais découvrir le monde avant d'être enchainé au Roi, comme nous le sommes tous à présent... Tu t'es absenté près d'une année, je me rappelle.

— Exact. J'ai cherché le lien dans tout mon être et je l'ai tiraillé afin qu'il me guide jusqu'à ma promise. Ça m'a pris des mois mais j'y suis arrivé. Je l'ai trouvée, Hyro. Elle se nommait Galia et vivait dans un village reculé où elle confectionnait les vêtements des villageois.

Je détecte des vibrations dans la voix de mon frère. Parler de cette époque semble pénible pour lui.

— Que s'est-il passé ? je l'incite à poursuivre.

— Elle était déjà mariée à un autre Sang-Mêlé. Un homme gentil et qui l'aimait sincèrement. Au début, j'ai voulu laisser tomber et repartir. Mais une partie de moi, primaire, se refusait à abandonner. Car comme tout un chacun, j'aspirais à avoir une descendance de sang pur.

— Tu peux enfanter avec n'importe quelle humaine, je lui fais remarquer.

— Peut-être, mais donner naissance à un Immortel c'est... Une ode à la nature et un nouveau souffle pour notre peuple qui s'éteint jour après jour.

— Qu'as-tu fait ?

— Je suis allé la voir et je lui ai dit qui j'étais. Elle m'a écouté attentivement et m'a simplement répondu qu'elle était heureuse et qu'elle aimait son mari. Mais avant de partir, elle a déposé un baiser sur ma joue. Elle m'a touché. Et le lien s'est éveillé. Léger. Imperceptible au début. Grandissant de jour en jour. Tout mon corps la réclamait sans que je puisse le contrôler. Je me consumais. Et devenait violent. Dès que je sentais son odeur, je perdais pied. Dès que je la voyais parler à un autre homme, des pulsions meurtrières s'emparaient de moi. C'était... une véritable torture, Hyro. Et je ne mache pas mes mots. Un jour, j'ai perdu le contrôle et j'ai... tué son mari.

Je lève les yeux vers lui, attentif. Et choqué. Car mon frère n'a jamais tué quelqu'un de sang-froid. Il est la droiture incarnée.

— Je lui ai arraché la gorge avec mes mains comme l'aurait fait une bête sauvage, il poursuit. Et j'ai failli... la prendre de force. J'ai réussi à m'arrêter avant de commettre l'irréparable mais... Elle s'est donné la mort la nuit-même. Je l'ai détruite.

Je me fige, le souffle coupé.

— Voilà à quoi j'en ai été réduit. Un assassin et presqu'un violeur, termine Diego.

— Diego... Je... Pourquoi n'as-tu jamais rien dit ?

— Comment aurai-je pu, Hyro ? Tu n'imagines pas la honte et la culpabilité que j'ai éprouvées et qui me consument encore aujourd'hui.

J'ai toujours admiré Diego. Droit. Juste. Drôle. Avenant. Protecteur. Il est un modèle de perfection à mes yeux. Découvrir sa partie sombre me perturbe plus que je l'imagine mais...

— Je suis rassuré, je lui dis.

— Rassuré ? il répète, incrédule.

— De ne pas être le seul à merder ! Je me sens moins seul à présent.

— Ce n'est pas drôle, Hyro, soupire Diego.

— Je n'ai jamais dit que c'était drôle. Je le pense.

— Nous avons tous une part de ténèbres en nous, Hyro. Et ne redis jamais que tu es un monstre. Jamais. Tu es le Miracle...

— Et la Malédiction.

EROBYE - Tome 1 : Le MiracleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant