XII. THIS IS HOW I DESAPPEAR

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Kylliane n'allait plus en cours depuis quelques temps maintenant. Elle ne rendait plus non plus visite à sa sœur à l'hôpital.
Ses rapports avec ses parents étaient au plus bas. 

Quand elle n'enquêtait pas de son côté, elle passait beaucoup de temps avec l'officier Pilguez.

Parfois, au détour d'une rue, à la terrasse d'une boulangerie, elle croyait apercevoir ses anciens amis.
Jamais elle n'alla à leur rencontre. Jamais elle ne répondit à leurs appels. Jamais elle ne chercha à prendre de leurs nouvelles.

Elle n'avait absolument aucun temps, aucune attention à leur accorder.
De toute façon, personne ne pourrait comprendre sa démarche et personne, à part son mentor, ne pouvait l'aider dans la quête dans laquelle elle s'était lancée.

Elle n'était habité que par son désir de découvrir, coûte que coûte, ce qu'il était arrivé à sa sœur.

Au bout d'une semaine de recherches infructueuses auprès de son nouvel allié, alors qu'ils se reposaient à la terrasse d'un café, elle entreprit de lui poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis bien longtemps.

- Dites, vous pourriez me faire entrer au manoir ?

- Quel manoir ? répondit Pilguez sans lever les yeux de son journal.

Kylliane lui lança un air exaspéré en soupirant et il plongea finalement son regard dans le sien.

- Non.

- Non ? Comme "non, je ne peux pas" ou "non, je ne veux pas" ?

- Les deux. Tu ne peux pas y entrer, c'est sous scellé. Tiens, t'as vu ? Il y a un nouveau film pour ados qui sort cette semaine au ciné. Tu devrais y aller avec ton petit copain.

- Changez pas de sujet ! Déjà j'ai pas de petit copain et ensuite j'ai pas envie d'aller au ciné !

- Ta sœur en avait un.

- De quoi ?

- Petit copain.

L'incompréhension se fit saisissante dans le cœur de Kylliane.

Sa sœur n'aurait jamais eut de petit ami sans lui en parler. C'était tout bonnement impossible ! Elles étaient trop liées, trop soudées, pour avoir ce genre de secret l'une pour l'autre.
Pourquoi son double lui aurait elle caché une information aussi importante ?

Kylliane se senti soudain comme prise au piège. Elle commençait à se demander si l'officier était réellement son allié. Si elle pouvait lui faire confiance.

Sans un mot, elle se leva et parti sans saluer son acolyte.

***

Après avoir marché longtemps, sans but, elle atterrit devant cette immense demeure qui hantait encore et toujours son esprit.

En jetant un regard autour d'elle, elle aperçu le jeune homme qui l'avait dirigée vers l'officier Pilguez quelques semaines auparavant.
Méfiante, elle se rua sur lui, le cœur rempli d'agressivité.

- Vous êtes qui ?! Vous me suivez ?!

L'homme ne parut pas étonné de ces accusations. Il s'était douté, dès leur première rencontre, que l'adolescente qu'il avait en face de lui n'était pas comme les autres. Qu'elle continuerai, quoi qu'il lui en coûte, à chercher des réponses à ses questions.
Qu'elle trouverait la force d'enquêter pour découvrir la vérité.

Il tenta tant bien que mal de lui expliquer qu'il n'était qu'un citoyen qui se baladait dans la ville dans laquelle il vivait. Rien de plus. Et que l'officier Pilguez auprès de qui il l'avait envoyée était un ami. Et un collègue.

Kylliane eut alors une révélation qui lui glaça le sang.

C'est un flic qui a fait le coup !

Comme dans un état second, victime de son angoisse grandissante et en proie à d'énormes doutes, elle s'éloigna de cet homme intriguant aussi vite qu'elle le put.

***

En rentrant chez elle après avoir erré quelques temps dans les rues, elle fit des recherches sur son ordinateur.
Elle commença par chercher l'histoire de cette maison délabrée dans laquelle sa sœur avait été trouvée.

Elle songea qu'il était étrange que ce manoir d'un autre temps soit encore présent dans cette rue où tous les anciens bâtiments avaient été rasés et remplacés par des maisons ou des immeubles contemporains.

Plus elle cherchait, moins elle comprenait pourquoi la mairie n'avait pas tenté de faire changer également cette demeure.

Après tout, elle n'était pas sur un site protégée, elle ne semblait plus appartenir à personne, elle n'était pas sur le marché pour être vendue ou louée et n'était même pas connue pour des événements paranormaux.
En outre, toutes les conditions étaient là pour que le manoir subisse le même sort que ses congénères et soit remplacé. Il n'en était pourtant rien.
Et maintenant, tous les hivers, il servait de squat aux badauds.

Soudain, elle se mit à penser à l'officier Pilguez. Elle se demanda si elle ne pourrait pas glaner quelques informations sur lui.
En naviguant sur le net, elle ne mit pas longtemps avant de trouver quelque chose d'intéressant.

Quelques années auparavant, Miguel Pilguez avait perdu sa fille dans un horrible accident et sa femme l'avait donc quitté.

Un journal titrait : Le père de l'enfant oubliée est de la police !

En lisant l'article, Kylliane fut prise d'un affreux dégoût.
Les journaux avaient détruit le portrait de cet homme certes bourru, mais très sympathique.
Alors qu'il devait se rendre au tribunal pour soutenir l'un de ses collègues dans une affaire non révélée, il avait malencontreusement oublié son bébé d'à peine deux ans dans sa voiture.
Garée au soleil pendant plusieurs heures, la voiture était devenue une fournaise. L'enfant s'était déshydratée et n'avait malheureusement pas pu être réanimée.

La population, les journaux, ses amis et même sa famille, tous l'avaient flagellé et abandonné.

Malgré tous les efforts qu'il avait fourni pour s'en sortir, il avait tout perdu.

Il avait dû changer de région et était maintenant un petit flic à qui l'on ne confiait aucune affaire importante.

Kylliane se senti peinée pour cet homme.
Finalement, lui aussi avait vécu une perte tragique, lui aussi savait ce que cela faisait que d'être rejeté et renié par son entourage.
Elle prit son téléphone, composa le numéro de son mentor et décida de l'appeler pour s'excuser de son comportement de la journée.

***

Au bout du troisième appel de sa petite protégée, Pilguez éteignit son téléphone.
Assis au comptoir d'un bar, il commençait à se demander si il avait bien fait de se lier avec cette gamine. Si il avait bien fait de l'aider dans ses démarches.
Après tout, il n'était finalement pas habilité à suivre ce genre d'affaire depuis qu'il avait été rétrogradé.

Il commanda un autre whisky et essaya de chasser cette enfant et ses démons de son esprit.

***

Au bout de plusieurs appels sans réponses, Kylliane fulminait de fureur.

Elle en voulait à la terre entière.
Elle avait le sentiment que tout le monde s'était ligué contre elle et que personne n'avait que faire de ses états d'âme.

En commençant par ses parents, si peu investis dans le drame qui avait frappé leur famille et qui vivaient comme si rien n'était jamais arrivé.
Ses amis aussi, qui ne comprenaient pas que, malgré toute l'affection qu'elle éprouvait pour eux, elle n'avait pas besoin de leur soutien, d'être traitée comme la petite fille fragile qu'elle n'avait jamais été et ne serait jamais.
Enfin, par l'officier qu'elle pensait être son ami mais qui maintenant l'ignorait comme si elle ne représentait rien pour lui.

Plus les minutes passaient et plus elle se sentait comme un lion en cage.
Rien ne semblait pouvoir la calmer.

Énervée par ces flots d'émotions négatives, elle ferma son ordinateur d'un geste brusque, enfila ses boots et décida de faire le mur pour prendre l'air.

COMATOSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant