L'ANTI-HÔTE [Partie 1]

3. Un cœur fissuré (1)

26 heures avant l'alerte.

Il y a quelques années de cela, Algore était la ville la moins fréquentable du monde. Sans que les statistiques puissent comprendre pourquoi, le taux de criminalité et d'homicide était si important, que même la natalité ne permettait pas de compenser la mortalité. Cela s'expliquait principalement par l'incapacité du gouvernement à gérer les trafics de stupéfiants qui faisaient le tour de la ville et encourageaient les gens à commettre volontairement, ou involontairement des crimes affreux. L'espérance de vie moyenne des enfants ne dépassait généralement pas les douze ans, à cause de nombreux infanticides dans les familles, ou la prise involontaire de produits dangereux. Après le Grand Tremblement, notre ville était devenue une île, et sans gouvernement fixe. C'était un véritable chaos, et Algore s'étant proclamée comme une ville complètement indépendante, aucun pays ne levait le petit doigt pour lui venir en aide.

Elle avait son gouvernement, son économie, ses ministres et sa gestion propre. L'Etat, pour conserver sa crédibilité, avait donc dû réfléchir à une solution extrême. Ayant connu la révolution technologique la plus conséquente de l'histoire de l'humanité, elle avait fait une croix sur les voitures volantes ou la téléportation, pour se concentrer sur un projet révolutionnaire. Le système 8180, autrement appelé « Les hôtes du bien-être ».

Il ne consistait pas à juger ou exécuter tous les criminels, car de nouveaux prendraient de toute manière le relais. Coupez la tête de l'hydre, et il en repousse deux nouvelles. Mais il consistait à les « purifier de l'intérieur ». Car par contre, brûlez la plaie tranchée et il n'en poussera pas de nouvelle.

Ou pas. Car d'autres têtes différentes pourraient entrer en jeu et il faudrait alors tout recommencer. Et je ne savais pas encore que je serai l'une d'elle. Une anomalie parmi les autres, mais la seule à faire surface pour tout gâcher.

Avaient alors été créés les hôtes. Des entités technologiques avec un corps propre, et une intelligence basée sur la protection et la modération. Créés à la chaîne, ils étaient formés dans l'unique but de protéger les humains, et notamment celui en qui ils allaient se réincarner. C'est ainsi que les premiers tests avaient été opérés. Au début, ils avaient vérifié que l'hôte et l'humain pilier pouvaient survivre tous les deux dans le même corps. Ensuite, le gouvernement et les scientifiques recrutés avaient expérimenté des situations dangereuses. Un humain s'approchant trop près d'une falaise, ou s'apprêtant à frapper un enfant, ou consommant trop de verres d'alcool. Dans chacun des cas, les hôtes avaient tout de suite réagi. Ils avaient pris possession légitimement du corps de l'humain pour le contrôler et lui faire renoncer à ses bêtises qui pourraient lui coûter la vie ou celle des autres.

Le projet était un véritable succès. Et au lieu de le soumettre uniquement à une partie de la population, les scientifiques les plus performants d'Algore avaient joué la carte de la sécurité. Les hôtes se réincarneraient en chaque humain de cette ville, une fois que les deux seraient prêts. Ainsi, chaque personne se sentant prête à endosser le rôle de pilier pouvait se présenter au C.R.O pour se recenser et accueillir l'entité avec qui elle sonderait son âme. Les fusions pouvaient échouer, ce n'était ni un cas rare, ni dramatique. Il s'agissait juste d'un manque de préparation ou de confiance en soi.

Certains refusaient parfois catégoriquement de fusionner. C'était rare, mais possible. Si le gouvernement jugeait que ces personnes là ne présentaient pas de menace, ils n'intervenant en rien. Mais il existait des systèmes de fusion forcée avec les hôtes dans le cas où l'opposant deviendrait un réel danger pour la population. Mais je ne savais pas vraiment en quoi consistait ce système. Personne ne le savait, le gouvernement peu fier, ne s'en vantait pas souvent dans les médias.