COMATOSE

II. SCARS

Écouteurs dans les oreilles, regard déterminé, c'est en silence, en conquérante, que l'impertinente adolescente s'engagea dans l'établissement scolaire.

- Kylliane. Encore en retard.

Un jeune homme d'une vingtaine d'années s'était posté face à elle, la toisant de haut en bas.

- Bonjour, désolée j'avais un truc important à faire.

- Comme tous les jours apparemment. Viens en vie scolaire, je vais te faire un billet d'entrée et tu vas directement en cours.

La jeune fille le suivi sans un mot. Elle avait plus important à penser. Plus important à préparer.

Elle arriva en cours avec une petite demi heure de retard, le professeur ne lui en tint pas rigueur ce qui engendra un flot, discret, d'indignation chez les autres élèves de la classe.

Depuis l'incident qui avait perturbé sa vie et celle de ses proches, c'était ainsi que se déroulaient ses journées. Elle savait parfaitement pourquoi les adultes fermaient les yeux sur son côté souvent insolent et pourquoi ses camarades se montraient parfois si cyniques envers elle. Mais elle n'en avait que faire.

Ces personnes insignifiantes à sa vie ne pouvaient pas l'atteindre. Personne ne pouvait lui faire plus de mal qu'elle n'avait déjà subit. On ne détruit pas une chose qui est déjà brisée.

La journée se passa normalement, sans encombres.
Kylliane avait décidé, depuis quelques mois déjà, de ne plus faire le moindre effort pour se sociabiliser. À quoi bon ? Quel intérêt de faire semblant de s'intéresser à des gens ou des choses dont elle n'avait que faire ? Quel intérêt d'être le centre d'une attention malsaine et la cible de fausses bonnes intentions ?

Comme à chaque fois qu'elle avait du temps pour elle, Kylliane alla se réfugier au centre de la cour de son lycée. Assise sur le muret entourant un immense et imposant vieux chêne, elle se laissa encore emporter par ses souvenirs.

[Flash-back]

Devant la sobriété du lycée qui s'étendait devant elles, les deux sœurs se prirent bras dessus bras dessous avant de passer les grilles de l'entrée.

L'établissement scolaire n'était, certes, pas très grand, mais il impressionnait de part son élégance. Il était construit d'un seul et même bâtiment, en forme de "U", dont le trésor était bien caché au centre. En effet, l'unique cour de ce lycée, entièrement goudronnée mais bordée d'arbres et de verdures, abritait un gigantesque chêne centenaire. Et tout autour, se succédaient bancs et tables pour accueillir les élèves qui y faisaient passer le temps.

Les deux jeunes filles se mêlèrent à une foule hétéroclite de jeunes du même âge venus, accompagnés ou non, pour leur première rentrée dans "la cour des grands".

Au milieu de tous les élèves, elles semblaient se fondre magnifiquement.

Pleine d'assurance, du haut de son mètre soixante, brune et avec son look branché, Kylliane affichait un sourire déterminé.
Plus effacée, légèrement plus petite, blonde et avec un style discret, Nolwenn, candide, s'émerveillait de ce qui l'entourait.

Les deux paires d'yeux verts se postèrent au même instant sur la liste des répartitions des classes.

En ce jour de rentrée scolaire, quelle ne fut pas leur déception de voir que, pour la première fois de toute leur scolarité, elles ne seraient pas dans la même classe.

***

Le soir venu, après la monotonie de sa journée de cours, comme à l'accoutumée, Kylliane mangeait en silence.

Alors qu'elle était en train de se lever pour débarrasser son assiette, son père l'interpella :

- Au fait Kylliane, ton anniversaire approche, tu souhaite faire quelque chose en particulier ? Inviter quelques camarades par exemple ? Ça fait longtemps que nous n'avons pas vu tes amis... Comment ils vont ?

- Non merci p'pa, c'est bon. Je ne veux rien. Et mes "amis" comme tu dis, ils ne font plus partie de ma vie.

Elle marqua une pause, dévisagea son père avec défi.

- En fait, si. Une chose pourrait me faire plaisir... Souffler mes bougies avec Winnie. Tu crois que ça serait possible ?

Sur ces mots, sans attendre de réponse de la part de son père, elle s'éclipsa. Laissant un silence pesant s'installer entre ses deux parents.
Lorsqu'elle monta dans sa chambre, elle entendit les sanglots étouffés de sa mère et son père qui tentait vainement de la consoler.

- Ne t'en fais pas ma chérie, tout va bien se passer. On va s'en sortir.

***

Depuis l'incident de l'anniversaire, l'ambiance était froide à la maison. Kylliane n'attendait plus rien de ses parents, à quoi bon ? Ils ne lui étaient de toute manière "pas utiles" puisque trop lâches pour faire face au drame qui détruisait leur famille depuis maintenant quatre mois.

Les jours se succédaient et se ressemblaient. Chaque nouvelle journée était un supplice. Chaque souvenir qui revenait la hanter était une torture.
Mais elle voulait se rappeler. Elle ne devait jamais oublier.

Le jour le plus important de la semaine pour elle, le samedi, était la seule raison pour laquelle Kylliane avait la force de continuer. D'avancer. De se battre.

- Salut ma Winnie, comment tu vas aujourd'hui ?

Elle n'eut pour unique réponse que le bip constant des machines médicales.

Dans cette chambre lugubre éclairée par un horrible néon, était allongée une adolescente qui était son portrait craché.
Maintenue dans un coma artificiel, l'angélique jeune fille semblait être paisiblement enfermée dans un sommeil sans rêves.

Dans un lent mouvement, Kylliane s'installa sur le lit d'hôpital. La tête posée sur l'oreiller à côté de celle de l'ange blond, le brun de ses cheveux se mariant merveilleusement à sa blondeur et ses bras entourant le corps de sa sœur. Son double. Sa jumelle. 

Et elle ferma les yeux, sa respiration se calant sur celle de Nolwenn.