L'ANTI-HÔTE [Partie 1]

La face cachée (3)

Elle marcha longtemps dans les rues. Elle vit le soleil monter au zénith et plonger en direction de l'océan qui scintillait sous les éclats orangés du ciel. Ce n'est qu'à la fin de la journée qu'elle sentit enfin la douleur dans ses jambes. Elle ne s'était pas arrêtée de marcher, pas une seule fois depuis qu'elle avait quitté Maïsie.

Pendant toute la journée elle avait ressassé les moments passés avec Judith et Maïsie neuf ans auparavant. Pendant le procès, elle s'était effondrée, et Judith, en plus de l'avoir réconfortée chaleureusement, lui avait couru après suite à sa sortie du tribunal.

- Madame ! Madame ! avait-elle hurlé dans son bel uniforme bleu du Service de Protection.

Elle était très jeune aussi à cette époque, quoiqu'un tout petit peu plus âgée que Torielle. Cette dernière s'était retournée, elle avait vu les cheveux de la jeune policière voler derrière elle et sa voix hachée lui annoncer :

- Vous...vous devriez faire un test de grossesse...

Devant le mutisme de Torielle, elle avait pris les choses en main.

- Venez avec moi, je vous conduis à la pharmacie.

Elle avait insisté pour rester avec Torielle jusqu'aux résultats. Et bien heureusement. Lorsqu'elle était sortie des toilettes de son appartement, Torielle avait jeté un regard vers son tiroir de couteaux de cuisine.

Elle ne lui avait même pas laissé le temps de réagir.

- Prenez mon numéro de téléphone. Si vous avez besoin d'aide, appelez moi. Je vous emmènerai moi même à l'hôpital.

Sa voix était ferme, ses sourcils froncés. Si Torielle ne l'avait pas mieux connue ensuite, elle se serait souvenue d'elle comme une personne avec un sérieux et une maturité sans faille. Cependant, après l'accouchement auquel avait assisté Judith, Torielle était rentrée au Service de Protection, et elle avait gravi les échelons à une vitesse folle. Il lui fallait venger tout ce que la vie lui avait pris.

Puis Judith l'avait accompagnée pour confier Maïsie à d'autres tuteurs. Elle avait été là pour elle à chaque instant, sans hésitation. Torielle avait l'impression d'avoir une accumulation de dettes sur les bras. Dettes qu'elle ne pourrait plus jamais rembourser.

Un souvenir lui revint.

C'était un soir au poste. Torielle cherchait l'homme qui était à l'époque son formateur. Homme qui lui avait tout appris. Appris à se battre, appris à faire passer sa raison avant ses émotions.

Dans le couloir du troisième étage, elle avait entendu un grattement.

- Hé qu'est ce que tu fais ?

Judith s'était retournée dans un sursaut.

- Torielle ?

En effet, la jeune recrue venait de voir son amie en train d'essayer de forcer la serrure du bureau du président.

- Écoute, c'est pas ce que tu crois...

Torielle avait posé son doigt sur sa bouche. Elle voyait que le regard de son amie dans l'obscurité de la nuit était plein d'angoisse. Torielle elle, venait tout simplement de trouver une alliée. Un poids sur sa poitrine s'était alors dissipé. Le lourd sentiment de se sentir seule, et de devoir faire semblant aux côtés de sa seule amie. A partir de ce jour elles étaient devenues des complices inséparables.

- Je me souviens de ce moment, interrompit Pourpre. Nous venions de fusionner et j'avais lu dans ton esprit pour déceler tes intentions.

Torielle sourit tout en continuant de marcher en direction de sa maison. Il allait bientôt faire nuit. Elle devait faire en sorte d'éviter de passer en face du poste.