COMATOSE

V. HOW TO SAVE A LIFE

Le samedi fatidique arriva bien vite.

Kylliane menait un combat intérieur qui la rendait plus indécise que jamais. Que faire ? Que dire ? Comment aborder les choses avec ceux qui avaient été autrefois ses amis ?
Elle ne savait plus comment agir. Devait-elle se rendre, comme tous les samedis, à l'hôpital pour visiter sa sœur ? Devait-elle éviter d'y aller à tout prix afin de ne pas les croiser ?

Tout se bousculait furieusement dans sa tête.

Elle savait qu'elle avait besoin d'être auprès de sa sœur comme tous les samedis. Mais elle sentait qu'elle ne pourrait pas supporter la vision de ses anciens amis auprès d'elles. 
Leur air malheureux et désolé pour elle ne serait qu'une raison de plus de s'en prendre à eux. Et elle ne voulait plus s'épuiser à les chasser.
D'un autre côté, elle savait que sa sœur n'aurait jamais apprécié qu'elle se retrouve seule. Qu'elle rejette tout le monde autour d'elle.

Se sentant manquer d'air, elle s'habilla à la hâte et sorti en vitesse dans la rue.
Dans sa précipitation, elle ne remarqua même pas qu'elle portait les vêtements de sa sœur.

Autour d'elle, le paysage semblait tourner, vaciller. Kylliane ne comprenait pas d'où lui venait cette sensation, ce sentiment qui la hantait depuis la veille.
Une émotion qui la submergeait, qui ne lui était pourtant pas si familière : l'angoisse.
La réelle angoisse. Celle qui vous coupe le souffle. Celle qui vous cloue au sol.

Machinalement, l'adolescente entreprit de marcher, sans but réel, pour échapper à cette terreur qui montait en elle.

***

Pendant ce temps, à l'hôpital, les machines qui maintenaient Nolwenn en vie s'emballèrent toutes en même temps.
Un flots de médecins et d'infirmiers se ruèrent auprès de la jeune patiente.

Les appareils s'arrêtèrent de concert pendant quelques secondes puis reprirent leur fonction comme si de rien n'était.

Les médecins, inquiets, vérifièrent les constantes une à une. Rien ne leur parut alarmant. Alors, ils laissèrent une jeune interne auprès d'elle pour l'heure qui suivait, il ne fallait surtout pas perdre cette patiente. Il en allait de leur réputation, de leur emploi.

***

Au bout d'une bonne demi heure de marche, Kylliane se rendit compte où ses pas l'avaient menée.

Devant ce manoir inhabité, lugubre, diabolique.

Elle n'avait aucune idée de pourquoi elle avait marché jusqu'ici. Pourquoi la rage l'habitait soudain. Pourquoi ses larmes coulaient sans qu'elle ne puisse y faire quelque chose.
Ses émotions l'envahissaient d'une manière qu'elle n'aimait absolument pas.

En observant attentivement l'immense bâtisse, elle cru voir une forme se dresser derrière une fenêtre de l'étage.

C'est impossible !

Personne n'était censé vivre ici. Personne ne pouvait plus y entrer depuis que l'accès avait été condamné par scellés après les événements dont fut victime sa sœur.

Rassemblant tout son courage, elle s'approcha de l'imposante maison d'un pas qu'elle voulait assuré.
Ragaillardie par le souvenir de sa sœur, retrouvant toute sa témérité, elle posa la main sur l'imposante poignée. En tentant d'ouvrir la porte, elle comprit que celle-ci était close. Prise de doutes, elle décida de faire le tour de la propriété pour tenter de trouver une entrée cachée.
Elle était décidée à y pénétrer coûte que coûte.

***

- Elle ne viendra pas...

Ce n'était ni de la colère ni de la déception dans la voix de Linda. C'était autre chose. De la peine, de la douleur.

- Elle n'a répondu ni aux appels ni aux textos... J'aurais dû aller la chercher moi même chez elle et la ramener ici de force !

Pierre-Antoine s'approcha timidement de son amie.

- Tu ne pouvait pas l'obliger à venir avec nous. Tout comme on ne peut pas l'obliger à nous parler. Tu es trop dure avec toi. Laissons lui encore un peu de temps.

Tandis qu'Arnaud, penaud, scrutait les alentours, Summer se mit à pousser un râle tellement fort que les soignants présents lui jetèrent un regard désapprobateur.

- On est là pour Winnie non ? Alors allons la voir. Si Kyllie veut pas nous voir tant pis. Si elle veut venir voir sa sœur elle sera obligée de tomber sur nous. On y va ? J'ai horreur des hôpitaux.

Le petit groupe d'amis s'engagea dans le long couloir qui menait à la petite chambre où reposait la jeune fille d'une pâleur inquiétante, intensifiée par la blondeur de ses cheveux.

Chacun lança un triste regard vers l'adolescente. Chacun évita scrupuleusement de croiser le regard des autres.

Linda laissa échapper une larme emplie de culpabilité en s'asseyant près de son amie et lui prit la main.

- Winnie, on est tous là, avec toi. Tu nous manques énormément. On aimerait tellement que tu te réveilles et que notre groupe soit à nouveau au complet...

Pierre-Antoine s'installa à l'opposé de son amie et prit l'autre main de Nolwenn, celle où une perfusion envoyait dans son corps un liquide incolore.

- Tu sais, ta sœur ne va pas bien. Elle a besoin de toi. On a tous besoin de toi. Il faut que tu te réveilles.

Summer, des larmes plein les yeux, essayait de cacher tant bien que mal la douleur que lui procurait la vision de sa protégée. Nolwenn avait toujours été sa préférée parmi les deux sœurs et elle avait toujours aimé passer du temps avec elle.
Se forçant à rester en retrait, la jeune fille observa silencieusement la scène alors que tout ce qu'elle souhaitait en son for intérieur aurait été de secouer son amie pour la sortir de son sommeil artificiel.

Lorsqu'enfin Arnaud, qui était péniblement resté en retrait tout ce temps, se décida à avancer vers Nolwenn, les machines s'emballèrent à nouveau.
L'adolescent prit soudain peur et recula de plusieurs pas, espérant sûrement que son recul calmerait les machines.

Mais ce ne fut pas le cas.

Une horde de soignants fit alors son entrée et pressa le groupe de sortir de la chambre.

Dans la cohue, personne n'aperçut la larme qui roulait sur la joue de la patiente pendant que le funeste bip retentissait dans toute la pièce.