XXIII. MONSTER

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M et Mme Sweet ne furent pas surpris quand l'officier de police les appela pour les avertir que leur fille avait cherché à accéder au dossier de sa sœur. Quand il leur fit part de son incompréhension face à leur demande spécifique, étrangement accordée par ses supérieurs, de cacher et enterrer une partie de l'affaire, ils acceptèrent de le rencontrer réellement et de tout lui dire.

Ils étaient donc présents, cet après midi là, à la terrasse de l'hôpital plutôt qu'aux cotés de leurs filles afin de s'expliquer sur leurs intentions.

Après de discrètes salutations, il s'assit face à eux. Il savait déjà quelle approche il allait prendre avec eux.

- Je ne suis pas sûr de comprendre. Pourquoi une telle mise en scène ? Pourquoi ne pas lui avoir prescrit des soins ? Pourquoi lui avoir fait tout oublier ?

- Effectivement, monsieur, vous ne comprenez rien, intervint M Sweet. Ce n'est pas si simple malheureusement.

Perplexe, le policier l'invita à poursuivre.

***

Lorsque la mère des jumelles avait reçu l'appel paniqué de l'une de ses filles, elle avait immédiatement prévenu son époux en se rendant à l'endroit où avait eu lieu l'accident.

Les secours, qu'elle avait prévenus juste après son mari, était arrivée quelques minutes après elle.

À son arrivée, elle avait vu sa fille totalement agitée, elle répondait à ses interrogations en faisant de grands gestes. Hurlant autant qu'elle pouvait qu'elle ne comprenait pas, qu'elle était rentrée à la maison pour attendre sa sœur.
Sa mère non plus ne comprenait pas, elle savait pourtant que sa fille n'avait pas remis les pieds chez eux depuis qu'elle l'avait déposée devant le bowling.

Kylliane semblait réellement en proie à des bouffées délirante. Tellement qu'il avait fallut la sédater afin de pouvoir les emmener, sa sœur et elle, à l'hôpital pour se faire examiner.


Quand les médecins expliquèrent aux parents que l'une de leur fille était tombée dans le coma et que la deuxième n'avait plus aucun discernement de la réalité, leur monde s'écroula.

La police, qui avait été appelée par les secours, avait commencé leurs investigations et d'après les premiers éléments, tout portait à croire qu'elles étaient seules au moment de l'accident. Et que l'une des deux avait probablement poussé l'autre et les avait fait chuter ensemble par la suite.

Leur supposition fut vérifiée, quelques jours plus tard, lorsqu'ils eurent accès aux caméras de surveillance de la ville et aux appels et sms des deux adolescentes.

A cet instant, M Sweet fit jouer toutes ses relations pour retarder quelques peu l'enquête. Pour qu'on laisse au moins une chance à sa fille de raconter ce qui leur était arrivé, toutes les circonstances entourant ce drame.


Kylliane avait passé presque une semaine en unité de soins psychiatriques de l'hôpital, elle n'en sorti que lorsque le psychiatre qui l'y suivait eut fait tout le nécessaire pour qu'elle puisse poursuivre sa thérapie dans un lieu et un contexte familier. Chez elle.

Pour le moment, elle n'avait aucun souvenir de l'incident, ni même d'être allée dans ce manoir ou d'y avoir donné rendez-vous à sa sœur.
Afin de ne pas lui créer un traumatisme supplémentaire, ses parents crurent bon, sur les conseils, avisés, du psychiatre de l'hôpital, de laisser son esprit reconstituer lui même les pièces manquantes de ce puzzle.
Tout avait été donc mit en place pour qu'elle ne sache pas ce qui était vraiment arrivé ce soir là, pour la préserver.

Plus le temps passait et plus l'adolescente devenait maussade. Mais ses parents, conseillés par ce psychiatre, continuèrent à lui cacher ce qu'ils savaient. Ils voyaient l'une de leurs filles s'enfoncer dans un coma profond, et l'autre dans une profonde dépression. Et ils se sentaient totalement impuissants face à chacune des deux situations. Ils étaient devenus, malgré eux, spectateurs de leurs vies et de celles de leurs filles.
Chaque jour, ils espéraient que la mémoire reviendrait à Kylliane. Ou que Nolwenn se réveillerait. L'une de ces deux options leur apparaissait comme pouvant apporter les réponses aux questions qui les hantaient.
D'un autre côté, ils se sentaient rassurés par cette perte de mémoire puisque, grâce à elle, leur fille restante ne risquait pour le moment aucune retombée pénale.

Malheureusement, les semaines succédèrent aux jours, qui succédèrent aux mois. Et rien n'avait changé. Ou presque.

Maintenant, ils n'étaient plus que des zombies survivants comme ils le pouvaient. Regardant, impuissants, leurs filles mourir à petit feu. Ne pouvant rien faire. Ne sachant que faire.
Ils se sentaient lâches. Ils avaient peur de ce qui arriverait avec les réponses qu'ils attendaient. Ils ne voulaient surtout pas voir l'une de leurs filles comme étant l'agresseur de l'autre.

Puis, juste avant que Kylliane ne s'effondre dans sa chambre, les choses avaient empiré.

La jeune fille posait de plus en plus de questions, semblait de plus en plus instable.

Ils avaient tenté la discussion, la négociation, l'ignorance, la confrontation. Rien n'avait semblé fonctionner.

Mais après une longue et houleuse discussion, M Sweet avait obtenu de sa fille qu'elle fasse quelques efforts, qu'elle songe à revoir, ne serait-ce que pour une seule séance, son ancienne psychiatre. 

Le docteur Chang était celle qui avait diagnostiqué à Kylliane son trouble dit borderline quelques années auparavant. Elle l'avait mit sous traitement à base d'anti dépresseurs et de régulateurs de l'humeur. Et cela avait marché un temps. Jusqu'à ce qu'on se rende compte qu'en réalité ces médicaments avaient tout bonnement altéré la réalité de Kylliane. Lui offrant un semblant de vie idéalisée.
Surtout qu'avec le temps, Kylliane, qui avait dû apprendre à s'autonomiser concernant ses prises de médicaments, s'était montrée négligente quant à la régularité dans son traitement. Ce qui avait mené à sa phase délirante ce fameux jour où elle agressa sa sœur, aveuglée par sa jalousie et sa peur irrépressible de l'abandon.

Et voilà que maintenant, la vérité les rattrapait. Tous autant qu'ils étaient.

Voilà que maintenant, elle se trouvait elle aussi dans le coma, incapable de faire face à la faute qu'elle avait commise. Et eux non plus.

***

L'officier Pilguez avait écouté, dans un respectueux silence, le récit de ces parents désemparés.

Il en avait eu des frissons.

Après quelques instants, il plongea son regard dans celui de ces deux êtres à bout de forces.

- Et maintenant ? demanda-t-il.

- Maintenant, on attend, répondit l'homme en se tournant vers sa femme qui lui répondit avec une ébauche de sourire timide.

- Se préparer au pire, commença-t-elle.

- Prier pour le meilleur, conclu-t-il.

Pilguez prit congé d'eux. Plus loin, lorsqu'il se retourna une dernière fois vers eux, ils les vit enlacés l'un contre l'autre. Et vit pour la première fois à quel point ils étaient réellement brisés.

COMATOSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant