XI. FALLEN ANGELS

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Alors qu'auparavant elles étaient très semblables, les jumelles montraient de plus en plus des personnalités très différentes.

Nolwenn devenait tellement douce, tellement sensible et au caractère très sérieux. Elle était réellement facile à vivre contrairement à sa sœur qui était un ouragan dans la vie de cette famille.
Impétueuse, susceptible et insolente, Kylliane était aussi colérique que sa sœur était calme.

Ses parents avaient beau essayer, rien n'y faisait. Kylliane se montrait parfois tellement incontrôlable que seule sa sœur parvenait à l'apaiser.
C'était très frustrant pour ces parents qui ne comprenaient pas les réactions disproportionnées de leur fille.

Un jour, peu après leur dixième anniversaire, il y eut un premier incident marquant.
Alors qu'elles s'amusaient ensemble, les jumelles se disputèrent pour une broutille d'enfant. Un souci qui d'ordinaire se règle d'une accolade.

Ce ne fut pas le cas.

La dispute prit des proportions telles que Kylliane en devint violente. Avec une brutalité féroce, elle se jeta contre le mur qui lui faisait face. Heurtant sa tête à plusieurs reprise, hurlant de fureur. Il avait fallu l'intervention de son père pour enfin réussir à l'éloigner de cette source de danger.
Après s'être calmée, Kylliane fit comme si de rien n'était et repris ses occupations. Ce déchaînement de violence envers sa propre personne inquiéta immédiatement ses parents qui furent rassurés par un pédiatre qui leur expliqua qu'elle entrait bientôt dans l'adolescence et que ce genre de crise était sûrement liée à une poussée d'hormones.

Quelques mois plus tard, Nolwenn remarqua l'attitude maussade de sa jumelle et, en discutant avec elle, comprit que quelque chose n'était pas normal. Comme si sa sœur portait en elle tous les malheurs du monde et qu'elle se noyait sous ses émotions.
Leurs parents furent informés et un autre médecin consulté. Kylliane était probablement hypersensible et très empathique. Rien d'alarmant pour le moment.

Alors que Nolwenn continuait à s'épanouir, Kylliane s'efforçait de ne pas sombrer.

Elle ne savait pas d'où lui venaient toutes ces idées noires. Elle ne comprenait pas pourquoi elle se sentait si à part, si rejetée.
Elle voyait sa sœur se faire des amis, être appréciée. Et elle, elle ne parvenait pas à se sortir de la tête qu'elle n'était qu'une copie. Qu'une ombre. Inutile.

Les mois passaient et Kylliane s'enfonçait. Pour faire taire ses émotions, elle commença à se mutiler.
La première fois, elle le fit à cause d'une vidéo vue sur le net. La jeune fille qui s'exprimait face à elle expliquait que cela la libérait de ses douleurs et la soulageait.
Alors Kylliane avait essayé. Une fois, deux fois. Mais elle ne se sentait pas mieux.

Elle fini par croire qu'elle ne faisait pas les choses bien. Alors elle se mit à faire d'autres recherches, à trouver d'autres blogs sur lesquels d'autres adolescents en souffrance exprimaient leur façon, souvent dangereuses, d'extérioriser leurs souffrances et se libérer d'elles.

Tandis que Nolwenn se sociabilisait, incluant toujours sa jumelle dans ses nouvelles amitiés, cette dernière jouait un double jeu qui la rattrapait bien trop souvent.
Il lui était déjà arrivé de perdre ses moyen en public. En fait, cela arrivait de plus en plus souvent.
Sans prévenir, Kylliane sortait de ses gonds et devenait parfois irrationnelle dans ses propos.

Ces incidents s'intensifièrent de manière inquiétante après qu'elle fut entrée en deuxième année de collège.

Ce que personne ne pouvait voir, c'est que ses séances de coupure ne suffisaient plus à contrôler ses émotions. Elle commençait à développer des troubles de l'alimentation.
La noirceur de ses sentiments la consumait tellement que chaque soir, elle prenait un objet tranchant au hasard et traçait des lignes de plus en plus profondes dans sa peau déjà meurtrie.
Les jours où elle allait moins bien elle se privait de manger et s'endormait généralement en proie à d'importants vertiges. Mélange néfaste de ses automutilations et de la privation de nourriture qu'elle infligeait à son corps.

Un soir, alors qu'elle s'était isolée dans sa chambre, sa musique la coupant du monde, elle fut interrompue dans ses sordides activités par l'entrée inopinée de Nolwenn. Cette dernière fut horrifiée de la scène qui se déroulait sous ses yeux.

Comme prise en faute, Kylliane se mit à pleurer intensément et supplia son double de ne rien dire à personne, jamais.
Nolwenn ne pouvait faire une telle promesse, elle ne pouvait se rendre complice de la descente aux enfers de sa jumelle.

Ignorant les supplications de Kylliane, les yeux embués de larmes, Nolwenn hurla à plein poumons pour avertir leurs parents de ce qu'il arrivait à sa sœur.

Se sentant prise au piège, Kylliane senti son esprit se déconnecter.
Sa détresse prit possession d'elle et la poussa à se couper plus profondément, plus intensément. Pour la première fois, elle le faisait dans le but de mettre fin à sa vie.

M et Mme Sweet durent voir différents médecins avant que leur détresse ne soit entendue et prise au sérieux.

La plupart du temps, l'état psychologique de leur fille était minimisé.
Tantôt on parlait de désir d'attirer l'attention, de faire "comme tous les jeunes de son âge", on évoqua même un simple passe-temps pour embêter ses parents.

Fort heureusement l'avis d'une pédopsychiatre fut demandé et un suivi adapté se mit en place.

Les crises s'estompèrent et Kylliane ne se faisait plus aucun mal.
Elle dut apprendre à gérer sa frustration, à comprendre ses émotions, à verbaliser et surmonter sa négativité.
Elle dut aussi apprendre à gérer les traitements qu'on lui avait imposé.

Lorsqu'elle sentait une rechute arriver, elle savait qu'elle pouvait compter sur le soutien de sa sœur, ses amis et ses parents.
Mais elle avait prit la mauvaise habitude de se psychanalyser elle-même. Elle déduisait souvent que certaines de ses réactions étaient dues à son adolescence et passa quelques unes de ses difficultés sous silence.

Elle se convainc que c'était pour protéger ses proches de l'inquiétude que cela engendrerait.

En réalité, elle se protégeait elle-même de cette façon. Elle pensait pouvoir échapper à ce mal qui la consumait.

Les années passaient et Nolwenn était devenu le thermomètre émotionnel de Kylliane. Elles ne pouvaient plus rien faire l'une sans l'autre. Kylliane avait besoin de sa sœur auprès d'elle pour aller bien. Du moins, c'est ce qu'elle pensait.

Mais cette proximité étouffait parfois Nolwenn, qui ne savait pas comment exprimer à sa jumelle son besoin d'être seule de temps en temps. Sans elle.

Leur relation devenait toxique pour chacune d'elle. Mais Kylliane se sentait dépendante de sa sœur tandis que Nolwenn se sentait responsable d'elle.

Ce ne fut qu'après leur entrée au lycée que les deux jeunes filles comprirent à quelle point leur relation avait évolué.

Kylliane était de plus en plus égoïste et enfantine. Elle voulait constamment avoir sa sœur avec elle. Rien que pour elle.
Nolwenn ressentait le besoin de voir autre chose, de vivre autre chose. Elle entendait l'appel de la liberté.

C'est à partir de cette période que les deux sœur eurent de plus en plus de secrets l'une pour l'autre. Et que les difficultés auxquelles elles devraient faire face commencèrent réellement.

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