Chapitre 1.1 rework

29 3 0
                                    


Wassalie

J'observe ma proie avec attention, mon arc bandé, ma flèche prête à être décochée. J'ajuste ma position, inspire lentement et tire. Le lièvre n'a pas le temps de s'enfuir et s'écroule lorsque le projectile le frappe en plein dans l'arrière-train.

Enfin ! Je meurs de faim !

Je m'empresse d'aller chercher mon butin, ravie. Je n'ai rien mangé depuis cinq jours et cette prise est inespérée ! Le gibier a fui les cols enneigés du Mont O'Deidh pendant les mois d'hiver trop rudes. Et malgré les réserves de pommes de terre et de viande séchée que j'avais faites, les vivres m'ont manqué cette année. Un hiver plus long.

Les habitants de Neben n'ont pas eu non plus le courage de gravir le chemin qui mène à ma cabane pour quérir mes services en échange de nourriture. J'ai été désespérément isolée durant toutes ces semaines.

Aïe !

Comme s'il avait lu dans mes pensées, Nakpa mordille ma jambe, me rappelant sa présence.

— Mais oui, je ne t'oublie pas, lui dis-je en grattant affectueusement sa tête. Heureusement que tu es là, toi.

Le petit renard à trois queues se love contre mon mollet tandis que je dépose ma prise dans ma besace en cuir et l'attache à ma ceinture. Je referme les pans de mon lourd manteau et rabaisse mon capuchon pour couvrir mon visage et atténuer la morsure du froid.

— Devine qui va manger un bon ragoût ce soir ?

Nakpa émet un sifflement avant de sautiller tout autour de moi. Je lui souris avant de rebrousser chemin pour retourner dans mon foyer. J'en ai pour une bonne heure de marche encore, mais mes pas sont plus légers qu'à l'aller. Ma persévérance a fini par payer, je ne reviens pas les mains vides.

Je sifflote sur le trajet pour faire passer le temps et éviter de penser aux engelures sur mes doigts de pieds. Malgré l'épaisseur de mes bottes fabriquées par mes soins, je sens la brûlure du froid.

Mes épaules se détendent lorsque j'aperçois enfin le toit de ma cabane. Nakpa ne m'attend pas et se met à courir dans sa direction. Je déverrouille la porte d'entrée à l'aide de la clé que je garde toujours suspendue autour de mon cou et pousse un long soupir en constatant qu'il y a encore des braises dans la cheminée.

Je m'empresse de déposer de nouvelles bûches pour le raviver. Nakpa s'est déjà couché en boule sur le tapis près du feu et ronronne.

J'ôte mon manteau et mes bottes, pose la besace contenant le lièvre sur la table en bois et prends place dans le petit fauteuil au coin du feu, tendant les mains vers le brasier pour les réchauffer. Je rapproche aussi mes pieds nus du feu et grimace en voyant deux de mes orteils brûlés. Je n'ai plus d'onguent pour les soulager. Je vais devoir attendre qu'ils guérissent.

Après un moment de repos bien mérité mais encore lasse, je me lève et me dirige vers la table pour dépecer et vider le lièvre. Je le fais bouillir dans une marmite avec les trois pommes de terre qu'il me reste, y ajoutant une branche de laurier et de romarin. Je n'ai plus de sel, mais tant pis.

Je vais dehors et rapporte un peu de neige dans une autre marmite avant de la placer sur le feu pour la faire fondre. J'utilise l'eau pour laver mon visage et mes mains.

Puis je partage mon repas avec Nakpa avant d'attraper un livre et de m'asseoir à nouveau près du feu, épuisée. Une jeune érudite me l'a offert pour me remercier d'avoir guéri sa jeune sœur malade. Je l'ai déjà lu plusieurs fois, mais je ne m'en lasse pas. Je ne possède que quatre livres et celui-ci est sans conteste mon préféré.

Il relate une histoire d'amour interdite entre une humaine et un Immortel, du temps où ces derniers vivaient encore en nombre sur les terres d'Erobye.

Cela fait plusieurs siècles que les Immortels de race pure ont disparu, quasiment tous exterminés lors de la dernière guerre qui les a opposés à Narh'Abin, le Seigneur des Ombres. Les Immortels ont gagné la guerre de justesse, mais leur peuple a essuyé de lourdes pertes. Très peu ont survécu.

Les survivants se sont alors mêlés aux humains pour s'assurer une descendance, créant des humains hybrides, à demi-Immortels. En effet, les femmes immortelles ne peuvent enfanter qu'avec leur âme-sœur, un mâle immortel choisi exclusivement par les Dieux. Il est de ce fait très difficile pour les Immortels de donner naissance à d'autres Immortels de lignée pure.

C'est du moins ce que ma mère m'a raconté lorsque j'étais enfant.

« Il est important que tu saches d'où tu viens et ce qu'étaient les Immortels, ma chérie. Ton père et moi sommes des descendants de ce peuple disparu. Il se peut qu'un jour, toi et ta sœur, vous vous rendiez compte que vous êtes... différentes. »

Ma mère avait eu raison. Ma sœur Syah et moi l'avons découvert à notre adolescence, lorsqu'on nous a forcées à devenir...

Je secoue la tête, refusant de penser à l'horreur qu'a été ma vie durant ces années où nous avons été prisonnières des mercenaires d'O'Klatarh. Au souvenir de ma sœur disparue, je sens mon corps frissonner. La douleur et la haine sont toujours présents. Même après avoir vengé ma sœur et mes parents. Même après avoir massacré mes bourreaux. Le vide à l'intérieur de moi est toujours là.

Cela fait sept ans maintenant que je vis seule. J'ai choisi de m'établir sur les monts enneigés d'O'Deidh. Je ne suis pas capable de vivre en société et de supporter la présence des autres. Cela me permet également de ne pas avoir à dissimuler ma véritable nature, celle d'une Sang-Mêlée, issue du lointain métissage entre les Immortels et les humains.

Les descendants d'Immortels sont traqués et méprisés aujourd'hui. Certains possèdent des pouvoirs ou des aptitudes particulières dont les humains sont particulièrement jaloux. Nous sommes facilement reconnaissables grâce à l'éclat de magie qui luit dans nos yeux. Quand je descends descends au village, j'abaisse toujours le capuchon de ma cape pour ne pas me faire remarquer.

Nakpa saute sur mes genoux et s'y installe confortablement. Je caresse l'animal, sentant la douceur de ses poils sous mes doigts. Je m'endors, bercée par les ronronnements du feu et du petit renard.

EROBYE - Tome 1 : Le MiracleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant