L'ANTI-HÔTE [Partie 1]

10. Deux êtres pour un seul corps (1)

Je me réveillai, enfin d'après moi, car j'avais toujours l'impression de vivre un rêve.

Je me réveillai dans mon espace mental, la tête douloureuse, et allongée sur le côté droit. Il faisait froid et j'avais les muscles tant engourdis que je n'eus pas la force de me redresser tout de suite. Je regardai face à moi. Une image floue dansait dans le vide. Je fronçais les sourcils, on aurait dit la porte de Bell. L'image avançait toute seule, la porte se rapprochait, une main qui semblait être la mienne se tendit pour toquer avec force contre le battant.

Étais-je en train de rêver ? L'image que je voyais me paraissait être celle que je voyais depuis mes yeux. Mes mouvements ne m'appartenaient pas, quelqu'un d'autre contrôlait mon corps et mon esprit se reposait tranquillement à l'intérieur. Je me levai. Mes jambes étaient extrêmement faibles. Je devais me réveiller pour reprendre le contrôle de mon corps.

Je m'avançais vers la scène aux bords flous qui défilaient devant moi, flottant dans l'espace sombre qui m'entourait. Comme dans une salle de cinéma avec les lumières éteintes, qui diffusait le film de ma vie. Je ne voyais pas Lara. Était-ce elle qui avait pris le contrôle sur moi ? Je me souvenais vaguement avoir reçu un coup à la tempe. Elle m'avait assommée. Mais pourquoi ? Pour s'emparer de mon corps ?

Je serrai les poings. Il devait bien y avoir un moyen pour un pilier de reprendre possession de soi même ? Ou alors il n'en existait aucun, parce que les hôtes n'étaient pas censés assommer leurs piliers. J'enrageais. Il avait fallu que ce maudit hôte tombe sur moi. Je me décidai à marcher, je ne savais pas où j'allais, ni où se trouvait Lara, mais ce dont j'étais sûre c'était que l'image à côté de moi me suivait.

Bell venait de m'ouvrir, enfin à Lara, mais il ne le savait pas encore.

- Tina ?

Je m'arrêtais pour l'observer. Il semblait surpris. Il devait certainement avoir remarqué les deux yeux jaunes luisants de mon hôte.

- Ah non, tu es son hôte, conclue-t-il avec incompréhension.

Mon corps avança. Je voyais Bell se rapprocher de plus en plus, Lara monta les marches du perron sans prononcer un mot et lui passa devant avec indifférence. Elle venait d'entrer chez lui.

- Lara ! hurlais-je dans ma propre tête.

Ma voix ne porta pas bien loin. Il n'y avait pas d'air et pas de vent ici, donc pas d'écho. Mes jambes tremblèrent violemment, et sans trop comprendre pourquoi, je me retrouvai accroupie. J'étais faible, ma tête tournait, les paroles de mon ami résonnaient sournoisement dans mon crâne et toute mon énergie semblait me quitter. « Tu es 76 206 c'est ça ? Qu'est ce que je peux faire pour toi ? Et pourquoi remplaces-tu Tina ? » Il semblait suspicieux.

- Bellamy ! murmurais-je faiblement en guise d'appel à l'aide.

Je savais qu'il ne m'entendait pas pourtant. Dans un élan de courage, je me remis debout. J'allais trouver Lara pour lui demander des explications.

- Cyan ! Je veux te parler.

Lara avait parlé avec ma voix, mais avec un ton beaucoup plus agressif que moi d'ordinaire. Elle fixait Bell intensément. Mais qui était donc Cyan ?

La transformation fut immédiate. Les yeux de Bell prirent une teinte bleue turquoise qui illuminaient la pièce autour de lui. Son hôte avait pris le contrôle également.

- Ambre ! Mais qu'est ce qui te prend ?

Il s'adressait à Lara, mais il ne l'appelait même pas par son numéro. Cyan et Ambre étaient donc leurs vrais noms ? Mais qui donc leur avait donné ?

- J'ai reconnu tes yeux dès que tu t'es présenté la dernière fois. Depuis ce jour je n'attends que le moment où je pourrais te parler.

- Mais comment as tu fait pour fusionner ? Ta formation n'était pas du tout terminée !

Il avait le corps et la voix de Bell, et pourtant, ce n'était pas lui qui parlait. Peut être que mon ami aussi se trouvait dans la même situation que moi ? À assister à la scène sans pouvoir rien faire.

- Je t'ai suivi quand tu es descendu du Nuage, je ne pouvais pas te laisser partir sans moi.

- Tu as fusionné illégalement avec une humaine ?

Il semblait désespéré.

- Je ne voulais pas risquer de te perdre et te laisser disparaître sur terre parmi toute cette masse d'humains.

Elle s'avança vers lui, et il eut un mouvement de recul. Elle était déçue, je pouvais sentir ses émotions. Quel lien avait pu les unir lorsqu'ils étaient sur le Nuage ?

- Ambre, tu vas être traquée et ton pilier aussi pendant toute sa vie. Le gouvernement ne laissera pas passer ça.

- Alors partons.

Il manqua de s'étrangler.

- Pardon ?

- Partons tous les deux hors de cette ville et vivons comme lorsque nous étions sur le Nuage !

Il prit Lara par les épaules :

- Ambre c'est impossible. On ne peut pas garder le contrôle sur le corps de nos piliers indéfiniment.

- Et pourquoi ?

- Parce que...

Cyan fut interrompu par une porte qui se fermait brusquement. Un visage apparut dans le salon, que faisait-elle ici ? Torielle observait la scène, interloquée.

- Qui est-ce ? questionna Lara avec aigreur.

- Elle est du Service de Protection, minauda Cyan sentant la tension augmenter progressivement dans la pièce.

Je tombais des nues. Torielle, un agent de police ? Lara réagit au quart de tour. Je vis mon corps s'élancer vers Torielle et mon pied lui envoyer un violent coup dans les côtes. Lara, ou devrais-je plutôt dire Ambre, avait peur. Elle craignait que la police ne se mêle de ses affaires. Torielle, prise de court, tomba en arrière dans le couloir d'où elle sortait et Cyan hurla :

- Ambre, arrête !

Elle ne s'arrêta pas, mais en tant que membre du Service de Protection, Torielle avait des réflexes. Elle se releva, essuyant ses mains sur son pantalon noir, et esquiva le coup de poing qui faillit l'atteindre au visage. Elle riposta, ses cheveux noirs dansant sur son visage crispé, et m'envoya son plat de la main dans la tempe. C'était douloureux, et pourtant, ce n'était pas réellement moi qu'elle avait frappé.

Je repris ma marche avec vive allure, faisant fi de la douleur et des mes jambes pâteuses.

- Lara, arrête toi ! hurlais-je de nouveau.

Dans le monde réel, la bataille continuait. Lara était censée avoir été formée au combat pendant sa formation, si courte soit elle, mais il fallait dire que Torielle se débrouillait bien. Son hôte n'avait même pas encore eu besoin de prendre le relais.

Soudain, une silhouette raide apparut devant moi. Je me mis à courir en direction de mon hôte, qui, les yeux fermés, semblait soumise à une concentration extrême.