Le détruire (3)

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Torielle monta sur le bateau la mine renfrognée. Elle s'assit sur un canapé dans la cabine, son petit sac à dos sur les genoux, le regard perdu vers le parquet blanchâtre de l'embarcation.

Personne n'avait jamais quitté Algore. Torielle s'en sentait presque honteuse. Le bateau se mit à avancer dans l'océan agité. Elle ne lança même pas un regard à travers le hublot, pour voir la terre où elle avait grandi s'éloigner à vue d'œil.

Ses parents s'assirent avec soulagement sur les canapés en face d'elle. Connor passa son bras autour des épaules de sa femme.

- Bientôt nous serons enfin en sécurité.

Il embrassa son crâne couvert de longs cheveux noirs. Mila sourit, à moitié rassurée.

- On vous a menacés ? questionna alors Torielle.

Son père hésita avant de répondre.

- Les sans âme ne seront bientôt plus les bienvenues à Algore. Et Domoto est quelqu'un de dangereux.

Pas la peine de le rappeler à Torielle qui serra les poings. Il avait fait assassiner sa grand mère, devant ses yeux. Ses cauchemars étaient moins fréquents, mais toujours présents. Il y a huit ans, ses parents avaient vendu la maison de Maïsie Bettcheller pour s'installer dans une autre demeure, moins remplie de souvenirs.

- J'aurais dû prévenir mes amis, tonna Torielle. Ils sont aussi en danger.

Bien qu'ils aient tous déjà fusionné, pensa-t-elle. Au collège, tous ses amis se vantaient d'être la génération d'une nouvelle ère, qu'ils devaient entretenir en fusionnant le plus tôt possible. Les parents de Torielle ne l'avaient jamais pressée de fusionner, au contraire, ils lui avaient toujours conseillé d'attendre le bon moment. A présent elle comprenait pourquoi.

- Parce que tu crois qu'ils t'auraient cru, Shauna ?

La réponse sèche de sa mère suffit à raisonner Torielle. Au collège, tout le monde adorait Domoto, élèves comme professeurs. Il était inutile d'essayer de leur faire changer d'avis. A part peut être certains téméraires qui comprenaient que quelque chose clochait depuis le début.

Le bateau ralentit, pour qu'au final le moteur s'arrête complètement. La famille Bettcheller, méfiante, se leva d'un bond. A travers le hublot, ils pouvaient voir les falaises de l'oubli qui les surplombaient à plus d'une centaine de mètres par delà la mer agitée. Le ciel s'était assombri.

Le capitaine pénétra dans la cabine, interdit. Connor s'avança vers lui.

- Il y a un problème ?

Torielle vit l'homme à la carrure imposante, sans un mot, passer son bras derrière son dos. Il pointa le canon du pistolet sur la tête de Connor.

Le coup de feu partit et Mila poussa un cri.

Torielle se retrouva projetée au sol sous le poids de sa mère. Ses avants bras rapèrent violemment le parquet.

- Rampe, vite ! lui ordonna cette dernière, la voix hachée, coupée par l'émotion.

Torielle se traina à quatre pattes jusqu'à la porte au fond de la cabine. Les coups de feu se poursuivaient, mais elles étaient protégées par les canapés. Torielle leva son bras pour abaisser la poignée, et la balle frôla sa main. Une fois sur le pont, Mila referma brusquement la porte derrière elle, mais Torielle eut le temps d'apercevoir son père baignant dans son propre sang, un trou béant sur le front. Le vent lui fouetta le visage. Paralysée, elle réussit enfin à réaliser  :

- Papa est mort...

- Il faut sauter ! fut la seule réponse de sa mère qui lui saisit le bras pour la relever.

L'ANTI-HÔTE [Partie 1] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant