Souvenirs refoulés (3)

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Le vent me fouetta le visage violemment. L'humidité de l'herbe s'infiltrait dans mes chaussettes. Je connaissais aussi cet endroit. Nous étions à Algore. La mer s'étendait au loin. Nous étions aux falaises de l'oubli, sauf qu'il n'y avait plus de falaise. Ce n'était qu'une immense colline d'herbe verte, de petites maisons parsemaient l'horizon qui s'étendait loin...très loin. Cet endroit, tel que je le connaissais, était recouvert d'eau salée. C'était l'immense morceau de terre qui reliait autrefois notre péninsule au continent. A combien d'années cela remontait-il ?

Un garçon se tenait sur le haut de la colline. Il contemplait la grande étendue de terre qui allait bientôt s'effondrer et être engloutie dans l'océan. La terre allait se fissurer, l'eau allait s'engouffrer. Tout serait fragilisé et s'effriterait en miettes dans l'océan. On nous avait montré des reconstitutions à l'école, et des simulations.

L'adolescent devait avoir mon âge. Peut être même plus jeune encore. Ses cheveux bruns plaqués en arrière à cause du vent, sa veste de costume déboutonnée qui flottait derrière lui. Il paraissait frêle, maigre avec ses joues creusées et ses doigts squelettiques.

Je regardai autour de moi. Domoto était là lui aussi. Il regardait le jeune homme. La familiarité était frappante. C'était lui, je le reconnaissais. Elvis Domoto, alors qu'il n'avait que dix sept ans et qu'il s'apprêtait à faire une découverte révolutionnaire.

L'actuel président regardait son souvenir. Son regard s'était assombri. Le jeune homme tenait fermement un objet dans sa main.

Je m'approchai pour entendre la voix au téléphone lui annoncer :

- Elvis. Ton frère est à l'hôpital. Il a encore fait une tentative de suicide.

De grosses larmes se mirent à jaillir des yeux de l'adolescent. Il avait toujours le regard fixé à l'horizon, sa main crispée sur le téléphone portable retomba le long de son corps.

- Pourquoi ? s'écria-t-il alors que son cri était porté par le vent. Pourquoi tu es si déterminé à me laisser tout seul...

Il baissa la tête. Les larmes pleuvaient sur l'herbe.

- Tu en as assez vu espèce de petite garce ?

J'en avais presque oublié sa présence. Le Domoto que je connaissais me toisait avec une haine qui me provoqua de longs frissons dans le dos.

Non, non je n'en avais pas assez vu. Il s'approcha de moi, menaçant. Je reculai :

- Lara !

Elle ne répondait toujours pas.

Le sol se mit à trembler. Non, déjà ? Je vis le jeune Elvis chuter dans une crevasse qui venait de s'ouvrir sous ses pieds. Domoto avait du mal à avancer vers moi, le sol ondulait violemment. Je tenais difficilement debout. Le précipice m'engloutit. Un gouffre noir s'ouvrit sous mes pieds et m'aspira vers le fond.

Je ne m'écrasais même pas à l'arrivée de ma chute. J'étais de nouveau debout sur mes deux pieds, au fond de la crevasse. Les parois rocheuses qui m'emprisnnaient de part et d'autre s'effritaient au fur et à mesure. Je dus avancer les bras au dessus de la tête pour me protéger des projectiles qui dégringolaient dans le précipice. En levant la tête, je pouvais voir le ciel se frayer un chemin à travers une petite fente qui s'étendait très haut au dessus de moi.

Une forme était avachie au loin. J'avançais plus vite, mains sur les parois pour m'aider à progresser en franchissant tous les obstacles rocailleux qui entravaient ma route. La fissure creusée par le tremblent était profonde et assez large pour y laisser passer un humain.

Elvis était là. Sa jambe couverte de sang, son front aussi. Il rampait comme un animal avec la patte dans un piège. Je le rattrapai. Il s'était arrêté de ramper. J'arrivais au niveau de ses pieds. Sa jambe devait être brisée. Sous son pantalon noir, je vis qu'elle n'avait pas une forme habituelle.

L'ANTI-HÔTE [Partie 1] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant