XXIX. THE REASON

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Après trois mois de centre fermé, Kylliane fut de nouveau admise en centre ouvert. Il était prévu qu'elle y reste au maximum un mois.

Les visites de ses amis et parents se raréfiaient tandis que celles de l'officier s'accentuaient. Elle n'en voulait pas à ses proches, elle leur avait elle-même demandé de moins venir la voir. Et elle était comblée grâce au soutien de son mentor.

Elle parlait parfois d'avenir avec lui, elle était attirée par l'idée de travailler dans le social, ou dans la petite enfance, et l'officier l'encourageait à poursuivre cette voie si elle le désirait. C'était agréable pour elle. Avoir quelqu'un qui croyait en elle l'aidait à ne pas sombrer, à ne plus écouter ces voix dans sa tête qui lui criaient qu'elle n'était qu'une bonne à rien.

Elle se sentait confiante.

***

Au fil des jours qui passaient, Kylliane réussissait à s'apaiser. Elle avait repris ses habitudes dans la salle de loisirs et avait repris ses activités artistiques.
Elle fut surprise, quelques fois, de remarquer quelques uns de ses dessins, oubliés dans la fameuse salle, coincé entre deux pages dans son dossier médical lors de ses consultations avec le docteur Chang.

- Comment savez vous que ce sont mes dessins et pas ceux d'un autre patient ? questionna Kylliane un jour pendant une séance.

Le docteur Chang esquissa un sourire.

- Les infirmières, elles parlent beaucoup tu sais. Et puis, vous n'êtes pas très nombreux ces temps-ci.

Quand Kylliane lui demanda à quoi lui servait de les conserver, la psychiatre lui sourit à nouveau affectueusement.
Elle lui expliqua alors que les dessins reflètent souvent l'humeur et l'état d'esprit général d'une personne. C'est un peu un thermomètre émotionnel. Et, bien souvent, l'auteur lui-même de ses dessins n'en a aucune idée au moment où il dessine.
C'était ça, la magie du cerveau humain. La magie de l'inconscient.

Kylliane lui demanda alors ce qu'elle, en tant que psychiatre renommée, pensait de ses dessins. De ce que cela reflétait de son état d'esprit.

Le docteur Chang refusa de répondre, "pour le moment", car Kylliane pourrait être influencée par les interprétations qu'elle s'en ferait.

Songeuse, Kylliane attendit la fin de la consultation pour aller téléphoner à son mentor et lui parler de cette conversation qui l'avait quelque peu perturbée.

***

Trois fois par semaine, Miguel Pilguez rendait visite à sa petite protégée et ils passaient deux heures à beaucoup discuter. Ils philosophaient, parfois. Riaient souvent.

Un jour, lors d'une des visites de son mentor, Kylliane, qui pensait qu'ils avaient maintenant noué une relation assez fusionnelle, osa lui poser des questions sur sa vie passée. Sur sa femme et son enfant disparue.
Mais l'officier Pilguez n'avait aucune envie d'en parler. Il lui avait fallut énormément de temps pour faire son deuil et maintenant il ne voulait plus remuer le passé.

Conciliante, Kylliane lui demanda alors plus d'informations sur le fameux collègue et ami qui l'avait envoyée à lui.

Ce jeune bleu comme on disait dans le jargon, était un ami très proche de l'officier.
En fait, il était surtout le fils d'un ancien collègue à lui. Celui-là même qu'il avait accompagné à une audience au tribunal le jour où sa fille avait tragiquement perdu la vie.
Il lui parla de l'amitié profonde qu'il avait pour le père du jeune homme, qui était resté exercer dans son ancienne région, et de l'injustice à laquelle lui-même avait fait face dans une sombre affaire meurtre. Jusqu'à ce qu'il soit innocenté, tout le monde, même son fils, l'avait déjà condamné.
En réalité, il ne s'agissait que de légitime défense.

Malgré les ressentiments entre le père et le fils, le jeune homme était tout de même entré dans la police. Son seul souhait avait été de ne pas être affecté dans le même secteur que son père.
Et l'officier Pilguez et son ami avaient eu l'idée de l'envoyer dans cette région, dans son commissariat.

C'était lui qui avait eu vent de l'étrangeté de l'affaire concernant Nolwenn. Lui qui avait eu l'idée d'envoyer l'adolescente auprès de l'officier Pilguez pour qu'il regagne ses galons.
Et, il devait l'avouer, il s'était intéressé à la jeune fille uniquement dans ce but, au début.
Mais, très vite, l'officier s'était réellement pris d'affection pour elle. Très vite, il avait demandé à son jeune collègue de garder un œil sur Kylliane afin de la guider dans la bonne direction.

Kylliane était contente d'en savoir un peu plus sur les intentions de son mentor lors de leur rencontre.
Elle fini même par avouer qu'elle avait soupçonné un policier d'être à l'origine de l'agression de sa sœur, du moins pendant un temps.
Elle lui avoua même qu'elle avait aussi douté de lui pendant un temps, et s'en excusa.

Le policier ne lui en tint pas rigueur. Après tout, il n'avait pas toujours été honnête envers elle. 
Il était au courant de la complexité de l'affaire depuis presque le début. Alors il ne lui en voulait surtout pas.
Ils finirent par parler de ce soir où elle avait cru se faire attaquer par un démon dans ce manoir. Ils se mirent à en rire, pour la première fois. Ensemble. Et ça lui fit beaucoup de bien.

***

Son séjour d'un mois maximum dans ce centre s'était, au fils du temps, transformé en deux longs mois.
En effet, Kylliane avait fait traîner les choses autant qu'elle avait pu. Mais maintenant, elle était prête. Elle pouvait rentrer chez elle.

Kylliane vit la perspective de son retour à la maison comme une punition. Elle ne voulait pas quitter le centre si rapidement. Elle avait même tenté, à plusieurs reprises, de se faire réadmettre en centre fermé ou à l'isolement pour leur montrer qu'elle n'était absolument pas prête à rentrer chez elle.

Le docteur Chang ne se laissait pas facilement duper, elle avait maintenant compris le fonctionnement de sa patiente.

- Kylliane, ça fait déjà bientôt six mois que tu es ici. Tu as fait presque toutes les ailes du centre. Tu es prête. Ton traitement est adapté, tu es beaucoup plus raisonnée et apaisée. Je sais que ça peut te sembler angoissant mais tu dois rentrer chez toi. Tu as toute ta vie à faire. Tu dois te refaire une vraie vie sociale, une vraie vie tout court. Ici, ce n'est pas la vraie vie. La tienne te tend les bras, au dehors ! Ne t'inquiète pas, tu sauras de nouveau être normale comme tu aimes à dire. Tu as fait beaucoup de progrès ! Crois moi, tout se passera bien. Et je continuerai à te suivre.

- Docteur, je ne peux pas rentrer. Je ne suis pas prête encore. J'ai encore trop de voix dans ma tête, j'ai peur et j'ai encore des excès de violence ! Vous pouvez pas m'abandonner comme ça !

Les supplications de Kylliane laissèrent sa psychiatre perplexe pendant quelques secondes. Puis elle enchaîna en lui expliquant qu'en réalité tout ce qu'elle vivait et ressentait actuellement n'était que le reflet de ses angoisses. Elle s'était construit une zone de confort au sein de ce centre et maintenant elle ne savait plus comment exister en dehors. C'était là, la vraie raison pour laquelle la psychiatre savait qu'elle était prête à sortir.

Et ce fut le plus difficile à entendre pour l'adolescente.

COMATOSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant